L’Édito du mensuel Enbata
Dans le livre “New York 2140” de Kim Stanley Robinson, un puissant syndicat de locataires organise une grève financière, via notamment la cessation du paiement des loyers, afin de provoquer une crise de liquidités et de faire vaciller la finance mondiale. Ce livre résonne étonnamment avec l’appel à « tout bloquer » du 10 septembre dernier, et soulève plusieurs questions importantes.
Tout d’abord, que faut-il faire pour que l’effondrement de la finance profite à la population générale ? Car la finance s’est déjà effondrée, la dernière fois en 2007-2008, avec la crise des subprimes. Rien de bon n’en est sorti. Les États ont renfloué les banques sans contrepartie, et les populations ont dû souffrir de nouvelles mesures d’austérité. Parfaite illustration de la « stratégie du choc » décrite par Naomi Klein. Comment éviter qu’un tel scénario ne se reproduise en cas de nouvel effondrement financier ?
Dans le livre, le mouvement populaire s’est assuré en amont qu’une majorité de parlementaires s’engage à exiger un transfert vers le secteur public des leviers financiers liés au logement, en contrepartie de tout renflouement par la puissance publique, pour soustraire le logement à la spéculation. En cas de nouvelles législatives anticipées, une telle proposition pourrait donner lieu à des débats et des positionnements éclairants.
Un deuxième point mis en évidence par New York 2140 est l’importance d’une société civile organisée pour pouvoir résister à une crise majeure comme un effondrement financier. Le livre mentionne l’auto-organisation collective des locataires, mais aussi la production d’énergie renouvelable citoyenne, les monnaies locales, l’agroécologie, les coopératives. Tout cela résonne d’autant plus particulièrement au Pays Basque que le modèle de Mondragon est explicitement cité.
L’importance de la société civile pour notre résilience collective face aux chocs à venir est de plus en plus évidente au Pays Basque Nord. Et cette évidence crée du consensus politique, comme on vient de le voir à Bayonne avec la liste d’union inédite emmenée par J.-C. Iriart, C. Capdevielle, D. Ospital et S. Herrera. Ceux qui méprisent, voire combattent certaines de ces dynamiques populaires au prétexte que les abertzale en ont été les pionniers, sont de moins en moins nombreux et de moins en moins audibles. Dans le même esprit, la plateforme Batera se fixe pour objectif d’organiser un consensus large pour que les limites du cadre institutionnel actuel ne brident pas l’intelligence collective de notre territoire et sa détermination à construire des solutions originales face aux défis actuels.
Cette aptitude à bâtir des consensus sur certains sujets, qui ne gomme pas de fortes divergences par ailleurs, est un bien commun construit au fil des décennies par des dizaines de collectifs citoyens. Elle sera essentielle dans les prochaines années où des arbitrages difficiles devront être rendus. Sur la question de l’eau par exemple : quels usages prioriser en cas de sécheresse ? Que sommes-nous prêts à accepter collectivement pour limiter les pollutions ? Comment accompagner les acteurs socio-économiques impactés, etc. ?
Cette question, et de nombreuses autres tout aussi importantes, aux conséquences sociales considérables, ne seront pas suffisamment abordées lors des élections municipales et communautaires de mars prochain pour que les élu.e.s puissent se revendiquer d’un mandat clair à l’heure des arbitrages. En revanche, ces élections seront l’occasion de porter de nouvelles propositions de gouvernance et de nouvelles formes de montée en compétence collective et de participation citoyenne pour que ces arbitrages soient assumés collectivement. C’est indispensable si nous voulons pouvoir enrayer la stratégie du choc.