La réconciliation n’est pas une utopie

Elizabeth II, reine d’Angleterre et Martin Mac Guinness ex-dirigeant de l’IRA échangeant une poignée de mains! Saisi le 27 juin 2012 à Belfast le cliché a fait le tour du monde au bout de 20 ans de processus de paix enclenché par la Déclaration de Downing Street de 1993 ouvrant le dialogue sous réserve de l’arrêt des violences. Au Pays Basque l’Histoire s’est accélérée elle aussi. Trois ans sans attentat mortel. Un an qu’ETA a renoncé aux armes et que la gauche abertzale a retrouvé les institutions. Le vivre ensemble est à l’ordre du jour. Le 7 août dernier Martin Garitano, député général (Bildu) du Gipuzkoa participait ainsi à l’hommage rendu à Joxemari Korta assassiné en 2000 par ETA, à Zumaya. Première pour la gauche abertzale. En 2010 la Fondation Sabino Arana Goiri avait invité la Britannique Jo Berry, fille de l’un des députés conservateurs tués en 1984 par l’IRA à Brighton, à s’exprimer sur sa façon de concevoir la paix. Elle apparut aux côtés de Pat Magee qui avait posé la bombe mortelle. Moment de rare intensité que de les entendre s’exprimer aussi sereinement. Ils se côtoient depuis 12 ans. «Ce n’est pas nécessairement une question de pardon» disent-ils «mais de compréhension mutuelle». Aujourd’hui, les Irlandais veulent croire que leur réconciliation est à portée de main. L’est-elle ici même? Question posée à trois témoins directs du conflit basque pour qui la réconciliation n’est pas une utopie mais reste à bâtir.

Cristiane Etchalus
«Le récit maintenant»

Victime de la répression franquiste dans les années 60, Christiane Etchalus se partage entre Sao Tome aux côtés de son mari Alfonso Etxegarai ex-réfugié expulsé en 1986 par la France, et son village natal bas-navarrais Domezain. Leur vie a fait l’objet du documentaire «Sagarren denbora» produit par Zinez en 2010, suivi de «Barrura begiratzeko leihoak» donnant la parole à cinq prisonniers basques dont la projection a eu lieu à Saint-Sébastien, Bayonne et Mauléon. «Le récit, maintenant, et l’exercice littéraire qui l’accompagne dit-elle, c’est une autre phase de la lutte, liée à la première phase qui touche à la légitimité de 50 ans de combat. Le groupe d’une quinzaine de personnes auquel j’appartiens essaie de trouver un langage pour raconter les conséquences de nos luttes, sans se livrer à la spirale action/réaction (souvent pratiquée par les médias), mais avec l’ambition de toucher le cœur des gens de façon sereine et dans les meilleures conditions d’écoute. Il ne faudrait pas attendre 50 ans pour raconter l’histoire des uns et des au-tres…». A ses yeux, la question de la réconciliation doit bien sûr être posée mais elle est sans doute prématurée et en tout cas liée à «la légitimation préalable de la résistance face à l’assimilation espagnole».

Gorka Landaburu
«On commence à se saluer»

Militant de gauche, Gorka Landaburu dirige l’hebdomadaire Cambio 16. Sous protection policière pendant 12 ans,
il fut en 2001 victime d’un attentat d’ETA à la lettre piégée,
chez lui à Zarauz. «J’ai vécu deux dictatures dit-il,
celles de Franco et d’ETA».

Anne-Marie Bordes: Peut-on parler de réconciliation?
Gorka Landaburu: ETA c’est fini. Mais on a perdu beaucoup de temps. Il faut regarder le futur et commencer à tourner la page de ces 30 dernières années de souffrances, d’assassinats, de violence. Mais il faut d’abord la lire. La réconciliation? C’est trop tôt. Il faut digérer la fin du terrorisme, il y a beaucoup de cicatrices ou-vertes de tous côtés, davantage du côté de la violence d’ETA mais pas seulement. Assassinats, tortures… Avant d’aller vers une réconciliation qui se fera car on est un petit pays, il faut aller vers le vivre ensemble dans chaque village, chaque ville. On commence à se saluer, à se dire bonjour, mais il reste une certaine distance. Il faut avancer sans précipitation mais sans répit, lentement, sans se presser. Il est évident que depuis la mort de Franco, personne n’a un proche parent, un familier, un ami, qui n’ait été victime d’ETA ou de la répression. Moi-même j’ai un beau-frère qui a été membre d’ETA politico-militaire, qui a fait de la prison. J’ai été victime d’ETA. J’ai perdu un œil, mes mains ont été mutilées.

