Bayonne, la bonne étoile des migrants

Les locaux permettent de continuer l’accompagnement des personnes en transit dans de bien meilleures conditions en permettant aux personnes de dormir au chaud.
Les locaux permettent de continuer l’accompagnement des personnes en transit dans de bien meilleures conditions en permettant aux personnes de dormir au chaud.

Près de 200 migrants dorment chaque jour au centre d’accueil de Bayonne, sur la route de leur exil. Récit d’une nuit de maraude où les bénévoles sont désormais épaulés par des professionnels.

Cette fois, tout le monde s’accorde à trouver la nuit calme. En cette fin novembre, la pleine lune forme un halo singulier dans le ciel sans nuage, comme si le froid se figeait à la lumière. “C’est un signe” encourage Justin en battant le pavé, aux abords de la place des Basques, côté jardin anglais, là où l’ombre est propice à jeter une couverture ou à se recroqueviller sous un arbre. Mais pas de trace de migrants, ces fantômes des nuits bayonnaises que les maraudes de bénévoles tentent de mettre au chaud, en guise d’escale salutaire dans un périple exténuant. Toujours “broucouille” s’amuse t-il, en longeant les remparts de la Poterne, comme un fin connaisseur des meilleurs coins à champignons et de la chasse dans le Bouchonnois. Encore bredouille en regagnant la base, ce vaste bâtiment en sursit sur le quai de Lesseps, qui affiche les armoiries du “Centre communal d’action sociale” et que des petites mains ont sommairement rebaptisé “L’Etape – Pausa – L’Estanquet” sur un papier A4 imprimé. Trois façons d’accueillir toutes les langues du monde, notamment subsahariennes.

Trêve de l’exode

La nuit est calme mais on ne sait jamais. Des montagnes de chaussures symbolisent cette trêve de l’exode devant chaque dortoir où, enroulés dans des couvertures à même le sol, les voyageurs roupillent d’épuisement. Entre 140 et 170 personnes sont entassées là ce soir. Il y en avait bien cinquante de plus quelques jours avant. Un dortoir de femmes, un dortoir d’hommes. Un réfectoire transformé en autre dortoir provisoire. Et les locaux, plus bas, de la banque alimentaire, pour abriter le tout-venant, le superflu, les nouvelles arrivées et camper dans la cuisine. Justement, trois jeunes filles ont été repérées, place des Basques, de l’autre côté du fleuve, là où se faisait le départ des bus long-courriers, avant que le vaste chantier du Tram’bus ne déplace les départs sur le quai de Lesseps, sous les fenêtres des migrants qui reprennent quelques forces. Les trois jeunes filles sont “peut-être guinéennes”, indique un bénévole. Elle sont surtout atterrées, stupéfaites et terrorisées à l’idée de suivre les bénévoles, deux grands gaillards pourtant habitués à rassurer les nomades traqués. Peut-être parce qu’ils sont affublés de gilets jaunes, en ces temps de contestation routière ? La vanne ne prend pas sur les bords du quai où chacun suppose, dans son coin, l’enfer qu’elles viennent de quitter. Une bénévole, seule, parvient à briser la glace, de femme à filles, et à les ramener doucement vers le foyer, à pied, car elles ne veulent pas monter dans une voiture, puis devant les locaux, face à un escalier infranchissable. C’est finalement le thé qui descend, sur le trottoir, le temps de soigner, de laisser infuser, d’inviter, d’attendre, de proposer, de visiter et de conquérir l’escalier —sa chaleur bienfaisante— et laisser s’écrouler comme une victoire, dans la masse déjà terrée, ces trois corps brisés.

Enroulés dans des couvertures à même le sol, les voyageurs roupillent d’épuisement.
Enroulés dans des couvertures à même le sol, les voyageurs roupillent d’épuisement.

Un peu plus tard dans la nuit, deux hommes se présentent spontanément devant la porte du refuge. Ils cherchent la Croix-Rouge, flairent l’ambiance, se méfient, refusent de monter et disparaissent dans la nuit et le froid. Ils reviendront deux heures plus tard demander l’hospitalité. Entre-temps, aucune nouvelle arrivée n’est enregistrée. Deux marocaines ont eu peur de suivre la maraude et sont restées dehors. Un jeune malien surgit d’un dortoir en grimaçant. Il a très mal, montre son cœur qui bat la chamade. Le SAMU, au téléphone, ne comprend pas. Lui non plus. “Sur une échelle de 1 à 10, tu souffres comment ?” lui demande t-on en vain. “Tu as mal, mal-mal, ou mal-mal-mal ?” réessaye t-on. Le garçon choisit l’option trois. Le médecin viendra finalement sur place, tenter une nouvelle approche linguistique comparée entre ces deux prétendues descendances gauloises de part et d’autre du Sahel. Mais le pouls est revenu. L’angoisse s’éclipse. Le toubib pose un quart de Valium sur la table que le gamin oublie d’avaler avant d’aller se recoucher. Dans le chaos des corps emmitouflés, il a déjà sombré et nul ne peut le retrouver.

