Voici la seconde partie de ce parcours parmi quelques monuments de l’art funéraire du Pays Basque Nord. Ce choix forcément subjectif montre la qualité de ces monuments qui restent pour beaucoup d’entre eux à l’air libre, dépourvus de toute protection tant juridique que matérielle, avec les risques de disparition et de dégradation évidents.
D’où l’appel lancé aujourd’hui par l’association Lauburu en faveur d’une politique publique visant à protéger et valoriser cet aspect majeur de notre culture.

Cette spectaculaire croix « navarraise » du cimetière ancien de Saint-Jean-Pied-de-Port est celle de Jean Louis Félix O’Kennedy. Ce capitaine d’origine irlandaise est né à Corte en Corse en 1789 et il décède en Pays Basque en 1832. Sur ce monument de haute taille, est sculptée une croix de chevalier de la Légion d’honneur impériale. Les camarades officiers du régiment de O’Kennedy lui ont en outre offert une imposante plate-tombe sculptée «pour perpétuer sa mémoire et leurs regrets». Il s’agit d’un des plus beaux monuments de ce cimetière qui pourtant n’en manque pas.


Cette stèle de 1651 est celle de la senora (dame) de Apalas à Orzaitze. Elle a évidemment un lien avec la maison Apalasia située à l’entrée de ce village et dont la façade ouvragée est connue en Iparralde.

Les croix métalliques pourraient sembler un art mineur dans le patrimoine funéraire basque. Elles ont toutes largement disparu du fait de la corrosion du fer. Le cimetière ancien de Donibane Garazi en offre une belle collection datant de la seconde moitié du XIXe siècle. Celle-ci est assez caractéristique de la production en pays de Cize, avec l’usage de cœurs aux extrémités et un sacré-cœur surmonté d’une croix en son centre. Ces croix portent parfois des boules de laiton, comme sur les balcons de fer forgé créés à la même époque.

Au pied d’une croix « navarraise », voici une belle rosace sculptée. Comme si, par-delà les évolutions de styles et de modes des monuments funéraires, le cercle de la discoïdale perdurait et résistait dans le schéma mental du sculpteur basque. Quitte à l’écraser sous le signe dominant de la croix.

En pays de Cize, les symboles de l’ancienne religion —ici soleils et étoiles— demeurent vivants aux côtés de la croix chrétienne. Un exemple parmi d’autres du syncrétisme religieux à l’œuvre dans notre pays.

Aperçu du cimetière ancien de St-Jean-Pied-de-Port. Il s’agit d’un des rares cimetière basque urbain où une population venue d’ailleurs (fonctionnaires, commerçants, militaires) fait souche et choisit souvent pour ses défunts un type de monument propre à la Basse-Navarre. Longtemps laissé à l’abandon, l’ensemble de ce site d’environ 350 tombes, a conservé sa cohérence. Pour en savoir plus https://www.terresdenavarre.fr/vieux-cimetiere-de-saint-jean

Jusqu’au XIXe siècles, stèles et croix étaient peintes, parfois de couleurs vives. Voici un exemple de remise à l’honneur de cette pratique en Pays de Garazi. A propos de cette démarche: https://www.enbata.info/articles/pour-un-art-lapidaire-basque-colore/

Toute la discrétion voilée de mystère d’une stèle souletine.

Le passage du temps n’a pas effacé l’arbalète et ses carreaux, l’épée et le bouclier du soldat. Avec la stèle suivante, ce très rare monument figure au centre de Larceveau. Sur Youtube, vous pouvez écouter le père Marcel Etchehandy présenter en euskara ce Centre et plusieurs de ses monuments. Premier épisode d’une série de six : https://youtu.be/_Zohxx5PWZU?feature=shared

Comme tout droit sortie de la paroi d’une grotte préhistorique, un chasseur en action et les animaux qu’il convoite.

