Catalunya : le Tribunal constitutionnel admet l’amnistie des indépendantistes

Les membres du Tribunal constitutionnel espagnol.

Contestée par le Partido Popular (PP), la Haute Cour considère que cette loi est compatible avec la Constitution. Mais son application va encore faire l’objet d’interminables procédures. Votée il y a treize mois, la loi d’amnistie avait permis l’élection du premier ministre socialiste Pedro Sanchez, grâce entre autres aux voix des sept députés indépendantistes de Junts.

Six magistrats sur dix ont décidé le 26 juin que la loi adoptée par le Parlement espagnol en mai 2024 effaçait tous les « délits » commis par des centaines d’indépendantistes catalans dont de nombreux dirigeants, lors du processus indépendantiste, ses référendums successifs et sa déclaration d’indépendance. Cette amnistie âprement négociée par Carles Puigdemont avait fait l’objet d’un recours de la part des députés PP auprès du Tribunal constitutionnel (TC).

Dans ses attendus, la Haute Cour considère aujourd’hui que le silence de la loi fondamentale en la matière ne peut être interprété comme une interdiction. En l’adoptant, le législateur a eu « un objectif légitime, explicite et raisonnable », car « l’amnistie avait pour but de réduire la tension institutionnelle et politique générée par le processus sécessionniste catalan et faciliter un scénario de réconciliation ». Face « à une situation politique exceptionnelle, elle répond légitimement à l’intérêt général ».

Pas un traitement de faveur

Pour les adversaires de l’amnistie, celle-ci viole le principe d’égalité devant la loi. Le TC admet qu’il s’agit d’un « traitement de faveur », une sorte « d’auto-amnistie » favorisant celui qui a lancé un pavé dans une manifestation indépendantiste, plutôt que lors d’un rassemblement contre une expulsion… « Tout est affaire de contexte sociopolitique particulier », expliquent doctement les magistrats pour qui le principe d’égalité n’est pas violé, du fait du « caractère raisonnable de la finalité d’un texte désireux de contribuer à l’apaisement social ». Ils soulignent qu’il s’agissait de répondre à « un défi sans précédent lancé contre l’ordre constitutionnel, l’unité de l’État, la souveraineté nationale et d’une profonde fracture dans le vivre ensemble démocratique ».
La loi d’amnistie constitue-t-elle une monnaie d’échange en faveur de l’investiture du chef du gouvernement ? Le Tribunal constitutionnel botte en touche : « Il appartient au législateur d’apprécier les circonstances justifiant l’octroi de l’amnistie », sur ce point, les magistrats « ne peuvent se substituer à lui ». Ils ne sont pas dupes, leur décision est éminemment politique dans une affaire qui l’est tout autant. Nous ne détaillerons pas ici la longue suite des attendus de ce jugement, vrai chef d’œuvre d’ingénierie juridique et de casuistique, digne des plus grands théologiens jésuites. À n’en pas douter, de si brillants montages et arguments raviront des générations de juristes sur les bancs des facultés de droit.

« S’agit-il d’un coup d’épée dans l’eau ?
Théoriquement, 164 fonctionnaires et 210 citoyens condamnés devraient bénéficier de l’amnistie,
au premier rang desquels de nombreux dirigeants et anciens membres du gouvernement régional. »

La décision du 26 juin mécontente la droite et ses extrêmes, elle satisfait les socialistes et les souverainistes catalans et basques. Mais la grande question est celle de son effet immédiat. Il est réduit pour l’instant à pas grand-chose. S’agit-il d’un coup d’épée dans l’eau ? Théoriquement, 164 fonctionnaires et 210 citoyens condamnés devraient bénéficier de l’amnistie, au premier rang desquels des hauts fonctionnaires et anciens membres du gouvernement régional. Parmi eux, les deux leaders de Junts et d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), Carles Puigdemont et Oriol Junqueras : le premier vit depuis huit ans à Bruxelles, aux côtés de deux autres dirigeants eux aussi exilés. Le second, bien que partiellement gracié, est toujours frappé d’inéligibilité avec trois autres leaders indépendantistes.

Délit de malversation exclu de l’amnistie

Si l’on intègre les personnes en attente de jugement, le chiffre des bénéficiaires possibles de la mesure est beaucoup plus élevé, de l’ordre de 1.400 personnes, selon les données recueillies par Òmnium cultural. En revanche, 164 policiers ont été amnistiés. Comme disaient en 1678 les Animaux malades de la peste, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »…

Le hic est que le délit de malversation de fonds publics est exclu de cette loi d’amnistie. La Cour suprême, dont la composition est proche du PP contrairement au Tribunal constitutionnel plus progressiste, se penche sur cet aspect du dossier qui relève de sa compétence. Elle considère que la malversation n’est pas amnistiable : cela concerne essentiellement l’usage de fonds publics pour organiser les référendums successifs et la création de délégations catalanes à l’étranger ou pseudo-ambassades, soit 3,4 millions d’euros. Là-dessus, la Cour des comptes, l’Audiencia nacional et le Tribunal supérieur de justice de Catalogne posent une question pré-judiciaire au Tribunal de justice de l’Union européenne (TJUE). Celui-ci a démarré le 15 juillet l’examen contradictoire des différentes facettes du dossier pour savoir si l’amnistie est compatible avec le droit communautaire. Le TJUE considère déjà qu’elle « ne répond pas à l’intérêt général, mais relève d’un accord politique ». L’avocat de la Commission européenne note que le financement du processus indépendantiste sur des fonds publics n’affecte pas les intérêts économiques de l’Union européenne.

