1512-2012 les raccourcis de l’histoire par Peio Etcheverry-Ainchart

Commémoration, commémoration, quand tu nous tiens… Du maquis des Glières à Jeanne D’Arc, du baptême de Clovis au 11-Novembre, la France est championne du monde des tiraillements historiques en tout genre. Au Pays Basque, un certain «roman national» existe aussi et commence à produire à son tour ses propres commémorations, dont celles de cette année sur la conquête de la Navarre.

Junes Micheletegi
À l’origine de tout, la tradition très «dix-neuviémiste» du recours au passé pour justifier le projet national. Nous sommes alors en Europe à l’époque de l’affirmation de la nation. En France, comme d’ailleurs en Allemagne ou en Italie, des populations que presque tout distingue sont à convaincre d’adhérer à la nation, et face à ce grand chantier d’éducation populaire, tout est bon. La géographie, bien sûr, et sa conception naturaliste des frontières qui prouve par la disposition des mers, des cours d’eau, des reliefs, que l’hexagone n’était appelé par la nature qu’à devenir la France. Et puis l’histoire, évidemment, matière privilégiée par laquelle il devait devenir incontestable que la nation française s’enracinait dès les âges les plus anciens, et que déjà sous les Gaulois perçaient les Français. Ne restait plus qu’à reconstituer les rythmes de cette histoire, les moments marquants, d’en désigner les grandes figures tutélaires. Parmi les historiens qui s’attelèrent à la tâche, c’est Jules Michelet qui imposa son «Histoire de France», énorme œuvre épique qui popularisa ce «roman national» français appelé à bercer des générations de Français jeunes et moins jeunes.
À l’époque, le nationalisme basque n’existe pas encore. Par contre, on commence déjà à débattre de l’origine de l’euskara, ces recherches donnant lieu à autant de travaux de pointe qu’à de fumeuses théories. Mais dès l’apparition d’un pré-nationalisme basque, on commence à rechercher —voire reconstruire— dans le passé le plus lointain les traces d’un peuple. Dès 1834, par exemple, Garay de Monglave présente pour authentique le chant Altabizkarko kantua, censé avoir été écrit au lendemain de la bataille de Roncevaux. Lorsque Sabino Arana Goiri dessine l’ikurriña, drapeau à l’origine destiné à la seule Biscaye, il justifie la croix de Saint André verte par une mythique autant qu’obscure bataille d’Arrigorriaga durant le haut Moyen-âge, remportée par les Biscayens sur les Asturiens. Puis viendront Matalas et sa révolte abertzale avant l’heure, les frères Garat et autres Zumalakarregi… Manex Goyheneche analysera cette historiographie basque, ses véritables chercheurs et tous ses Junes Micheletegi, dans sa thèse de doctorat d’État.

La Navarre, ancêtre du Pays Basque
Qu’il reste clair que cette histoire mythifiée n’est pas à rejeter en bloc; ce serait commettre à son tour un anachronisme. Elle est le fruit de son époque, celle à laquelle on faisait de l’histoire ainsi, partout en Europe. Mieux, nous n’aurions peut-être pas eu de science historique au Pays Basque aujourd’hui s’il n’y avait eu des précurseurs servant de repères, tant dans leurs apports réels que dans leurs limites. Cela vaut d’ailleurs dans toutes les disciplines ayant contribué à la connaissance de ce pays, dans toutes ses dimensions. À l’heure actuelle, la science historique pâtit encore au Pays Basque (du moins au Nord) d’être reléguée au stade d’histoire régionale par l’Université française, et encore, lorsque celle-ci concède l’existence même du Pays Basque comme sujet historique. Difficile alors de ne pas avoir tendance à grossir le trait pour chercher à convaincre. Mais dans ces conditions, soulignant tout de même le manque dramatique de nouveaux chercheurs poussant leur formation jusqu’au doctorat, il me semble que nous n’avons pas à rougir de ce que ce petit pays produit en connaissances historiques.
Ceci étant dit, j’avoue rester quelque peu perplexe face aux commémorations à venir liées à la conquête du royaume de Navarre il y a 500 ans. Se contentent-elles de rappeler un fait historique —la disparition d’un royaume, conquis par un autre— ou cherchent-elles à y voir le début de l’oppression du peuple basque par l’Espagne? En filigrane, l’idée de nation existait-elle à l’époque et si oui, une nation navarraise voire basque était-elle en gestation dans le royaume de Navarre, tuée dans l’œuf par la con-quête?

