
La consommation d’alcool baisse, notamment chez les jeunes, ce qui fragilise l’une des principales sources de financement du mouvement abertzale. Celui-ci doit s’adapter et réinventer son modèle de fête, faute de quoi il risque de perdre son indépendance.
Que se passera-t-il quand nous ne boirons plus ? Y aura-t-il à l’Aberri Eguna ou Herri Urrats des mètres linéaires de bar de kombucha ? Alors que la consommation d’alcool diminue aussi sûrement que le prix des matières premières augmente, c’est, au-delà d’un enjeu de santé publique, une vraie question stratégique pour l’indépendance du mouvement.
Patron, la bouteille est percée
La fête change. Et pour un mouvement dont le modèle économique s’est construit en toute indépendance grâce, notamment, à l’astucieux alliage du talo sec et de la bière fraîche, ne pas anticiper, c’est risquer de tituber. Bonne nouvelle pour notre espérance de vie (l’alcool est responsable de 41 000 décès par an) : la consommation d’alcool est en nette diminution. Depuis 30 ans, la part des adultes déclarant boire de l’alcool tous les jours a été divisée par trois. S’ils étaient 37% à affirmer ne pas consommer d’alcool chaque semaine, ils sont désormais 61%.
C’est aussi du côté de la jeunesse que des changements significatifs s’observent. L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives a montré en 2022 un désintérêt croissant de la jeunesse pour l’alcool : un jeune de 17 ans sur cinq a déclaré ne jamais avoir bu d’alcool de sa vie (soit cinq points de plus qu’en 2017). La part des jeunes ayant consommé de l’alcool au moins une fois en un mois a diminué de 12% entre 2017 et 2022.
Que se passera-t-il quand nous ne boirons plus ?
Y aura-t-il à l’Aberri Eguna ou à Herri Urrats
des mètres linéaires de bar de kombucha ?
L’alcool en soirée perd la cote. Probable que son chapelet d’effets secondaires, des comportements agressifs en passant par l’augmentation des violences sexuelles et une certaine vision masculiniste de la fête, n’y est pas pour rien. Le dry january, défi consistant à ne pas boire d’alcool au mois de janvier, quant à lui, fait de plus en plus d’adeptes. À bas le houblon, place au thé fermenté !
Qu’importe le flacon
Oui, mais voilà : le mouvement abertzale, qui a déployé une habileté exceptionnelle à développer ses projets malgré l’oppression qu’il subissait, s’est notamment appuyé sur les recettes tirées de l’événementiel. Organisation d’Herri Urrats pour financer les nouvelles infrastructures de Seaska, tenue quasi mensuelle d’événements populaires par les ikastola pour faire tourner leur modèle économique, en passant par toutes les fêtes de village aux gros événements de mobilisation de masse : la fête, et notamment le bar, est un substitut efficace à l’argent public.
Mais elle doit savoir se réinventer. Si la diminution de la consommation d’alcool va probablement dans le sens de l’histoire, le mouvement doit savoir s’y adapter, faute de voir son modèle économique – et donc son indépendance – fragilisés. La hausse des matières premières (que ce soit sur l’alcool, la nourriture ou l’énergie) ou les difficultés rencontrées par les artistes qui ont moins de souplesse pour faire des cachets militants, s’ajoutent à la tendance croissante à plus de sobriété. Pourtant, le risque de plus en plus réel d’arrivée du Rassemblement national au pouvoir, synonyme de coupes encore plus drastiques pour les associations, le secteur culturel ou l’euskara, nous impose d’entretenir et cultiver cette capacité d’auto-organisation et d’autonomie de financement.
Bière sans alcool à la tireuse, droits d’entrée quand cela s’y prête, concours de cuisine pour diminuer les coûts de restauration, mais aussi autres formes de mobilisation comme les vide-greniers, les kermesses ou les karaokés : c’est probablement de notre capacité de diversification que viendra la solution. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse de la lutte.

Intéressant point de vue, et lire dans le même numéro celui d’Elise Dilet sur la consommation de viande nous amène à élargir le champ: viande et alcool sont aussi des marqueurs d’une certaine masculinité ostentatoire, qui à la fois prétend que manger moins de viande affaiblit le corps (ce qui serait tacitement acceptable pour une femme mais pas pour un homme), et qui valorise positivement chez un homme (mais plutôt négativement chez une femme) le fait de « tenir » l’alcool.
Je n’aurais rien contre des mètres linéaires de konbutxa (à condition qu’il soit local) à Herri Urrats, ni contre du houmous, de la crème de haricot Tolosa ou du piment Gernika frit dans le talo. Diversité agricole vaut mieux que normativité consommatrice.