Il incarna le réveil national corse

EdmondSimeoni

L’Edito du mensuel Enbata

Ils étaient plus de 3.000, patientant une heure devant l’église Saint-Roch de Bastia, ce vendredi 17 décembre, venus se recueillir sur la dépouille d’Edmond Simeoni, décédé trois jours plus tôt, à 84 ans, à l’hôpital d’Ajaccio où il fut médecin gastro-entérologue. Ses obsèques, retransmises en direct par France 3 Corse, rassemblaient autour de sa famille, les militants de la cause corse dans leur diversité mais aussi quasiment tous ses adversaires politiques respectueux de cette figure emblématique du nationalisme corse et jusqu’aux représentants de l’Etat français sur l’île.

Les plus fameux chanteurs polyphoniques de l’île se serrent devant la tête de Maure qui recouvre le cercueil. Ils se souviennent qu’Edmond fut l’artisan de leur singulier réveil vocal aujourd’hui universel.  Son fils, Gilles, aujourd’hui président de l’exécutif corse, prend le dernier la parole : “avant de mourir, mon père m’a confié : dis à tous mes compagnons de lutte que je pars tranquille, que si nous faisons ce qu’il faut, notre pays se fera.

Cet homme d’exception, tel Sabino Arana Goiri pour les Basques, a révélé aux Corses qu’ils étaient une nation. Après des études à l’université de Marseille, où il rencontre sa femme Lucie, militante communiste issue d’une famille juive polonaise, il retrouva une Corse saignée à blanc par l’exil d’une population exsangue, gangrénée par le clanisme, économiquement sous-développée, amnésique de son histoire et de sa civilisation millénaire.

Depuis son achat à la République de Gênes, suivi d’une conquête militaire en 1769, la Corse n’est qu’un appendice de la France en Méditerranée. Le destin de chaque Corse n’est vécu que dans cette allégeance. Les colonies de la République fourmillent de fonctionnaires et de colons corses de tous niveaux. Les administrations préfectorale, policière, pénitentiaire, universitaire, font les carrières des insulaires alors que les clans maintiennent sur l’île, par les subventions de Paris, une clientèle de prébendes, d’emplois publics et de petits boulots entretenant ainsi un territoire en survie afin d’accueillir lors des fêtes traditionnelles la diaspora dans les ferveurs familiales et l’édification de caveaux ostentatoires.

Le jeune médecin découvre une parodie de vie démocratique, faite de trucages de listes électorales, de bourrages des urnes, jusque dans les plus petites des 350 communes accrochées aux flancs des vallées. C’est d’abord la nécessité d’un choc civilisationnel qui se transformera en une prise de conscience politique puis patriotique.

Rencontrant plus tard, un jour de juin 1983, François Mitterrand, président de la République, qui lui demanda : “que voulez-vous ?”, Simeoni avait lâché à son interlocuteur sidéré : “la démocratie”.

Le premier engagement d’Edmond Simeoni est de type régionaliste, à la tête de l’Action régionaliste corse (ARC), fondée en 1970. Il y façonne une doctrine protéiforme : dénonciation du clan, de la spéculation financière, de la défense de l’environnement contre les boues rouges de la Montedison, mais aussi la résurrection de la langue et de la culture corse inscrite dans le rappel de l’histoire ancienne et plus récente de l’éphémère République de Pascal Paoli qui écrivit la première constitution démocratique dont s’inspirèrent les Etats-Unis d’Amérique.

La dimension nationale était donc donnée et l’adversaire en prit la mesure par la menace et les plastiquages du domicile familial.

Aléria” fut le point culminant de ce choc de plaques tectoniques. Le 21 août 1975, “Edmond” prend la tête d’une quinzaine d’hommes armés de fusils de chasse et investit une cave viticole d’Aléria, dans la plaine orientale, pour dénoncer les passe-droits dont bénéficient les pieds-noirs. Michel Poniatowski, ministre de l’intérieur, fit donner l’assaut par 2.000 gendarmes, appuyés par des blindés et des hélicoptères. Deux militaires ne s’en relèveront pas. Les militants hissent le drapeau blanc et se rendent. Edmond, emprisonné est déféré devant la Cour de sûreté de l’Etat, juridiction d’exception qui sera dissoute en 1981 à l’arrivée de Mitterrand à l’Elysée et Edmond amnistié.

En mai 1976, apparaît le Front de libération national corse (FLNC).

Victime d’un infarctus en 1983, Edmond Simeoni se place en retrait de la vie politique bien que conduisant la tendance autonomiste du mouvement national.

Tout en soutenant avec ferveur les prisonniers politiques dont il “se sent responsable d’une partie de leur destin”, dira-t-il face à la justice, il pressent et dénonce un risque d’affrontement fratricide entre patriotes qui, hélas, entraînera une trentaine de morts quinze ans plus tard.

Orateur talentueux, tant en langue corse qu’en français, auteur de multiples ouvrages dont le premier, Autonomia, préfigura toute la trajectoire historique de la Corse. Il partagea avec son frère Max qui, déjà à Aléria, de l’extérieur, l’informait en direct, cette “lutte exclusivement démocratique, non-violente, notre arme absolue que l’Europe reste un grand dessein à bâtir”.

J’ai eu l’honneur d’oeuvrer avec Edmond Simeoni en 1974, à l’Euskal Etxea de Paris, à la candidature aux élections présidentielles de Guy Héraud, universitaire de Strasbourg, qui inséra nos combats identitaires respectifs dans l’humanisme fédéraliste.

L’homme à l’intelligence vive, habité d’un patriotisme ardent, que j’ai alors rencontré, allait bouleverser l’histoire de son pays.

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