Plus qu’un changement d’élite, un changement de régime

Quim Arrufat, ex-député au Parlement catalan et actuel porte-parole national de la CUP.
Quim Arrufat, ex-député au Parlement catalan et actuel porte-parole national de la CUP.

En 2005 le parlement catalan approuvait avec une écrasante majorité de 89% le Nouveau statut renforçant l’autonomie de la Catalogne. Ce dernier était adopté l’année suivante par le parlement espagnol. Le recours du PP devant la Cour constitutionnelle cette même année 2006 a abouti à l’annulation en partie du Nouveau statut catalan en 2010. Concomitamment, durant ces 10 dernières années, l’option indépendantiste est passée de la marginalité (aux environs de 10%) à la quasi majorité. Alda! publie quelques extraits de l’interview, accordée à la veille du scrutin, par Quim Arrufat, ex-député au parlement catalan et actuel porte-parole national de la CUP, Candidature d’unité populaire (parti politique indépendantiste catalan de gauche et féministe, pratiquant le municipalisme libertaire), pour comprendre cette évolution et les enjeux liés au référendum d’autodétermination en Catalogne.

Le socle indépendantiste en Catalogne a connu une croissance exponentielle ces dernières années. Quels sont les facteurs qui ont influencé ce phénomène ?

L’explication la plus systémique que la CUP donne à cette croissance est que depuis plus de 10 ans, avant la crise économique, sociale et politique qui a explosé dans l’Etat espagnol, un processus de re-centralisation des compétences autonomiques s’est traduit par une restriction de l’autonomie territoriale. Cela a eu un effet direct sur l’affaiblissement des droits sociaux, de l’investissement public et des garanties démocratiques. L’autonomie catalane (qui est la situation actuelle au sein de l’Etat espagnol, mais qui est différente de l’indépendance revendiquée) a perdu tout son sens il y a quatre ou cinq ans, quand la crise économique et sociale, la dette de la Troïka, les restrictions budgétaires et re-centralisations politiques et institutionnelles de l’Etat espagnol ont fait perdre à la Catalogne son pouvoir législatif et sa capacité budgétaire. Cela a abouti à une réaction indépendantiste comprise comme une option de souveraineté politique et démocratique pour instaurer un cadre politique propre, en forme d’Etat ou de République indépendante qui permette aux catalans d’être en capacité de décider sur leur propre avenir dans tous les domaines. C’est pour cela que l’indépendantisme, une position politique défendue par 15 à 20% de la population il y a quelques années, a, à présent, l’approbation de 50-55% de la population.

Quel a été le rôle de la société civile ?

Il faut rappeler les manifestations massives en faveur de l’indépendance qui ont eu lieu dès 2010(*) et qui ont fait sortir dans les rues entre 1 et 2 millions de personnes ; les consultations citoyennes organisées par le mouvement indépendantiste, entre 2009 et 2011 dans plus de 550 communes et en 2014 la consultation non contraignante sur l’indépendance approuvée par les deux tiers du parlement et que l’Etat espagnol n’a pas reconnu (non sans avoir au préalable menacé la suspension de l’autonomie si cette consultation était menée à bien). Même dans ces conditions 2 300.000 personnes ont voté, montrant ainsi la volonté démocratique d’un peuple. Après le refus systématique du gouvernement espagnol concernant la mise en place d’un référendum, les élections de septembre 2016 ont été organisées comme des élections plébiscitaires. On a demandé aux gens de s’exprimer sur le “Oui” ou sur le “Non”. Sur le banc du “Oui”, il y avait deux formations politiques, JxS et la CUP, qui comptaient ensemble 72 des 135 députés. Cette majorité a été suffisante pour commencer à construire les structures de la nouvelle République pendant la nouvelle législature, qui a un terme très concret : 18 mois.

Dans la déclaration du début du processus d’indépendance, signée par JxS et la CUP, il a clairement été précisé de “ne pas se soumettre aux décisions des institutions de l’État espagnol”, en particulier la Cour constitutionnelle. Comment cet acte de désobéissance peut-il être mis en pratique?

La pression de la citoyenneté sera essentielle. Derrière cela, il n’y a ni la Russie ni les États-Unis, nous ne sommes pas une grande puissance, nous n’avons ni or ni pétrole. Tout ce que nous avons c’est les gens. Il ne faudra pas désobéir sans ordre et provoquer ainsi des situations de confusion ou de désordre. En fait, il faut une accumulation des forces démocratiques pour pouvoir proclamer l’indépendance avec une majorité démocratique approuvée par les urnes autour d’une constitution. Ensuite, le conflit entre la Catalogne et l’Etat espagnol doit être placé sur la scène internationale. Nous devrons demander, tant au niveau européen qu’au niveau mondial, une reconnaissance du processus. La voie suivie sera l’interpellation de la communauté internationale avec des résultats garantis et consultés, de sorte que ces derniers forcent l’Etat espagnol à reconnaître l’indépendance et le droit à décider. A partir de la proclamation de l’indépendance, les institutions catalanes devront commencer à opérer en tant que république indépendante, avec ses propres fonctionnaires, son propre budget, etc. tout en continuant les négociations sur le processus de séparation avec l’Espagne.

