Burujabe : Reprendre possession de nos vies (2/2)

1EHBurujabe105 000 personnes ont assisté à l’édition 2018 d’Alternatiba Bayonne et à l’arrivée du Tour Alternatiba. Cette édition a contribué à la mobilisation internationale pour demander plus d’ambition dans la lutte contre le dérèglement climatique, et de promouvoir les alternatives quotidiennes permettant à chacun de le combattre concrètement. Cette année le village des alternatives a mis en lumière et soutenu spécialement les projets territoriaux de sobriété et de transition énergétique, écologique et sociale. A cette occasion, Alda! publie la deuxième partie du fruit provisoire de la réflexion collective “Burujabe” —en euskara Buru (Tête, personnalité) et Jabe (Maître, propriétaire)— en cours au sein de Bizi. Cette réflexion aboutira à la publication à l’occasion d’Alternatiba 2018 d’un livret dessinant les chemins de transition pour avancer vers Euskal Herria Burujabe (souverain, soutenable et solidaire). 

Suite et fin de la première partie : www.enbata.info/articles/burujabe-reprendre-possession-de-nos-vies-12

La croissance économique est arrivée au point où elle rend progressivement impossible la régénération de la vie. Elle nous dépossède des conditions de nos vies (climat, terre, eau, air, logement, alimentation, énergie, histoire, socialisation). Celles-ci sont pour partie d’entre elles remplacées par des substituts payants, pour d’autres simplement détruites et ignorées. Reprendre possession des conditions de nos vies est une nécessité absolue, en premier lieu pour celles et ceux d’entre nous que le système économique menace le plus : sans abris, mères isolées, personnes handicapées, personnes âgées, chômeurs en fin de droits, migrants, travailleurs pauvres, personnes dépourvues du capital culturel et technique devenu indispensable à la survie économique.

Reprise de possession des conditions de nos vies

Les conditions de nos vies n’ont pas de frontière, à commencer par le climat, dont tout le reste dépend. Les conditions de nos vies sont autour de nous, chez nous, en nous, elles sont notre territoire. Nous devons les défendre, les renforcer, pour rendre aujourd’hui nos territoires capables de nous accueillir et de nous nourrir toutes et tous, ainsi que celles et ceux qui après nous feront partie de ce même territoire. C’est cette reprise de possession des conditions de nos vies que nous appelons souveraineté. Nous aspirons à vivre sur un territoire connecté avec son sol et avec l’atmosphère, solidaire avec ses voisins, et où la préservation de la vie reviendra au centre des priorités. Un territoire sobre qui s’inscrit dans les limites de ses ressources et qui cesse de contribuer au changement climatique et à la pollution générale. Un territoire à échelle humaine, qui construit la souveraineté nécessaire pour assurer les conditions de vie de toutes et tous, dans les liens d’interdépendance qui nous unissent et qui nous lient à notre territoire. Ces aspirations universelles se concrétiseront en prenant en compte la pluralité des territoires et de leurs spécificités sociales, écologiques, économiques et culturelles. Nous reprendrons possession des conditions de nos vies selon des modalités adaptées à chaque bassin de vie, qui s’inspireront et se renforceront mutuellement.

Des souverainetés à reconquérir

En tant qu’habitants d’Euskal Herria(1), investis dans ses luttes sociales, écologiques et culturelles, c’est tout naturellement ce cadre territorial que nous avons choisi pour proposer ces pistes pour la reconquête de nos souverainetés.

Souveraineté alimentaire

Rendre l’agriculture d’Euskal Herria apte à nourrir sa population et résiliente face aux aléas climatiques actuels et à venir, mettre un terme à l’artificialisation des sols, réparer les sols agricoles abîmés, réaffecter des espaces périurbains à la production alimentaire, reconnecter production et consommation de la façon la plus directe et robuste possible, développer des modèles agricoles nettement plus sobres en énergie et en intrants, re-municipaliser la gestion de l’eau.

Souveraineté énergétique

Rredéfinir nos besoins vers plus de sobriété et d’équité, et décider ensemble les modalités de production, de distribution et d’usage de l’énergie, qui devra provenir principalement du soleil, du vent et des rivières d’Euskal Herria.