Anne-Marie Bordes: Comment avancer?
Gorka Landaburu: Je peux envisager une ré-conciliation à moyen terme mais d’ici là il y a des devoirs à faire. Surtout pour la gauche abertzale, qui ne doit pas se contenter de déclarations de principe. Je l’ai dit il y a 6 mois à Rufi Etxebarria qui avait manifesté le souhait de me rencontrer. «On le fera» m’a-t-il dit. La sensation que j’ai près d’un an après la fin d’ETA, c’est que la gauche abertzale veut accélérer le mouvement, surtout à l’égard des prisonniers. Selon elle Madrid n’a fait aucun geste à leur égard. Le gouvernement aurait effectivement dû supprimer la doctrine Parot, libérer des prisonniers atteints de maladies en phase terminale… De son côté la gauche abertzale s’est trompée en se livrant à un bras de fer autour de la libération de Josu Uribetxeberria. On ne doit pas oublier qu’il fut l’un des geôliers d’Ortega Lara pendant 532 jours. On peut faire pression mais on ne peut pas pour autant transformer un bourreau en victime, ce que la gauche abertzale a tendance à faire dans un souci de retour à la «virginité démocratique». Elle doit faire son autocritique. Ce serait une grave erreur de passer l’éponge car ça ne nous permettrait pas d’affronter le futur. La gauche abertzale —Arnaldo Otegi, Joseba Permach, Rufi Etxeberria…— dont je reconnais les efforts réalisés, le fera je pense. Pour une fois dans l’histoire d’ETA, elle l’a emporté sur les militaires. Trop tard sans doute, mais elle l’a fait. Néanmoins, si ETA a perdu c’est dû à la police, à la collaboration française, à la justice et aux secteurs de la société civile basque qui ont combattu le terrorisme de façon pacifique. La vie c’est comme conduire une voiture, il faut la regarder en face, mais il faut un bon rétroviseur. Il n’y aura pas d’amnistie générale pour les prisonniers d’ETA. Ils sortiront un par un après avoir reconnu ce qu’ils ont fait. Il faudra un accord transversal, dans un pays pluriel où il faut tenir compte de cette pluralité.

Anne-Marie Bordes: Comment vous impliquez-vous?
Gorka Landaburu: En novembre 2011 j’ai par exemple eu une discussion avec un groupe de 7 ex-etarras à la prison de Nanclares. A la fin deux d’entre eux m’ont déclaré avoir fait partie du commando qui avait décidé de mon attentat mais sans y participer directement. Ils m’ont demandé pardon. Je les ai remerciés et leur ai dit que je les aiderai dans la mesure de mes moyens. En mai 2012, j’ai été invité à animer un débat dans le cadre du congrès «Mémoire et convivance» organisé à Vitoria-Gasteiz par le gouvernement bas-que. Carmen Guisasola n’a malheureusement pas été autorisée à y participer par le gouvernement espagnol qui pour moi a commis une erreur. Mais nous avons pu entendre l’ex-membre des Brigades Rouges italiennes Adriana Faranda
et Sergio Bazzega fils d’un policier assassiné par les Brigades qui témoignaient conjointement…

Edurne Brouard
l’Appel de Glenncree

Militante de la gauche abertzale, fille du dirigeant de Herri Batasuna Santi Brouard, assassiné en 1984 par
le GAL à Bilbao. Elle a participé à l’Intiative Glencree (ville irlandaise abritant un Centre pour la paix et la réconciliation) avec 24 victimes des polices espagnoles, Bataillon Basque espagnol, Commandos autonomes, GAL, ETA… Cinq ans de rencontres secrètes, jusqu’au 16 juin 2012 où Glencree se dévoilait à Saint-Sébastien.

