Après ETA…

Le secrétaire général du syndicat ouvrier ELA, Txiki Muñoz.
Le secrétaire général du syndicat ouvrier ELA, Txiki Muñoz.

Après la dissolution d’E.T.A., le secrétaire général du syndicat ouvrier ELA, Txiki Muñoz analyse les positions des camps en présence à Madrid et à Gasteiz et en tire un certain nombre de conclusions à l’heure de définir quelle stratégie souverainiste on peut et on doit mettre en place en Pays Basque Sud.

ELA apprécie à sa juste valeur, historique et positive, la disparition d’ETA. Maintenant que ce cycle, très compliqué, est clos, il reste d’importantes questions à aborder telles que la normalisation politique, les victimes, les prisonniers, le devenir institutionnel…

“C’est le tour de l’Espagne”

Même si la fin d’ETA était chose annoncée, nous devons nous en réjouir. Ça ne semble pas être le cas pour tous. Sa disparition devrait permettre l’ouverture d’un nouveau cycle dans lequel les projets politiques pourraient se confronter de manière civile et démocratique, sans mêler revendications légitimes et pratiques violentes.

L’État se chargera lui-même de mettre en place les obstacles antidémocratiques. Force est de constater qu’il y a un intérêt de la part de certains à maintenir la politique prisonnière d’une guerre interminable de récits.

L’Etat espagnol n’a pas voulu d’une fin ordonnée d’ETA. Il continue de faire obstacle à la normalisation politique parce qu’il veut affaiblir ainsi le souverainisme et éviter le développement d’un projet alternatif de gauche. Ses deux objectifs sont cohérents avec son agenda involutif dans tous les domaines : auto-gouvernement, droits de l’homme, érosion de la démocratie, corruption… En ce qui concerne l’auto-gouvernement (du Pays Basque), cet agenda involutif est clairement revendiqué par certains ministres du PP voulant que l’État récupère un certain nombre de compétences. “C’est le tour de l’Espagne” affirment-ils. Et cela, bien évidemment, en imposant des politiques antisociales qui augmentent les inégalités.

Après la disparition d’ETA, il faut se demander si l’objectif d’affaiblir le souverainisme et de court-circuiter une alternative politique et sociale de gauche intéresse uniquement le bloc PP-PSOE et Ciudadanos. La réponse demande de prendre en compte certaines choses bien précises.

Trois constats sur les relations PP/PNV

Premièrement, PP et PNV ont besoin l’un de l’autre. Ils défendent un modèle de société conservateur. Ils figurent ensemble sur tous les grands accords concernant les politiques économiques (budgets, fiscalité, règle de dépenses, politiques d’austérité, TAV…). A Madrid, à Gasteiz et dans les diputaciones. Urkullu invoque l’argument de la “stabilité” pour justifier l’application de ces politiques, il soutient le patronat, ne tolère pas la pensée critique et a renoncé à toute confrontation avec l’Etat. La société civile organisée dérange sa conception “institutionnelle” de la politique. Les néolibéraux ne se disputent pas entre eux quand leurs intérêts économiques sont en jeu.

Deuxièmement, Andoni Ortuzar, leader du PNV se montre satisfait de la situation actuelle. Face à l’involution actuelle de l’Etat espagnol, la plus grave de ces 40 dernières années, il affirme que “jamais auparavant le PNV n’avait autant influencé la politique espagnole”. Vraiment ? Un observateur avisé conclurait que la vie politique a fini par se convertir en une simple représentation théâtrale. Convaincu de son “influence”, il est normal qu’il ne juge pas nécessaire de changer de stratégie, d’objectifs et d’alliances. Les choses vont bien pour eux. Partager les mêmes politiques néolibérales les amène à appuyer le PP en prétextant le risque Ciudadanos. En Espagne, la droite économique (Ibex-35(1)) a anticipé l’usure du PP en soutenant de nouveaux leaderships dans la droite politique. L’argent joue sur plusieurs tableaux au gré de ses intérêts. Ciudadanos pourrait remplacer le PP comme premier parti pour consolider une Espagne encore plus intolérante envers les nations sans Etat et, bien évidemment, toujours plus complaisante envers l’argent. Quant au PSOE, il est prévisible : il a réformé l’article 135(2) de la Constitution (la décision la plus dure de la crise), il soutient l’application de l’article 155 en Catalogne, il revient sur les avancée fiscales qu’il avait accordées en son temps avec Bildu en Gipuzkoa et, là où il gouverne, applique les mêmes politiques que le PP et le PNV.

Troisièmement, le PNV renonce à tirer des conclusions des paroles prononcées par Rajoy lors de la Convention du PP à Séville(3) : “Maintenant les élus savent ce qui arrive quand on fait ce qu’il ne faut pas faire” : la prison.

