Madonna, les blacks et les basques

La rumeur, le mythe ou les faits racontent que Madonna a rencontré le trio de chanteurs basques Kalakan lors de son anniversaire, pendant des vacances à Bayonne, il y a deux ans. Les personnes bien intentionnées qui se sont occupées de Madonna lui auraient fait découvrir ce groupe qui est un des vecteurs du revival de la culture basque, particulièrement dans la redécouverte d’un instrument presque oublié, la Txalaparta, qui ressemble à quelques planches de bois sur lesquelles on tape avec des pilons. Madonna a tout de suite compris la beauté de ces chants et l’aspect visuel et sonore de l’ensemble. Elle a choisi ce groupe pour l’inclure dans sa tournée MDNA.

J’ai beau chercher, je vois très peu d’articles de fond sur la réappropriation de cet aspect de la culture basque, et donc partiellement française, par Madonna. Souvent, ça se résume à Bon, qu’est-ce qu’elle nous a pondu encore ? On pourrait imaginer que les Français de souche s’émerveillassent d’un élément du folklore de chez nous exposé au niveau mondial. Ça change de l’accordéon le soir de l’élection de François Hollande, non ? Et puis, à un moment où tout le monde se sent mal dans ce pays, ça fait du bien au cœur, sans même parler de chauvinisme. Comme toujours, les médias se montrent insensibles à tout ce qui est basque puisque c’est une minorité qui pose des problèmes (ben non, justement).

Alors que cette région est un des rares endroits en France où l’on note une résurgence de l’engagement militant des jeunes à travers le combat écolo régional et les actions parfaites de l’association Bizi, le groupe Kalakan a séduit Madonna, ce qui est un exploit en soi.

Kalakan&Madonna

Je ne m’intéresse plus aux concerts, je l’ai déjà dit. Cela me fait plaisir de voir des affiches de Keith Sweat dans le métro quand je viens à Paris parce que je sais que ces artistes ont toujours fait l’impasse sur la France (le marché n’était pas là dans les années 90), mais je trouve cette industrie musicale écœurante et cela fait plusieurs années que je ne surveille plus ce que fait tel ou tel groupe sur scène. J’aime trop les machines électroniques pour revenir en arrière et le récent docu sur Kraftwerk diffusé sur Arte m’a conforté dans l’idée qu’il faut apprécier le concert quand on est jeune car ça fait partie des expérimentations de la vie, au début. À mon âge, je n’ai plus beaucoup de curiosité pour les performances de quelqu’un qui chante dans un micro.

Mais Madonna parvient toujours à incorporer des éléments scéniques provenant de l’underground et des minorités. Dans le DVD de sa dernière tournée, on trouve un petit docu qui raconte, comme elle le fait toujours, le processus des répétitions de ses danseurs. On y voit le côté multiethnique qui est sa marque, avec des noirs, des arabes, des asiatiques, des filles et des garçons, des hétéros et, à nouveau, des gays clairement identifiés. On y découvre une nouvelle technique de danse sur des cordes, le slackline, super difficile (à la base, c’est du skate ou du break sur des cordes, le genre de truc qui pourrait passer dans un cirque incorporant les idées de la rue). Question Voguing, certains blacks de sa troupe se sont spécialisés dans une contorsion des épaules et des bras tellement hallucinante que ça fait peur, c’est du Willie Ninja qui aurait pris de la morphine pour se casser les articulations. Et puis, il y a ces danseurs français de breakdance, parmi les meilleurs au monde comme Yaman,  Lilou et Brahim, qui ont la possibilité de s’exprimer devant des stades, et ça aussi ça fait chaud au cœur.

Et au milieu de tout ça, à un moment, le groupe Kalalan commence une version improvisée de Candy Shop en chantant le chorus et en tapant sur leurs tambours et Txalaparta. En l’espace de 3 heures, cette impro devient un moment de transe pure avec tous les danseurs suivant une chorégraphie démoniaque, rajoutant le rythme latin du clapping des mains à quelque chose qui est, au départ, complètement basque. On regarde ça, la joie sur les visages de tout le monde, Madonna qui assiste à la scène avec un sourire car, quand même, c’est un hommage spontané à un de ses tubes modernes, et elle finit la répétition d’une manière retenue, en disant «il y a des tonnes d’idées dans ce qu’on vient de voir, il faut revenir dessus» et elle dit merci en partant.