En tant que responsable des relations internationales de la CUP, vous avez eu l’opportunité de voyager en Amérique latine pour expliquer le processus catalan. Quel point de vue trouve-t-on sur l’expérience catalane en Amérique latine?

Il y a une rhétorique élaborée qui donne une image très déformée de ce qui se passe en Catalogne. Par exemple, le cliché classique de manque de solidarité économique de la région la plus riche envers l’Etat. Il est vrai que le PIB de la Catalogne est plus élevé que celui des autres régions d’Espagne, mais c’est parce que c’est une région industrielle et pour qu’une région industrielle génère de nombreux revenus, il faut employer beaucoup de travailleurs de manière précaire. Il ne s’agit pas de rente ou de richesses naturelles, mais du fruit du travail. Une autre approche à réfuter est celle qui consiste à dire que le mouvement qui conduit le processus est conservateur, nationaliste et même xénophobe. La Catalogne a plus d’immigrants que d’autochtones, car au cours des 50 dernières années, elle a eu plusieurs vagues migratoires qui l’ont transformée en un mélange multiculturel et multiethnique où il serait impossible pour un projet purement nationaliste de réussir. D’autre part, c’est l’un des rares endroits en Europe qui n’a pas d’extrême droite ou de racisme organisé, alors que le continent a dans son sein des gouvernements racistes ou d’extrême droite, comme en Hongrie ou en Pologne, mais aussi dans de nombreux pays, comme en France, en Hollande ou en Autriche, des formations d’extrême droite implantées comme deuxième ou troisième forces politiques.

Comment la CUP explique-t-elle le processus d’indépendance à l’étranger ?

Nous défendons le fait qu’à la base du mouvement souverainiste, il y a la volonté de construire une république plus démocratique et sociale, pour élargir les droits des citoyen-ne-s par un processus radicalement démocratique et pacifique. La société catalane est profondément pacifiste, éduquée dans l’antimilitarisme, car tout au long de son histoire elle a connu des coups d’Etat, des dictatures militaires et le fascisme. Si le processus réussit en Catalogne, il peut devenir l’une des grandes révolutions démocratiques du sud de l’Europe et provoquer des changements plus démocratiques dans cette partie du continent.

Vous parlez des trois phases nécessaires pour la reconnaissance d’un référendum d’autodétermination. Quelles sont-elles ?

La première phase est celle qui concerne l’avant 1er octobre et toute l’organisation du référendum. La deuxième concerne le niveau de participation qu’atteindra le référendum pour qu’il soit reconnu sur le plan international. Enfin, la troisième phase concernera la mise en pratique du résultat du référendum. Dans la seconde phase, celle de la participation, l’Etat espagnol peut avoir une influence via les campagnes de peur et de dénigrement permanent à l’égard du référendum dans le but de réduire l’exercice référendaire à une barricade politique où les gens vont participer comme un acte de résistance. Il existe aussi des forces politiques qui tentent également de dévaloriser les effets du référendum et la mise en oeuvre de son résultat. D’autre part, on dirait que certains souhaitent faire fi de ce que les gens disent pour que la décision reste dans le cadre de la négociation des partis. Ils disent que le PP est très mauvais, qu’eux s’y prendraient autrement, qu’un pacte peut être constitué entre les régions et je ne sais quelles nationalités, etc. C’est-à-dire que tout soit inscrit dans le même cadre actuel et que le référendum n’ait pas de conséquences juridiques.

Vous évoquez aussi la voie d’un changement de régime…

La stratégie centrale ne devrait pas être celle de l’accumulation des forces pour vaincre le PP, mais de renverser tout le régime et de construire un nouveau processus constituant ou des processus constituants souverains dans l’ensemble de l’Etat. Une partie des gens dans cet espace politique appelé les Communs ou Podemos confond la rupture avec le changement d’élite: “Comme je suis déjà dans les institutions, les institutions deviennent par ce fait différentes”. Et ce n’est pas vrai, le régime n’a pas changé; les forces derrière ces institutions n’ont pas changé. Vous êtes simplement dans les institutions, mais cela ne signifie pas que le régime a été renversé ou qu’un autre a pris sa place.

 

(*) Juin 2010 : la Cour constitutionnelle annule une partie du statut catalan. Elle conclut que la référence à la Catalogne comme « nation » n’a « aucune valeur juridique ». Elle rejette l’usage du catalan comme langue « préférentielle » dans les administrations et les médias. Nombre de Catalans le vivent comme « une humiliation » et, le mois suivant, des centaines de milliers manifestent aux cris de « Nous sommes une nation, nous décidons ».

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