En pierre de Bidache, une croix spectaculaire de la région de Guiche. Elle se trouve aujourd’hui au Centre d’interprétation de Larzabale. Sur Youtube, voir un montage audio-visuel de l’ensemble des monuments conservés dans ce Centre : https://youtu.be/72TPhGatiI8?feature=shared, sur la musique du Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen. Ou bien https://youtu.be/tGgLQ3q0Kpg?feature=shared, sur une musique de Marin Marais, interprétée par Jordi Savall.

Stèle d’un village de Cize. La part de mystère qui entoure ses signes ont, dès l’entre-deux-guerres, frappé le bascologue et artiste Philippe Veyrin. Sur cette stèle, voir : https://www.enbata.info/articles/une-stele-bas-navarraise/

Voici la stèle de Bereterretxe à Etchebar en Soule. Elle témoigne d’un évènement qu’évoque la célèbre chanson de Bereterretxe dont les 17 couplets nous sont parvenus de bouche à oeille, depuis le XVe siècle : « Haltzak ez dü bihotzik,/ Ez gaztanberak hezürrik./ Ez nian uste erraiten ziela aitunen semek gezurrik./ Andozeko ibarra,/ Ala zer ibar lüzia!/ Hiruretan ebaki zaitan armarik gabe bihotza…». Il s’agit d’un des textes les plus anciens de la littérature orale basque. Sculpture et vers évoquent l’assassinat de Bereterretxe —peut-être pour un droit de cuissage ou bien suite à un conflit politique avec la famille de Gramont— sur ordre de Louis de Beaumont, comte de Lérin et connétable de Navarre, en poste au château de Mauléon entre 1446 et 1449. Pour entendre Bereterretxen khantoria, voici l’interprétation de Lucien Larraus « Joa » : https://www.youtube.com/watch?v=VkhXCAQOPKo

Avec sa simplicité forte et rigoureuse, une stèle de la vallée d’Hergarai, au lever du jour.

Sur le thème de l’arbre, une stèle tabulaire contemporaine, réalisée par la plasticienne Christiane Giraud.

Au cimetière d’Arrosa, stèle du XXe siècle sculptée par Christiane Giraud. Cette artiste qui a réalisé assez peu de monuments funéraires détient dans son atelier un ensemble remarquable de maquettes de stèles discoïdales en Siporex. Elles mériteraient de se concrétiser un jour dans la pierre, souhaitons que leur créatrice se remette à l’ouvrage.

A Donaixti, tombe de Elixiri, Lazkarai et Erdozaintzi, avec une stèle récente au nom de la maison Errekartea. Réalisée par le sculpteur trop peu connu Piarres Erdozaintzi-Etxart, elle témoigne du renouveau de l’art funéraire basque aujourd’hui qui va de pair avec la création des cimetières paysagers.

Stèle contemporaine réalisée par le sculpteur Piarres Erdozaintzi-Etxart, à l’intention du maire de Behorlegi Manex Unhassobiscay et de son épouse (maison Etxebestea), tous deux disparus très jeunes. Dans le lointain, le fameux pic. Centre irradiant, intensité du rayonnement, disque bien défini, axe vertical et axes secondaires hiérarchisés, équilibre et mouvement, jeu sur les surfaces et le grain de la pierre, élan vers le ciel… rien ne verse ici dans l’anecdote ou le divertissement. Cette stèle vibre comme un hymne à la vie, un défi jeté à la face de la mort.