Souveraineté résidentielle

Faire valoir un droit à un habitat digne et accessible qui passe avant le droit d’en avoir deux, un droit de décider d’un système de propriété et de construction sobre et efficace dans son usage de l’espace et de l’énergie.

Souveraineté d’une production recentrée sur l’humain 

Réorienter le système productif vers un modèle assurant une transition écologique et permettant le développement humain des personnes ; reconnaître et mieux répartir le travail reproductif(2) –à l’heure actuelle essentiellement assumé par les femmes– ; abandonner graduellement les productions néfastes où à obsolescence programmée, recentrer sur les biens utiles ; rendre possible et encourager l’autoproduction associative par le biais d’ateliers.

Souveraineté économique

Reprendre en mains nos conditions de travail et les choix de production et d’investissements dans la perspective d’un territoire solidaire et soutenable, et non pour la maximisation du taux de profit des actionnaires. Remettre au centre du débat la finalité du travail et de la production, définir ensemble les besoins essentiels au bien-être de la société et trouver un moyen soutenable de les remplir. Nous avons déjà besoin de l’équivalent de 1,6 planète comme la Terre pour subvenir à nos besoins ; produire davantage et à moindre coût n’est donc pas une solution. Il s’agit de réorienter la production et de s’appuyer sur la relocalisation, le partage des richesses et la réduction du temps de travail.

Souveraineté sociale 

A l’heure où la société s’atomise de plus en plus, il s’agit de reconstituer des communautés larges qui soient source de sécurité et à même d’assurer le minimum matériel et social d’une vie digne. À l’heure où les structures étatiques dérivent de plus en plus ouvertement vers une guerre aux pauvres (réduction des minimas sociaux et de l’aide au logement, flicage des chômeurs, radiations abusives, suppression des services publics dans les zones dites périphériques), il est urgent de reconstruire une sécurité mutuelle.

Une souveraineté solidaire

Un partage radical du travail et des richesses à l’intérieur de nos territoires. Ce partage sera d’autant plus facile à mettre en oeuvre qu’on aura poussé loin la relocalisation des productions et des consommations, et il sera garant d’une société pacifique et durable. Et au-delà de nos territoires, il s’agit de mettre en oeuvre la solidarité mondiale qu’appelle le changement climatique, en appuyant la souveraineté des autres territoires du monde et en accueillant celles et ceux qui fuient une zone devenue invivable.

Souveraineté culturelle

La mémoire collective, la réappropriation de nos langues, de notre Histoire (celle qui n’a pas été écrite par les vainqueurs) tout comme sa création continue par toutes et tous aujourd’hui et demain, sont les garantes d’un peuple résilient, dont les usages (entraide entre proches et voisins, fêtes, créations, initiatives collectives faisant vivre les villages et les quartiers…) ne seront pas remplacés par de l’ersatz payant. Elles sont aussi les garantes d’un peuple ouvert: plus nous savons qui nous sommes, plus nous éprouvons le sens de ce qui nous lie, plus nous serons à même d’échanger avec autrui sans crainte. Le fait que certaines identités, pourtant hégémoniques, se sentent menacées de dilution, traduit leur niveau de déracinement et de désorientation dans un monde où ni la mondialisation ni le retour à des frontières passées ne sont plus d’aucun secours.

Le territoire ; la meilleure échelle d’action

Le climat, la terre cultivée et habitée, l’eau et l’air, les lieux de travail, de repos et de création, la nourriture, l’énergie du vent, du soleil, de l’eau et du bois, l’Histoire et la culture qui nous ont été transmises et dont nous poursuivons collectivement la construction, tout cela constitue notre territoire.

Remettre les pieds sur terre

Il est temps de remettre les pieds sur terre, sur les territoires dont nous sommes partie prenante, pour les faire vivre à la hauteur des enjeux de cette période si cruciale, en régénérant les liens qui ont été abîmés. Un territoire palpable à notre échelle nous donne également une meilleure capacité à gérer la sobriété énergétique, l’aménagement de l’espace, les transports, la gestion des déchets… C’est au niveau local qu’émergent les gisements de sobriété, d’efficacité et d’énergie renouvelables : 50 à 80% des actions concrètes de réduction des émissions de GES et près de 100% des actions d’adaptation sont conduites au niveau infra-étatique.