Initiative

Les maraudes sont vaines et les bénévoles profitent du répit pour faire du ménage et du rangement. Ils sont encore cinq au milieu de la nuit, accompagnés d’un salarié et de deux agents de sécurité, plutôt bonnes pâtes, qui participent volontiers aux tâches nocturnes et aux discussions. Une initiative de la mairie qui prête aussi ce bâtiment désaffecté, destiné à être détruit dans une requalification de tout le quartier. Quant au salarié, il fait partie des sept personnes fraîchement embauchées par le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale Atherbea, qui organise désormais l’accueil des réfugiés. En quelques jours, l’association bayonnaise a déjà transformé le fonctionnement du centre, prenant l’initiative sur le flottement bénévole et ce mélange détonant de militants associatifs aguerris, regroupés notamment dans l’association Diakité et de présences spontanées et enthousiastes, gérant parfois l’urgence avec la seule pratique de la bonne volonté. La méthode est devenue claire, les tâches précises. Chaque arrivant est enregistré et ne peut rester plus de trois jours. Les espaces sont soigneusement organisés, entre nuit et jour, repas, toilette, stockage de linge ou de matériel de soin, infirmerie, sommeil. Une borne wifi assure un flux Internet, précieux fil de vie du voyage au long cours, délestant au passage les bénévoles qui étaient contraints de connecter une flopée d’appareil sur leurs propres smartphones pour improviser des partages de connexions. Sur le réseau WhatsApp qui relie ces bénévoles, cette nouvelle sérénité se ressent. Les messages s’espacent et se font moins pressant.

Des montagnes de chaussures symbolisent cette trêve de l’exode devant chaque dortoir.
Des montagnes de chaussures symbolisent cette trêve de l’exode devant chaque dortoir.

Quatre heures approchent et l’on s’active pour réveiller une dizaine de candidats au nouveau départ. Le bus est en bas, la troupe n’a que quelques mètres à faire. L’équipe de nuit accompagne les migrants. Depuis quelques jours, la tension est montée d’un cran lorsque les chauffeurs de la compagnie Flixbus ont exigé les identités des voyageurs, après qu’une vingtaine de sans-papiers aient été débarqués d’un bus par les forces de l’ordre, peu après Bayonne. Le maire de la ville, Jean-René Etchegaray, présent sur place presque quotidiennement, est monté au créneau pour s’insurger contre ses pratiques, réservées aux forces de police. Il a part ailleurs dénoncé une discrimination raciale, constatant un contrôle qui ne concernait que les personnes de couleur. La direction de la compagnie a dû dénoncer les faits et le climat semble s’être apaisé.

Climat apaisé

Cette nuit-là, les chauffeurs étaient plutôt habitués des lieux et connaissaient déjà certains bénévoles, à force de passages tous les deux ou trois jours. Ils semblaient assurer que le monde contemporain est suffisamment inquiétant pour que les chauffeurs de bus ne se mettent en plus à contrôler les identités. Fraternité, salutations, départ. Les migrants, quant à eux, après quelques sourires gratifiants, reprennent le masque de l’inquiétude.

Du côté des bénévoles, l’engagement du premier magistrat de la ville est une aubaine qui change la donne. L’autorité publique accompagne l’accueil, comme une normalité. De plus en plus de bénévoles rejoignent la structure et se confrontent à un devoir d’humanité face à des vies déjà froissées. Il faut regarder l’enfant qui veut jouer, sur lequel manquent de trébucher tous les bénévoles et qui a été repêché, sous un pont de Saint-Jean-de-Luz, dans une nuit glaciale et sous des trombes d’eau que les bras de sa mère protégeaient avec peine. Les trois filles prostrées, peut-être majeures, qui voyagent ensemble depuis trois ans. Deux sont enceintes. Celle qui a dû abandonner ses enfants. Celui qui a perdu l’autre dans la traversée. Celle qui ne parle plus. Celles qui ont peur. Et tous ceux qui se perdent sur cette route sans fin.

Du côté des bénévoles,
l’engagement du premier magistrat de la ville
est une aubaine qui change la donne.
L’autorité publique accompagne l’accueil,
comme une normalité.
De plus en plus de bénévoles rejoignent la structure
et se confrontent à un devoir d’humanité.

En attendant que les dortoirs s’éveillent, la nuit reste calme. Et les trois jours suivants le seront. Sur le quai de Lesseps, il se pronostique que la frontière est bloquée. La police française annonce qu’elle reconduit un millier de migrants chaque mois à Irun. Des images de la télévision publique basque ETB montre des policiers français débarquant des sans-papiers sur le sol espagnol. Certains migrants reconnaissent avoir traversé plusieurs fois la frontière et doivent compter pour quatre dans les statistiques. D’autres racontent à l’inverse que la police espagnole les invite à aller se faire mal voir côté français. Un jeu comme un autre si l’on ne sait que faire de ces réfugiés ou de ce milliard d’africains dont l’Europe continue à aspirer les ressources naturelles et les capitaux tout en retenant le flux humain. Et en contribuant largement au dérèglement climatique qui, en Afrique, promet de jeter des centaines de millions de personnes sur les routes. Au Pays Basque, au moins, on leur tend une main.

 

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