Au Pays Basque, la transition énergétique s’écrit en circuit court. Avec I-Ener et Enargia, citoyens, collectivités et producteurs s’unissent pour reprendre la main sur l’énergie. Leur pari : une énergie 100% renouvelable, coopérative et locale, au service de la souveraineté énergétique d’Iparralde.
Marion Pichery, chargée de développement d’Enargia et Arnaud Boudou, chargé de développement d’I-Ener répondent aux questions d’Enbata.
Quelles sont les particularités qui distinguent I-ENER en tant que société citoyenne de production d’énergie renouvelable ?
Arnaud Boudou : I-ENER est une société citoyenne créée il y a dix ans avec comme premier objectif de lancer une démarche citoyenne pour porter la transition énergétique, après des décennies de monopole de l’Etat français et d’EDF. Aujourd’hui, à l’échelle européenne, nous sommes plus de 2.000 sociétés citoyennes fédérées par RESCOOP qui travaillent en ce sens et produisent de l’électricité et de l’énergie. Si les sociétés citoyennes du Pays Basque ont une particularité – et cela est vrai tant pour I-ENER et Enargia en Iparralde que pour Goiener et Nafarkoop en Hegoalde – c’est le fait de porter un projet de territoire pour la souveraineté énergétique du Pays Basque. Cette particularité amène la seconde : nous avons créé Enargia, fournisseur local d’électricité pour compléter le circuit court de l’électricité.
Comment est née Enargia et quelles sont aujourd’hui ses spécificités alors qu’elle entame sa septième année d’existence ?
Marion Pichery : Enargia est le résultat d’une réflexion des fondateurs d’I-ENER. Après avoir créé une structure permettant le développement de la production d’énergie renouvelable au Pays Basque, par et pour les citoyens, il restait à donner naissance au fournisseur, ce qui permettait de fermer la boucle du circuit court de l’énergie. Sa spécificité est d’avoir été créée sous la forme de SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif). Le principe de la SCIC est de rassembler au sein d’un même projet des acteurs qui peuvent avoir des intérêts différents (bénéficiaires, salariés, producteurs, collectivités…), et de prendre en compte leurs voix dans le développement du projet. Une autre spécificité d’Enargia est d’être un des rares fournisseurs à avoir l’agrément ministériel pour fournir dans tout l’Hexagone, mais qui a fait le choix de se concentrer sur son territoire, le Pays Basque Nord.
Pouvez-vous expliquer concrètement ce que signifie le « circuit court » pour l’énergie renouvelable?
A.B. : On parle souvent de circuit court chez les paysans qui organisent la vente directe de leurs produits. C’est la même chose pour l’énergie, à la différence que l’énergie produite doit être consommée simultanément ! Le circuit court de l’énergie, c’est donc la réappropriation des moyens de production par les citoyens, qui financent par leur épargne le développement et la construction de centrales photovoltaïques, hydroélectriques, éoliennes, etc.
Le circuit court de l’énergie, c’est la réappropriation des moyens de production par les citoyens,
qui financent par leur épargne le développement et la construction
de centrales photovoltaïques, hydroélectriques, éoliennes, etc.
Cette électricité produite sera à terme vendue intégralement à Enargia, et permettra de fournir les habitants du territoire. C’est bien la même logique que chez les paysans : plus le circuit est court et local, plus nous avons la main sur ce que l’on produit, comment, et à quel prix.
De manière concrète, comment I-Ener et Enargia souhaitent-elles évoluer ou se réorganiser pour renforcer ce circuit-court de l’énergie renouvelable ?
M.P. : La réorganisation en cours, en termes de gouvernance, a justement pour objectif de ne pas perdre de vue notre objectif commun : qu’I-ENER ait les moyens de financer des centrales de production d’électricité, pour qu’Enargia puisse se sourcer le plus vite possible auprès d’I-ENER, et ainsi réduire sa dépendance au marché de l’électricité. Cela se caractérise par un nouveau conseil d’administration commun, qui aura une vision plus globale du projet (ressources, modèle économique etc.).
Quelle part de la consommation totale d’électricité en Iparralde provient aujourd’hui des énergies renouvelables. Quel rôle y joue I-Ener, et quels sont ses objectifs pour les cinq à dix prochaines années ?