En l’église de Bazkazane, quelques témoins du rituel funéraire basque où les femmes qui donnent la vie, jouent un rôle déterminant. Sur les jarleku, deux ezko sont allumés devant la chaise où se tient en principe la maîtresse de maison. Pour en savoir davantage : https://www.enbata.info/articles/le-rite-funeraire-ezkoa-renait/
Le village guipuzkoan d’Amezketa est le seul du Pays Basque à conserver vivant ce rite qui, en Hegoalde, prend le nom de argizaiola : https://www.youtube.com/watch?v=zrmqca5O288

Et pour achever ce voyage, faisons une pause en l’église de Bascassan, devant son admirable retable polychrome, peint vers le XVIIe siècle par les habitants de la paroisse, aux confins de l’art populaire et de l’art brut. Voir : https://bazkazane.blogspot.com/ Cette église est une des dernières à conserver ses chaises nominatives installées hier encore par la benoîte, sur une place bien précise.
+ Plusieurs lieux publics présentent des stèles et croix anciennes de notre pays
Le Musée Basque de Bayonne : https://youtu.be/1dEREmLGNUE?feature=shared
Le Musée de Basse-Navarre à St Palais : https://youtu.be/7OZnqtE3iwE?feature=shared
Le Centre d’interprétation de la stèle discoïdale à Larceveau : https://youtu.be/tGgLQ3q0Kpg?feature=shared
Le Musée de San Telmo à Donostia, avec un très bel ensemble de argizaiola.
Le petit musée des stèles à Abaurregaina en Haute-Navarre.
La collection de Lizoain-Arriasgoiti en Haute-Navarre.
Le Musée archéologique de Bilbao, avec des monuments primitifs qui annoncent clairement la stèle discoïdale.
La nécropole d’Argiñeta près d’Elorrio en Biscaye.+ Eléments de bibliographie
Le livre de Lauburu paru aux éditions Elkar en 2004 constitue l’ouvrage de référence sur le sujet : Les stèles discoïdales et l’art funéraire basque: Hil Harriak, 187 pages, 45 e.
Ajoutons les synthèses publiées dans deux numéros de la revue Zodiaque, n° 156 d’avril 1988 et n° 161 de juillet 1989, sous les plumes respectives de Michel Duvert et de Marcel Etchehandy : https://www.blogger.com/blog/post/edit/8218393784162170298/4506766065367100761
On peut trouver chez des bouquinistes le monumental ouvrage en deux tomes de Louis Colas, La tombe basque, paru en 1924, qui rassemble 1300 inscriptions funéraires et domestiques. Sur cet auteur, un article de Michel Duvert dont vous trouverez ici le compte-rendu: https://www.enbata.info/articles/louis-colas-et-son-epoque/+ Un film
Le cinéaste de notoriété internationale Victor Erice a réalisé en 2019 un court-métrage Harria eta zerua, Pierre et ciel, à la demande du Musée des Beaux-Arts de Bilbao. Pendant 24 heures, il filme une stèle monumentale réalisée en 1958 par le sculpteur Jorge Oteiza (1908-2003), en hommage au musicologue Aita Donostia. Elle se trouve en pleine nature à Agiña, sur un site montagneux riche en cromlechs, qui domine Lesaka (Navarre).
L’oeuvre d’Oteiza se présente comme un cercle creusé et légèrement décentré dans le carré d’un bloc de pierre grise. Un petit oratoire contenant un vitrail est construit à quelques pas de là. Victor Erice nous montre la vie de cette sculpture et de l’oratoire, pendant 24 heures extrêmement envoûtantes : l’aube, le soleil de midi, la lumière du soir et le couchant, la nuit noire, la voie lactée ses étoiles et la lune. Un cycle éternel et immuable avec le souffle du vent dans les arbres, les bruits de quelques animaux invisibles, le rythme de la nature et le passage du temps. La stèle aux reliefs et aux ombres changeants s’intègre dans un cycle cosmique cher au Père Marcel Etchehandy. Il lui donne tout son sens.
Certes, « le silence éternel des espaces infinis [nous] effraie ». Mais le talent du cinéaste Victor Erice filmant une simple stèle dans la campagne, nous fait toucher du doigt la dimension métaphysique de la création lapidaire basque, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui. « De la simplicité dans laquelle la terre et le ciel, les divins et les mortels se tiennent les uns les autres, le bâtir reçoit la direction dont il a besoin pour édifier les lieux » (Martin Heidegger).