Urgence linguistique, urgence climatique : même combat

Des militantes protestent en chantant un chant Waorani face à un forage pétrolier. (@tMitch Anderson – Amazon Frontlines)

Sauver l’euskara. Sauver la planète. Deux causes immenses, pour lesquelles le chemin à parcourir peut parfois paraître vertigineux. Deux combats qui demandent une persévérance, une foi presque déraisonnable. Dans les deux cas, les constats sont connus, les alertes répétées, les moyens largement insuffisants, et pourtant l’urgence s’accélère.

Face au réchauffement climatique comme face à la disparition progressive de notre langue, on peut entendre les mêmes découragements : « C’est trop tard », « À quoi bon ? ». Mais si l’on s’y met tous, tout change. Rien n’est joué tant qu’il reste des femmes et des hommes décidés à agir.

Le lien entre ces deux causes peut ne pas sembler évident à première vue. Et pourtant plusieurs scientifiques l’ont prouvé ces dernières années : les régions du globe les plus riches en biodiversité sont aussi celles où la diversité linguistique est la plus forte. Un exemple équatorien : chez les Waorani d’Amazonie, la langue maternelle est menacée par l’espagnol. Les jeunes femmes sont protagonistes d’une lutte contre les compagnies pétrolières qui détruisent la forêt et contre les attaques linguistiques qui effacent toponymie, savoirs ancestraux, culture.

La langue préservatrice de la planète

Et les signaux d’alerte s’accumulent : la planète se réchauffe, les espèces s’effondrent, les langues s’éteignent. Ici aussi. L’an dernier, Euskararen Kontseilua a décrété l’état d’urgence linguistique. Malgré des décennies d’efforts, souvent portés à bout de bras par les associations, les bénévoles et les salarié·es du terrain, les institutions Département, Région et Etat ne sont pas au niveau des moyens à allouer à l’Office Public de la Langue Basque.
Le chercheur basque Unai Pascual, du centre BC3 [1] et membre de l’IPBES [2], le dit sans détour : « Il manque l’ambition et l’action » pour enrayer l’effondrement du vivant. Ses travaux communs avec Dylan Inglis, scientifique de l’Université de Bristol autour du lien entre attachement à l’euskara et à la nature, ont démontré qu’en Euskal Herri le respect de la forêt, des éléments naturels est particulièrement fort dans les populations qui parlent euskara. La lutte pour le climat et celle pour l’euskara sont deux fronts d’un même combat : résister à l’homogénéisation du monde.

Sauver l’euskara ne relève pas des seuls bascophones. C’est une responsabilité partagée. Bien entendu, on ne sauvera pas la planète en disant egun on en entrant dans un commerce. On ne préservera pas les ours polaires en imprimant des tracts bilingues. Mais on contribuera à une ouverture d’esprit, à une curiosité, à une conscience du vivant. N’y a-t-il pas, au fond, une similitude systémique entre un habitant qui lutte pour transmettre sa langue minorisée et une espèce qui bataille pour sa survie dans un environnement devenu hostile ?

L’euskara comme ouverture au monde

L’État français a été condamné pour inaction climatique. Verra-t-on un jour, pour le manque de moyens et le désengagement financier, un tribunal condamner Paris pour inaction linguistique ?

Agir pour l’euskara, c’est agir pour un monde où la différence reste une richesse, où la diversité n’est pas une anomalie mais une condition de survie. À l’heure où la peur de l’autre, la xénophobie et le repli gagnent du terrain, ouvrir les esprits à une langue millénaire est un acte d’espérance.

La crise écologique et la crise linguistique se rejoignent dans une même exigence : transformer nos comportements, nos politiques et nos imaginaires. L’urgence n’est plus de « préserver », mais de transformer. Face au réchauffement climatique comme face au recul de l’euskara, nous n’avons plus le luxe d’attendre que d’autres agissent.

Agir pour l’euskara, c’est refuser la standardisation du monde, maintenir vivante une autre manière de voir, de nommer, de penser. C’est croire que la diversité, naturelle ou linguistique, est une condition de survie. Le combat pour la langue n’est pas secondaire : il est écologique au sens le plus profond du terme, parce qu’il défend un écosystème de sens, de liens et de mémoire. Préserver l’euskara, c’est garder vivante la capacité d’un peuple à dire le monde autrement et donc à le protéger.

[1] BC3 : Basque Centre for Climate Change.
[2] IPBES : plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

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