A.B. : Aujourd’hui, l’électricité renouvelable produite au Pays Basque couvre environ 13% de la consommation électrique. Cette production d’électricité renouvelable est assurée actuellement à 68% par l’hydroélectricité et 24% par le photovoltaïque. Un peu plus de 5.000 centrales photovoltaïques sont à ce jour mises en service au Pays Basque. Lorsque nous aurons construit et lancé notre premier parc au sol photovoltaïque Zaluaga à Senpere, I-ENER couvrira environ 6% de la production photovoltaïque du Pays Basque. Mais ce n’est pas ça qui est important. I-ENER et Enargia travaillent à mettre en place le mix énergétique le plus adapté à la consommation de l’ensemble des clients Enargia. Et là, nous nous apercevons que le photovoltaïque ne va pas suffire, et que nous devons développer des centrales hydroélectriques et des parc éoliens pour assurer la souveraineté énergétique au Pays Basque. Notre premier objectif est qu’I-ENER produise l’électricité que consomment les clients d’Enargia d’ici 2030 ou 2035. Ce sont des projets très enthousiasmants pour lesquels nous allons lancer le développement et une dynamique citoyenne autour de l’éolien, impossible aujourd’hui à cause notamment de servitudes militaires.
Combien de points de livraison (PDL) compte Iparralde au total, et combien Enargia en gère-t-elle aujourd’hui via ses abonnements ?
M.P. : Le nombre de points de livraison d’électricité en Iparralde est composé par le nombre de foyers et de compteurs professionnels. On compte un peu plus de 230.000 logements, entreprises, exploitations agricoles, commerces, industries et collectivités locales. Enargia en fournit à ce jour environ 6.000 dont environ 3.100 particuliers, 900 professionnels et 2.000 liés au marché groupé de la Communauté d’agglomération du Pays Basque. Il reste donc une bonne marge de progression !
Quelle proportion de l’électricité consommée en Iparralde est fournie par Enargia ?
M.P. : En 2024, nous avons fourni un volume de 41GWh, ce qui représente un peu moins de 3% de la consommation totale d’Iparralde.
Souvent, la participation citoyenne se limite “à éteindre la lumière et le radiateur, puis à payer les factures »… En quoi I-Ener et Enargia permettent-elles aux habitants de reprendre la main collectivement sur la question énergétique ?
A.B. : Un projet d’énergie renouvelable est qualifié de « citoyen » lorsque des citoyennes et des citoyens en détiennent des parts de capital et participent à sa gestion. Ce type de projet permet aux habitants de s’impliquer directement dans les questions énergétiques locales et la valeur créée reste sur le territoire. La vocation d’I-ENER est d’accompagner la réappropriation de l’énergie par les citoyens, non seulement financièrement par leur implication au capital de nos projets, mais aussi par une participation active aux réflexions de fond qui composent la transition énergétique durable et partagée. Cette implication garantit que nos projets s’inscrivent dans une économie locale, sans logique spéculative, mais aussi que nos projets respectent notre environnement et l’agriculture paysanne.
Enargia et I-Ener lancent une grande levée de fonds citoyenne
d’un million d’euros pour financer le parc photovoltaïque au sol de Zaluaga, à Senpere.
Une énergie 100% locale, équivalente à la consommation de 1.000 foyers du Pays basque.
C’est exactement ce que nous proposons avec le lancement d’une grande levée de fonds citoyenne de un million d’euros pour financer le parc photovoltaïque au sol de Zaluaga. Pensé collectivement par I-ENER et Enargia, Zaluaga prend vie à Senpere, sur un ancien site d’enfouissement reconverti en lieu de production d’électricité renouvelable. Une énergie 100% locale, équivalente à la consommation de 1.000 foyers du Pays basque. Participer à la levée de fonds est un engagement solidaire, au service du territoire. Un acte citoyen qui donne du sens à l’épargne citoyenne, sans logique spéculative, avec une contrepartie modérée, juste et transparente à partir de 100€ de souscription. Cela passe par la souscription de parts sociales de la coopérative I-Ener, accompagnée d’un compte courant d’associé, qui permet d’investir dans Zaluaga.
M.P. : Ce travail de renforcement de la synergie entre I-ENER et Enargia va permettre de mieux organiser la participation citoyenne. Une transition énergétique ne se fait pas sans embarquer tout le monde ! Bien que le marché de l’énergie puisse être parfois complexe, il est indispensable que les consommateurs de cette énergie s’approprient les enjeux à venir, notamment avec le 100% renouvelable qui va impliquer des changements d’usages et de consommation, au-delà d’éteindre la lumière. Concrètement ? Des groupes de travail vont être mis en place et ouverts aux sociétaires, sur de nombreux sujets (flexibilité, borne de recharge, précarité énergétique…). L’objectif est d’une part de s’appuyer sur les compétences, les avis, et le réseau des sociétaires, mais aussi de faire en sorte que la transition énergétique soit l’affaire de toutes et tous.
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