Catalogne : le scrutin

Carme Forcadell, présidente de l’Assemblée nationale catalane, surnommée la “marraine de l’indépendantisme”, a beaucoup contribué à l’unité des forces abertzale.
Carme Forcadell, présidente de l’Assemblée nationale catalane, surnommée la “marraine de l’indépendantisme”, a beaucoup contribué à l’unité des forces abertzale.

Les abertzale catalans se sont mis d’accord pour organiser des élections anticipées moins d’un an après le référendum parallèle du 9 novembre 2014. Ils espèrent obtenir une majorité absolue au moyen d’une liste unitaire originale qui transcende les partis et mettent à profit ce temps pour préparer l’indépendance du pays. Cette échéance bouleverse la carte politique catalane. L’Espagne se tient en embuscade.

L’union est un combat. Le rassemblement de tous les abertzale catalans sous la bannière indépendantiste en vue de ce scrutin n’a pas échappé à la règle. Elle a abouti à la mi-juillet au lancement de la liste Junts pel Sí. Le but de l’opération est de créer un puissant courant en faveur de l’indépendance, qui se matérialisera par l’élection d’une majorité absolue de députés au futur parlement du pays, le soir du 27 septembre (68 députés sur 135).

Junts pel Sí regroupe bien entendu les deux partis politiques CiU et ERC, mais il comprend en bonne place des dirigeants connus de l’ANC (Assemblée nationale catalane), d’Ómnium Cultural, de l’Association des municipalités pour l’Indépendance (AMI), de Sùmate, de Calalunya Acció y Avancem, etc. Il s’agit d’organismes issus de la société civile ou à caractère para-politique. Seuls ne font pas partie de la coalition indépendantiste, CUP (Candidatura d’Unitat Popular, de sensibilité extrême gauche) et Unió dont une fraction a quitté CiU en raison du choix clairement indépendantiste de cette coalition. La liste comprend des personnalités du monde sportif et culturel comme l’icône de la chanson Lluis Llach ou un joueur de football très connu. Les trois derniers présidents du parlement catalan en font également partie. Artur Mas et Oriol Junqueras, leaders de CiU et d’ERC, ne figurent qu’en troisième et quatrième position sur une liste où ces deux formations occupent respectivement 60% et 40% de places. Enfin et ce n’est pas la moindre surprise, Junts pel Sí est conduit par Raül Romeva, ex-dirigeant et euro-député de la petite formation écologiste de gauche, ICV-EUiA.

La carte politique change

L’élaboration de cette coalition hors normes a donné lieu tout au long de l’année 2015 à bien des péripéties et tensions, y compris au sein de chacune de ses composantes. L’ANC et Ómnium Cultural ont beaucoup contribué à arrondir les angles et aplanir les rivalités entre les deux principaux partis CiU et ERC. La carte politique catalane s’en trouve modifiée. Une partie des socialistes rejoint Junts pel Sí, le reste s’oppose à la maison-mère, le PSOE, qui craint une dérive souverainiste de sa section régionale déliquescente, laminée par les débats sur la forme que doit prendre l’Etat espagnol et l’irruption de Podemos.

Une fraction de CiU a quitté cette coalition: les autonomistes d’Unió feront donc cavalier seul, sans pour autant rejoindre le front constitutionnaliste espagnol. Une page se tourne ainsi pour Convergencia i Unió (CiU) qui a dirigé la Catalogne pendant 28 ans. La tendance indépendantiste de Unió crée sa propre formation, Demócrates de Catalunya, et rejoint Junts pel Sí.

De son côté Podemos est visiblement gêné par ce débat sur l’indépendance, il tente de rester en retrait, dans une certaine neutralité, considérant que la question de la souveraineté n’est pas prioritaire par rapport aux questions sociales. Attitude significative que celle d’Ada Colau, maire Podemos de Barcelone : elle s’abstiendra lors d’un prochain vote portant sur l’adhésion de sa ville à l’Association des municipalités indépendantistes (AMI). Podemos qui prend ici le nom catalan de Sí que es Pot, tente de conquérir son espace politique sur les ruines du parti socialiste et promeut une coalition de gauche. Elle est composée d’ICV, Podemos et d’EUiA, succursale catalane d’IU. Pour Podemos, chaque territoire a le droit «d’ouvrir un processus pour discuter de l’autodétermination», mais ne diposera pas nécessairement d’un «droit à l’autodétermination» c’est-à-dire d’un droit à l’indépendance. Quant au droit à organiser des référendums, Podemos souhaite élargir les thèmes sur lesquels la population peut être consultée et veut changer l’article 92 de la Constitution pour que les référendums ne soient plus seulement à caractère consultatif. Podemos ne s’oppose donc pas à l’ouverture du débat sur l’autodétermination, mais se garde bien d’approuver le choix de la sécession. Pour une formation espagnoliste, cela représente une ouverture importante.

