
En plein débat sur le financement des mobilités, l’enjeu est de trouver des solutions qui répondent à un double défi : diminuer drastiquement les émissions polluantes tout en trouvant des alternatives justes et acceptables en s’appuyant sur les besoins des usagers.
Depuis début mai, une conférence sur le financement des mobilités se tient pour fixer les priorités budgétaires d’ici 2040. Elle s’ouvre alors que la mobilité cristallise de fortes inégalités : sans alternative à la voiture, les mesures environnementales sont injustes, voire punitives. Ce fossé alimente une défiance croissante, que l’extrême droite exploite. Dans le même temps, les scientifiques actent que l’objectif de maintenir le réchauffement climatique sous les 1,5 °C est désormais hors d’atteinte.
Pour être juste et efficace, la mobilité de demain devra s’ancrer dans les besoins réels et les réalités des territoires.
Financer le rail : un choix structurant
Atteindre les objectifs de décarbonation passera inévitablement par un développement massif du ferroviaire. Peu émetteur, sobre en énergie, le train est un mode structurant, appelé à former l’ossature des alternatives à la voiture individuelle.
Et pourtant, le ferroviaire reste largement sous-investi. Les auditions que nous menons à l’Assemblée, en écho à de nombreux rapports publics, sont sans appel : les usagers font face à une offre de trains du quotidien insuffisante, trop coûteuse qui s’appuie sur un réseau vieillissant. En Iparralde, malgré les efforts pour maintenir les lignes, le report modal reste limité. Il manque des dessertes régulières, des connexions efficaces, des tarifs accessibles, et surtout, des infrastructures à la hauteur. Le réseau est aujourd’hui en tension. Sans amélioration des installations existantes, il devient inadapté pour porter une politique de mobilité durable.
À l’échelle hexagonale, remettre le réseau ferroviaire à niveau suppose près de 100 milliards d’euros d’ici 2040. Dans un contexte d’austérité budgétaire, c’est un véritable choix politique, dont le report ne ferait qu’alourdir la facture.
Cela suppose de mobiliser les ressources là où elles sont. La fin prochaine des contrats autoroutiers doit permettre de mettre un terme aux superprofits des concessions privées pour réinvestir dans l’infrastructure ferroviaire. Mieux taxer les modes les plus polluants tels que les SUV ou le transport aérien devrait contribuer au financement des trains du quotidien. Relancer des éco-taxes locales sur le transport routier de marchandises permettrait de soutenir le développement du fret ferroviaire. Enfin, l’usage des yachts et jets privés, emblèmes des excès les plus polluants, doit coûter à la mesure du dérèglement qu’il aggrave. En bref, les modes de transport d’hier doivent financer la mobilité de demain.
Une mobilité qui ne laisse personne au bord du quai
Mais investir ne suffit pas : encore faut-il savoir où et pour qui. Aujourd’hui, plus de 14 milliards d’euros, selon les estimations les plus basses, sont consacrés à la LGV Bordeaux-Toulouse-Dax. Un projet à forte emprise foncière, massivement rejeté par la population. Loin de constituer une réponse à la crise actuelle, il risque d’aggraver la pression immobilière et de chasser les populations les plus modestes des zones concernées. Éloignées de leur lieu de travail, elles se retrouveront plus dépendantes encore de mobilités longues et coûteuses.
Nous le savons, ce projet bénéficie d’abord aux usagers les plus aisés, renforçant une logique de confort pour les mieux lotis, tandis que d’autres territoires manquent encore du strict nécessaire en transports collectifs. Ignorer les besoins du plus grand nombre alimente une défiance légitime. Les progressions notoires de l’extrême droite dans les zones les moins desservies en sont un signal clair. Là où la voiture est la seule option, toute restriction est vécue comme une injustice. La crise des Gilets Jaunes l’a rappelé : sans justice sociale, la transition finit toujours par se heurter au réel.
Dans ce contexte, les SERM (1) , qui intègrent au Pays Basque le projet de RER basco-landais, offrent une alternative structurante à l’échelle des bassins de vie. Mais sans investissement massif et durable, ils resteront lettre morte.
On évalue souvent le coût des alternatives, mais rarement celui du modèle actuel : entretien routier, pollution, impacts sanitaires, renoncements pour celles et ceux qui ne peuvent conduire. Un tiers des habitant·es sont exclus de la conduite, et 82 % des détenteurs du permis y renoncent, faute de moyens. Pour beaucoup, la voiture est une contrainte coûteuse. Un réseau ferroviaire régulier et accessible permettrait une mobilité plus juste, et donc une transition plus efficace.
Tant que la transition sera perçue comme une punition par celles et ceux qui en attendent un soutien, elle échouera. Une transition perçue comme injuste ne fait qu’ajouter de la colère à la colère.
(1) Service Express Régional Métropolitain