Le PNV dépolitise la société basque

Les absences et présences à Kanbo et Bertiz(4) se comprennent si on tient compte de tout ce qui précède. Urkullu rejette toute conception participative qui octroierait un rôle réel à la société civile organisée. Il ne veut rien partager avec personne. Il parle de la Catalogne en regrettant que “depuis 2010, il y a une superposition de la démocratie participative qui conditionne la vie institutionnelle”.

Urkullu parle de la Catalogne
en regrettant que depuis 2010,
la démocratie participative y conditionne
la vie institutionnelle.

Il sacralise le champ institutionnel comme unique domaine d’action politique. C’est ce qui ; avec sa volonté d’une gestion exclusive de l’agenda post-ETA ; explique son absence à Kanbo. Ce n’est pas la première fois qu’il agit ainsi. Quand il a été informé du plan de désarmement du 8 avril 2017, il a prétendu en modifier son déroulement et, constatant qu’il n’y arriverait pas, il a contre-programmé une conférence de presse à Donostia pour en minimiser l’importance. Il a refait la même chose à Bertiz avec Uxue Barkos, présidente d’un gouvernement appuyé par une coalition de quatre partis, en phase avec la ligne du PNV. Urkullu a même été jusqu’à critiquer les personnalités internationales présentes à Kanbo et a tancé M. Etchegaray, président de la Communauté d’agglomération d’Iparralde, en l’accusant de méconnaître la situation et en lui disant qu’il n’y a qu’un seul Lehendakari, lui-même. Urkullu perçoit Rajoy comme “sensible” par rapport à la politique pénitentiaire. Quand on écoute Zoido(5), la situation semble pourtant toute autre. Nous serions les premiers à applaudir si la politique pénitentiaire était abordée comme une condition préalable aux relations avec Madrid. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. La remise en question de cette politique pénitentiaire n’est pas un préalable, pas plus que celle des procédures surréalistes montées à Altsasu ou en Catalogne. Non, l’agenda involutif de l’Etat ne pose pas de vrai problème au PNV et à son gouvernement.

Les priorités du PNV sont autres : appliquer les politiques néolibérales, empêcher toute contestation des procédures validant ses méga-projets d’aménagement (voir les sanctions économiques draconiennes réclamées contre ceux qui se sont opposés à l’incinérateur de Zubieta) et, en ce qui concerne le nouveau statut d’auto-gouvernement, pouvoir gérer sans confrontation aucune avec Madrid un éventuel accord passé à Gasteiz. C’est Urkullu lui-même qui demande à ce sujet “que (…) soit respectée la législation découlant de la Constitution espagnole…”. Avec de tels préalables, ce sont ceux-là mêmes qui opposent leur veto à l’auto-gouvernement qui auront le dernier mot sur le “nouveau statut”. En ces temps d’involution, c’est le PNV qui gère le calendrier et dépolitise la société basque.

Axes et alliances stratégiques

C’est sur la base de ce diagnostic que le syndicat ELA n’approuve pas la “Proposition de pays” adressée par EH Bildu à ceux-là mêmes qui ne souhaitent pas d’une telle voie (Le PNV). Cette proposition est contraire au travail de pédagogie dont a besoin le souverainisme. Nous croyons que le renforcement du souverainisme et de la gauche politique et sociale ne dépendent ni de l’Etat, ni du PNV. Ils dépendent, entre autres choses, du rôle central donné au modèle de société, et des alliances stratégiques qu’il permet d’aller chercher.

Le renforcement du souverainisme
ne dépend ni de l’État, ni du PNV
mais du rôle central donné au modèle de société,
et des alliances stratégiques
qu’il permet d’aller chercher.

Dans cette nouvelle phase sans ETA… autour de quels axes allons-nous polariser l’action politique et sociale? ELA est convaincu qu’il y a en Euskal Herria une force militante et une masse sociale prêtes à s’engager dans la lutte démocratique pour la justice sociale et la souveraineté. Pour qu’elles s’expriment pleinement, il est indispensable de construire l’organisation de la société dans tous les domaines : syndical, social, culturel, euskara, féminisme… politique. Penser pouvoir faire sans cette société organisée serait une erreur fatale d’un point de vue national et de classe. Il est normal que les néolibéraux veuillent faire sans ; ils se suffisent à eux-mêmes. Ce n’est pas notre cas. Espérons que la fin d’ETA s’accompagne d’une nouvelle culture politique qui nous permette de travailler ces axes-là.

(1) Équivalent du CAC 40 français (Ndt)
(2) Réforme de “stabilité budgétaire” priorisant le remboursement de la dette avant toute autre dépense ou investissement public
(3) En référence aux événements catalans
(4) Contre-programmation à la rencontre internationale d’Arnaga organisée par Urkullu et Barkos le 4 mai 2018
(5) Ministre de l’Intérieur espagnol

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