Le bâtiment du Tribunal constitutionnel espagnol.

Ce recours va évidemment retarder le règlement judiciaire du conflit qui se noie dans le labyrinthe des procédures, bloque le retour de Carles Puigdemont dans son pays et entrave son action. Dans les prochains mois, la Cour européenne des droits de l’homme statuera sur un recours des leaders du processus indépendantiste condamnés par la Cour suprême espagnole en octobre 2019. Le Tribunal constitutionnel statuera en septembre sur quinze recours présentés par les gouvernements autonomes espagnols aux mains du PP. En attendant, le magistrat de la Cour suprême Pablo Llarena ignore la sentence du Tribunal constitutionnel et maintient en vigueur les ordres de détention qui frappent Carles Puigdemont et ses amis. Ce dernier vient à nouveau d’ouvrir une procédure pour réclamer au TC la levée des mesures de détention qui le frappent. Réponse en septembre.

« C’est cela la politique »

Aucun chapitre des accords politiques signés entre Carles Puigdemont et Pedro Sanchez n’a été honoré à ce jour : amnistie et retour des dirigeants exilés, officialisation du catalan par l’Union européenne, nouveau pacte fiscal et reconnaissance nationale de la Catalogne. Ce qui fait dire au secrétaire général de Junts, Jordi Turull : en Espagne, « ils sont plus compréhensifs et indulgents à l’égard de l’usage des armes que pour l’utilisation des urnes ». Les auteurs du putsch du 23 février 1981 et les instigateurs du GAL ont été rapidement amnistiés. Ceux qui ont organisé les référendums catalans patientent toujours.

 » En Espagne, « ils sont plus indulgents à l’égard de l’usage des armes que pour l’utilisation des urnes ».
Les auteurs du putsch du 23 février 1981 et les instigateurs du GAL ont été rapidement amnistiés.
Ceux qui ont organisé les référendums catalans patientent toujours. »

Curiosité de l’histoire, c’est ce même Tribunal constitutionnel qui, à partir de 2006, vida de son contenu le nouveau statut d’autonomie catalan approuvé par les parlements locaux et centraux, ainsi que par référendum. Il déclara inconstitutionnels ses articles les plus emblématiques. Cela déboucha sur la mutation de la coalition CiU : la majeure partie de son électorat et de ses cadres vira de l’autonomisme au souverainisme, avec pour conséquence une crise sans précédent des institutions de l’État espagnol.

Aujourd’hui, la décision du Tribunal constitutionnel arrange bien Pedro Sanchez : « Pour l’Espagne, voilà une bonne nouvelle. C’est cela la politique, un levier pour transformer, résoudre des situations, apporter des solutions au conflit très grave que l’Espagne et la Catalogne ont traversé en 2017 ». « L’amnistie est légale, constitutionnelle, légitime et utile » parce qu’elle « conforte une normalisation totale de la situation en Catalogne », ajoute le ministre de la Justice Félix Bolaños.

Choix du conflit gelé

Effectivement, l’objectif principal de Pedro Sanchez est atteint. Il se maintient aux commandes grâce au soutien des indépendantistes catalans dont l’unité d’action est fracturée et qui ne détiennent plus la majorité absolue dans la région. Le PSOE les a évincés et tient les rênes du pouvoir à Barcelone. L’intensité de la revendication souverainiste a baissé après les mobilisations référendaires d’hier. Le vivre ensemble semble refleurir, le désir de sécession a l’air de s’éroder. L’affrontement institutionnel entre pouvoirs exécutif et judiciaire demeure vif, mais il s’atténue. Le conflit est en somme gelé, même si rien n’est réglé sur le fond. Pedro Sanchez poursuit d’interminables négociations avec ses rivaux et adversaires-partenaires, ERC et Junts, qui n’ont d’autre choix que de le soutenir, tout en menaçant de le lâcher. Cette hypothèse serait pire que la situation actuelle car l’ombre du PP et de Vox menace. Donc pas de réelle alternative.

L’amnistie a pour l’instant tout l’air d’un os à ronger, elle polarise les positions de la droite politique et judiciaire contre les socialistes, mais au final conforte une majorité au bord du précipice. Une affaire de corruption affecte des proches de Pedro Sanchez, en premier lieu son homme de confiance aujourd’hui en prison, Santos Cerdan qui négociait régulièrement avec Carles Puigdemont à Genève. Artisan d’une politique des petits pas en cette guerre d’usure, le Premier ministre PSOE est annoncé comme étant politiquement « à l’entrée d’une unité de soins palliatifs ». Mais il résiste, ne lâche pas grand-chose à ses partenaires, joue la montre et s’accroche aux branches sur son chemin de croix. Décidément, du grand art.
Le 16 juillet, une nouvelle affaire de corruption secoue le PP pour avoir favorisé de très grandes entreprises : l’ancien ministre du budget Cristobal Montoro de 2011 à 2018 est sur la sellette. À croire qu’en Espagne, le PSOE et le PP se livrent à une concurrence acharnée sur le thème de qui sera le plus corrompu.

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