Un débat insoluble
En fait, poser ces questions ne résoudra jamais rien. Les débats historiographiques continueront de leur côté à débattre du moment de l’éclosion de la conscience nationale, le monde politique continuera du sien à chercher là où il peut des arguments pour étayer son message, et chacun se fera sa propre idée de ces polémiques, selon le bord où il se trouve ou la casquette qu’il décide de revêtir, amateur d’histoire ou militant.
En ce qui me concerne, le débat historique m’intéressera toujours plus que celui de son utilisation par la politique. Mais même dans le débat politique, il me semble clair que le passé n’apporte aucune justification sur le présent, et que conquête ou pas conquête, les droits nationaux du peuple basque se fondent sur ce que veulent les gens d’aujourd’hui et non sur ce qu’étaient les gens d’hier. C’est pourquoi en amateur d’histoire comme en militant, les commémorations, très peu pour moi.

Soutenez Enbata !

Indépendant, sans pub, en accès libre, financé par ses lecteurs
Faites un don à Enbata.info ou abonnez-vous au mensuel papier

Enbata.info est un webdomadaire d’actualité abertzale et progressiste, qui accompagne et complète la revue papier et mensuelle Enbata, plus axée sur la réflexion, le débat, l’approfondissement de certains sujets.
Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés par les dons de nos lectrices et lecteurs, et les abonnements au mensuel papier : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre.
« Les choses sans prix ont souvent une grande valeur » Mixel Berhocoirigoin
Cette aide est vitale. Grâce à votre soutien, nous continuerons à proposer les articles d'Enbata.Info en libre accès et gratuits, afin que des milliers de personnes puissent continuer à les lire chaque semaine, pour faire ainsi avancer la cause abertzale et l’ancrer dans une perspective résolument progressiste, ouverte et solidaire des autres peuples et territoires.
Chaque don a de l’importance, même si vous ne pouvez donner que quelques euros. Quel que soit son montant, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission.
Faites un don ou abonnez vous à Enbata : www.enbata.info/articles/soutenez-enbata

  • Par chèque à l’ordre d’Enbata, adressé à Enbata, 3 rue des Cordeliers, 64 100 Bayonne
  • Par virement en eusko sur le compte Enbata 944930672 depuis votre compte eusko (euskalmoneta.org)
  • Par carte bancaire via système sécurisé de paiement en ligne : paypal.me/EnbataInfo
  • Par la mise en place d’un prélèvement automatique en euro/eusko : contactez-nous sur [email protected]

Pour tout soutien de 50€/eusko ou plus, vous pourrez recevoir ou offrir un abonnement annuel d'Enbata à l'adresse postale indiquée. Milesker.

Si vous êtes imposable, votre don bénéficiera d’une déduction fiscale (un don de 50 euros / eusko ne vous en coûtera que 17).

Enbata sustengatu !

Independentea, publizitaterik gabekoa, sarbide irekia, bere irakurleek diruztatua
Enbata.Info-ri emaitza bat egin edo harpidetu zaitezte hilabetekariari

Enbata.info aktualitate abertzale eta progresista aipatzen duen web astekaria da, hilabatero argitaratzen den paperezko Enbata-ren bertsioa segitzen eta osatzen duena, azken hau hausnarketara, eztabaidara eta zenbait gairen azterketa sakonera bideratuagoa delarik.
Garai gogorrak dira, eta badakigu denek ez dutela informazioa ordaintzeko ahalik. Baina irakurleen emaitzek eta paperezko hilabetekariaren harpidetzek finantzatzen gaituzte: ordaindu dezaketenen eskuzabaltasunaren menpe gaude.
«Preziorik gabeko gauzek, usu, balio handia dute» Mixel Berhocoirigoin
Laguntza hau ezinbestekoa zaigu. Zuen sustenguari esker, Enbata.Info artikuluak sarbide librean eta urririk eskaintzen segituko dugu, milaka lagunek astero irakurtzen segi dezaten, hola erronka abertzalea aitzinarazteko eta ikuspegi argiki aurrerakoi, ireki eta beste herri eta lurraldeekiko solidario batean ainguratuz.
Emaitza oro garrantzitsua da, nahiz eta euro/eusko guti batzuk eman. Zenbatekoa edozein heinekoa izanik ere, zure laguntza ezinbestekoa zaigu gure eginkizuna segitzeko.
Enbatari emaitza bat egin edo harpidetu: https://eu.enbata.info/artikuluak/soutenez-enbata

  • Enbataren izenean den txekea “Enbata, Cordeliers-en karrika 3., 64 100 Baiona“ helbidera igorriz.
  • Eusko transferentzia eginez Enbataren 944930672 kontuan zure eusko kontutik (euskalmoneta.org-en)
  • Banku-txartelaren bidez, lineako ordainketa sistema seguruaren bidez: paypal.me/EnbataInfo
  • Euro/euskotan kenketa automatikoa plantan emanez: gurekin harremanetan sartuz [email protected] helbidean

50€/eusko edo gehiagoko edozein sustengurentzat, Enbataren urteko harpidetza lortzen edo eskaintzen ahalko duzu zehaztuko duzun posta helbidean. Milesker.
Zergapean bazira, zure emaitzak zerga beherapena ekarriko dizu (50 euro / eusko-ko emaitzak, 17 baizik ez zaizu gostako).