Défendre chaque territoire du monde 

L’attachement à un territoire et à une communauté humaine est indissociable de l’engagement dans des enjeux globaux comme le sont celui du climat, de la biodiversité, des migrants, de la justice sociale, de l’accaparement des ressources des pays pauvres. Nous tenons à ce territoire, nous le défendons, nous n’accepterons pas qu’il soit pillé, détruit par des guerres, saccagé plus qu’il ne l’est déjà par les grands projets inutiles, balayé par des événements climatiques extrêmes sans que nous ayons pu le rendre résilient. De même, nous ne voulons pas contribuer à infliger à d’autres territoires un tel sort. Prétendre chercher une solution globale au défi climatique est trop souvent une excuse maquillée de bons sentiments qui permet d’alimenter les discussions de salon, mais n’a jusqu’à présent jamais généré d’action cohérente à la hauteur de l’enjeu. Agir à l’échelle des territoires est un objectif sur lequel nous avons prise et qui nous permet de construire ensemble des réponses à des questions universelles. Défendre le monde, ce n’est pas défendre un universel abstrait, c’est défendre chaque territoire du monde et chaque communauté de destin qui l’habite. Ces communautés de destin ont chacune leur vie culturelle propre et leur façon de construire des réponses aux défis actuels et à venir. Cette diversité humaine renforce ainsi la résilience de l’Humanité.

Une solidarité mondiale obligatoire

Ce que l’on met en oeuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour rendre nos territoires résilients sont les mêmes choses, qu’il s’agisse de produire notre énergie renouvelable, de régénérer les sols agricoles, de réemployer les biens matériels, d’utiliser une monnaie locale… En pratique il n’y a pas un choix à faire entre les deux, pas d’hésitation à avoir, ces deux options n’en font qu’une.

Souveraineté soutenable et solidaire

La mise en oeuvre Nous lançons aujourd’hui une réflexion sur neuf axes, tous interreliés :

– Les alternatives territoriales : quels outils et institutions pour une gestion au plus près des besoins de la population, favorisant la maîtrise par les habitants des conditions de leurs vies?

– Une économie féministe et soutenable, qui cesse de déconsidérer le travail de soin et d’en charger quasi-exclusivement les femmes, et qui remet au centre des activités humaines la vie ainsi que le respect des capacités écologiques du territoire et de la biosphère.

– Agriculture et ressources naturelles : comment construire une réelle souveraineté alimentaire, durable et résiliente face aux événements climatiques extrêmes à venir ?

– Transport et mobilités soutenables : nettement réduire la dépendance à la voiture et au fret routier, réduire les besoins de déplacement.

– Sobriété : mutualiser, réduire les besoins d’achats et la consommation énergétique, repenser l’aménagement du territoire.

– Réemploi, réparation et recyclage : favoriser l’économie circulaire à faible coût énergétique et mettent fin au gaspillage.

– Solidarité et partage : repenser la gestion des biens communs, la fiscalité, la politique du logement, impulser la tarification sociale, partager le travail et les richesses, multiplier les initiatives citoyennes et institutionnelles et offrir un accueil digne aux migrants, pour une société pacifiée et équitable. – Relocalisation : vivre et décider au pays, produire et consommer au plus près.

– Énergies renouvelables : pour cesser d’alimenter le changement climatique, réduire nos besoins énergétiques et y répondre par le biais du soleil, du vent, des rivières et du bois. Ces axes sont interreliés, pas comme des rouages interchangeables d’une machine, mais comme des systèmes, dont les initiatives respectives se renforceront mutuellement si elles sont conçues ensemble.

 (1) – Pays Basque

 (2) –  Ensemble des activités aboutissant à la reproduction de la force de travail : mettre au monde, élever et éduquer des enfants, ce qui inclut également le travail domestique d’entretien d’un foyer- Ensemble des activités aboutissant à la reproduction de la force de travail : mettre au monde, élever et éduquer des enfants, ce qui inclut également le travail domestique d’entretien d’un foyer

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