La campagne électorale bat déjà son plein sous l’égide des indépendantistes avec pour label Benvinguts al futur, comme est en préparation la Diada (Aberri Eguna) du 11 septembre dont les abertzale voudraient se servir pour donner un élan supplémentaire à leur courant, quinze jours avant le scrutin. Le débat politique est émaillé d’opérations hautement symboliques: les signes officiels (statues, noms de rues, de monuments ou d’institutions, etc.) qui représentent ou rendent hommage à la monarchie espagnole, sont peu à peu enlevés par les municipalités que dirige Podemos. Le phénomène affecte toute l’Espagne mais prend un singulier relief en Catalogne où le courant indépendantiste et républicain d’ERC pèse de tout son poids. Chacun sait que Philippe VI, chef des armées, représente et symbolise l’unité nationale espagnole, c’est même sa fonction principale. Il est venu en personne le 23 juillet à Barcelone —et à Bilbao deux jours plus tôt— remettre les pendules à l’heure en prononçant de grands discours sur «l’Espagne qui nous unit» et le «respect de la loi, exigence inéluctable». Le roi s’est posé en garant de la Constitution et d’une légalité intangible, feignant d’ignorer que toute loi n’est que le reflet d’un état de la réflexion et du débat dans une société donnée à un instant T, le fruit d’un rapport de force socio-politique qui évolue au fil du temps…

Depuis plus d’un an, des groupes d’experts catalans
travaillent sur différents scénarios de transition
vers la souveraineté pleine et entière,
afin que l’opération se fasse
progressivement et sans trop d’à coup,
en particulier sur le plan économique?

Six mois de transition vers la souveraineté

Que se passera-t-il après le 27 septembre, si jamais Junts pel Sí obtient la majorité absolue? Les spéculations vont bon train. L’arsenal juridique espagnol prévoit une suspension du statut d’autonomie catalan en fonction des mesures que prendra le nouveau gouvernement de Barcelone. Et donc une administration directe par l’Etat. L’armée espagnole, garante de l’unité nationale selon la Constitution, peut aussi sortir de ses casernes, comme elle l’a déjà fait par le passé.

Depuis plus d’un an, des groupes d’experts catalans travaillent sur différents scénarios de transition vers la souveraineté pleine et entière, afin que l’opération se fasse progressivement et sans trop d’à coup, en particulier sur le plan économique. Il faut éviter un vide juridique propice à des débordements ou des provocations que ne manqueront pas d’utiliser ou de susciter les espagnolistes, et rassurer l’opinion publique sur une (r)évolution aussi inédite. L’ANC (Assemblée nationale catalane) a dans ses tiroirs un projet complet d’institution pour remplacer la Generalitat, en cas de dissolution brutale par l’Espagne. Junts pel Sí entend ne pas laisser trainer les choses, un gouvernement « très resserré », en principe dirigé par Artur Mas, sera constitué, il se donnera six mois après le 27 septembre pour rompre avec l’Espagne. Le texte de la future Constitution catalane est déjà rédigé, le système fiscal, largement inspiré de modèles australien et suédois, est dans les cartons. Le réseau des futures ambassades catalanes est en cours de mise sur pied en particulier en Europe, dans le cadre d’une loi déjà votée sur la politique extérieure de la Generalitat. Cinq diplomates d’origine catalane ont été mis à contribution.

 Même le PP se bouge

Le projet indépendantiste catalan relance le débat espagnol sur la forme que doit prendre l’Etat et un changement nécessaire de la Constitution. Le PSOE se divise là-dessus et prend une position plutôt crispée, avec le rejet de tout pacte fiscal particulier qui serait différent du droit commun. Il y a deux ans, il avait évoqué l’hypothèse d’un Etat fédéral, mais aujourd’hui accuse sa succursale catalane, le PSC, de souverainisme larvé.

Même le PP et le chef du gouvernement Mariano Rajoy ont ouvert la porte, sans que l’on sache très clairement ce qui en sortira. Son immobilisme absolu affiché depuis des années, était décidément intenable. Le ministre de la Justice, Rafael Català, déclare le 6 août qu’il convient de changer dans la Constitution la répartition des compétences entre Etat central et gouvernements autonomes. Le parti a fait fuiter le 1er août un projet de réforme portant sur les pouvoirs du sénat, sensé représenter les régions. Ces annonces en plein mois d’août, période propice aux déclarations qui fâchent, montre que les choses bougent.

Tout Etat est une construction juridique plus ou moins stable et en crise, appelée à changer. L’immense mérite des abertzale catalans est d’oser prendre des risques institutionnels et politiques considérables —y compris quant à l’avenir de nombre de leurs cadres et dirigeants— pour accélérer des mutations qui devraient donner quelques idées aux autres nationalités.

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