Anne-Marie Bordes: Pourquoi avoir adhéré à Glencree?
Edurne Brouard: Cette décision fut le fruit de semaines de réflexion et d’incertitude. Participer paraissait intéressant et dans une certaine mesure bénéfique, au cas où ce serait un succès. Mais en même temps il semblait très difficile d’engager un dialogue sincère et vrai (sans qu’aucune des parties ne renonce à ses convictions les plus intimes), d’autant que pour nous ceci se présentait comme une démarche extrêmement douloureuse et peut-être, improductive. La décision finale d’adhérer et d’essayer de mener cette expérience en dépit de la douleur et de l’incertitude, fut un exercice de responsabilité face au processus de paix et à notre histoire. Il a duré 5 ans et a été complexe en raison de tout ce qui nous sépare. Et du fait que nous sommes tous sous l’influence d’une infinité de préjugés, fruits d’années d’incompréhension et pourquoi ne pas le dire, de manipulations et d’utilisation de la douleur par certains partis et médias.

Anne-Marie Bordes: Quelle est la teneur du manifeste Glencree?
Edurne Brouard: Glencree a été abordé à partir de postures différentes liées à notre façon de voir et comprendre le conflit, à notre idéologie (à laquelle nous ne renonçons pas) et à notre façon d’envisager la fin de la violence. Nous avions cependant tous intimement vécu les violences que notre peuple a subies et c’est pour cela que nous avons pu définir des traits communs aux personnes touchées directement ou par le biais d’un parent proche, par un événement traumatisant (assassinat, torture, menaces…), source de souffrance injuste, intentionnelle, prolongée. Nous avons connu l’oubli, la négation ou l’abandon de la part des auteurs de ces violences et un soutien social et institutionnel très différent, inégal. Nous voulons que cette réalité et notre expérience constituent une contribution positive à la société. Cette conclusion découle d’un travail intéractif personnel basé sur l’écoute directe, le dialogue et la rencontre, allant au-delà de nos options idéologiques. Cette approche directe et personnelle nous permet de proclamer le caractère injuste de la violence que nous victimes avons subie, ce qui corrélativement suppose pour tous le bénéfice et le respect des mêmes droits (vérité, justice, mémoire, reconnaissance, réparation) auxquels nous prétendons de façon identique. Nous aspirons à un vivre ensemble pacifique, respectueux, constructif, dans une société pluraliste, libre, juste. Pour cela, il faudra que tous les responsables et auteurs des préjudices causés reconnaissent et assument leurs responsabilités; il faudra des gestes. Notre expérience prouve que pour y parvenir, si la volonté existe, le dialogue entre différents est non seulement possible, mais nécessaire. Pour moi ceci est la leçon principale à tirer de Glencree.

Anne-Marie Bordes: Est-il trop tôt pour parler de «réconciliation»?
Edurne Brouard: Je pense (ceci est une opinion personnelle) que nous sommes au début d’un processus appelé à évoluer à des rythmes différents. Il connaîtra diverses phases d’implication et d’engagement de la part des acteurs. En ce sens il est prématuré de parler de pres-que quoi que ce soit. Le degré d’implication de certains agents déterminants comme gouvernements et appareils d’Etats espagnol (en premier lieu) et français (impliqué dans la répression) est pratiquement nul. Il est clair que les victimes fortes de leur connaissance intime des effets de la violence politique sur notre peuple, devront contribuer à une solution définitive du conflit mais sans s’ériger en juges ou se poser en garantes d’un processus qui devra découler du débat ouvert dans la société, dans des conditions égales pour tous. Nous apporterons un point de vue différent, plus profond, imprimé par la douleur. Mais les victimes ne devront en aucun cas imposer leurs voix sur les décisions de la société basque.

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