Moi je me disais, cette version basque de Candy Shop va forcément figurer dans le concert, c’est génial tel quel. Ça aurait rendu le public dingue. Mais la présence de Kalalan est incorporée au concert d’une manière plus subtile, comme l’explique un des membres du groupe qui dit, forcément, qu’il est heureux de fusionner la culture basque avec une artiste moderne. On se trouve exactement dans le même contexte que Ravi Shankar ou Alan Stivell dans les années 70. Madonna est une éponge et modifie le look et l’apport musical basque avec des artistes qui sont heureux de voir leur culture cachée (en France) reprise par une artiste de très haut niveau. Pour eux, l’exposition est maximale. Non seulement ils sont basques mais, dès le début du concert, on les voit chanter et jouer dans des costumes qui sont plus proches de la culture inca que celle de l’Euskadi. C’est malin. Ils se prêtent à ce jeu car ils savent qu’ils ne sont pas « récupérés » par Madonna. Leur culture est fusionnée avec d’autres cultures disparues pour renaître encore plus fort. C’est comme si des basques avaient été repris dans le film de Mel Gibson, Apocalypto.

Kalakan&Madonna1

Madonna utilise le sous texte des sonorités antiques du peuple basque, un des plus anciens d’Europe, pour une intro qui est dans la droite ligne de l’Heroic Fantasy (à ne pas mélanger avec les fanfreluches de Mylene Farmer). Elle se démarque ainsi de Lady Gaga qui pille la culture avec cynisme et sans vergogne, ce qui est conceptuellement très puissant pendant un certain temps, mais qui finit toujours par lasser car c’était prévu: le pillage culturel, c’est toujours du pillage. Et il y a une chose que l’on peut dire sur cette tournée MDMA qui a été si critiquée, c’est que Madonna se présente à l’opposé du spectre Gaga. C’est une femme affectueuse, humaine, incroyablement proche de son public, même si elle ne peut pas s’empêcher de faire toujours des moments vraiment ringards.

Évidemment, il est facile d’imaginer l’attrait de Madonna pour tout ce qui est basque. J’ai le même âge qu’elle, on a les mêmes références. Elle est au courant du passé aristocratique de Biarritz au XXème siècle, elle est érudite sur l’influence architecturale basque dans l’urbanisme californien, elle doit raffoler de la cuisine et je ne parle pas des tissus basques, ça doit la rendre folle de voir ces bandes de couleurs primaires sur des bâches pour bovins. En plus, je me suis toujours demandé s’il y avait une influence basque sur les couvertures Hudson Bay (mais là je divague).

Madonna s’est dirigée tout de suite vers ces sons mystérieux de Kalalan, quelque chose qui relie le pays basque à l’Afrique, un instrument rudimentaire qui fait penser à ceux que l’on voit dans le film Marley, quand on montre ce que les Jamaïcains utilisaient dans les campagnes avant l’invention du reggae. Bob Marley était un country boy au départ, il a grandi à la campagne, il aimait s’occuper des bêtes et des champs. Et la musique basque choisie par Madonna est essentiellement pastorale. Elle aurait pu choisir les chants corses ou bulgares, mais elle se dirige vers une musique encore moins connue. C’est son job. Depuis toujours, Madonna a révélé au monde entier des sous mouvements ethniques, que ce soit le Voguing ou le Krump. Et, comme par hasard, cette jonction entre minorités noires et autres minorités cachées se prolonge avec le festival Black and Basque du mois dernier, où figurait justement Kalalan. Madonna est donc le lien manquant entre les noirs et les basques. Fin de l’exposé.

Finalement, il y a peu d’artistes qui font ça, on connaît Eno, Peter Gabriel, toussa. La présence de Kalalan dans la tournée MDMA a été finalement peu remarquée par les médias français. On se demandait: mais qui c’est ces mecs avec leurs tambours? Est-ce le mépris pour une artiste que les journalistes français n’ont jamais réussi à séduire (parce qu’ils sont vraiment trop cons) ou est-ce plus simplement le symbole du désintérêt de notre pays pour les cultures minoritaires, la langue basque, etc?

Il faut donc que ce soit une américaine qui remarque une merveille de notre culture commune. Et le fait que cet épisode n’ait pas été mis en valeur par les médias français atteste de l’envie délibérée d’étouffer ces cultures. La majorité du pays n’y voit qu’un danger indépendantiste alors qu’on nous fatigue à longueur d’année avec le patrimoine et ces journées effrayantes de visites pompeuses dans les ministères de notre beau pays.

Le patrimoiiiine!

Nous disposons de milliers de courants culturels et spirituels à mettre en valeur.

Mais ce que l’on nous montre, c’est surtout Chambord et le Made in France.

Article publié dans : www.minorites.org/index.php/2-la-revue/1518-madonna-les-blacks-les-basques.html

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