Chemins vers l’indépendance (1)

Woodrow Wilson : “ quand j’ai prononcé ces termes, je l’ai fait sans connaître l’existence de toutes ces nationalités ”.
Woodrow Wilson : “ quand j’ai prononcé ces termes, je l’ai fait sans connaître l’existence de toutes ces nationalités ”.

Si aujourd’hui, le référendum d’autodétermination semble être une étape nécessaire pour accéder à l’indépendance, son utilisation se développe depuis peu et reste en pratique l’un des moyens pour affirmer le droit des peuples à disposer d’eux même.

Le Sud Soudan, l’Ecosse, la Catalogne, le Kurdistan, l’île Bougainville, la Kanaky, et plus récemment les quatre régions ukrainiennes annexées par la Russie ont pour point commun d’avoir connu un référendum d’autodétermination ces dernières années. Ces consultations n’avaient évidemment pas le même degré de légalité ou de légitimité et s’inscrivaient dans des dynamiques différentes, mais elles renforcent toutes cette conviction assez répandue que le référendum d’autodétermination est une étape nécessaire pour accéder à l’indépendance.

Cela n’a pourtant pas toujours été le cas, et même si l’on se concentre sur des exemples récents, la fonction du référendum n’est pas clairement définie.

Le Sud-Soudan est bien devenu indépendant en 2011, six ans après avoir organisé un référendum d’indépendance remporté avec 98 % des voix mais, à part l’Albanie, aucun pays n’avait reconnu l’indépendance du Kosovo en 1991 malgré la victoire des indépendantistes lors d’un référendum remporté avec 99,98 % de oui et une participation de 87 %. Et c’est finalement sans référendum, par une délibération du parlement de la province, que le Kosovo déclara son indépendance en 2008, une indépendance aujourd’hui reconnue par la majorité des membres de l’ONU (100 sur 193).

Le référendum d’indépendance n’est en définitive qu’un moyen parmi d’autres de concrétiser “ le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ” qui peut aussi se déployer selon d’autres modalités que j’essaierai de décrire dans une prochaine chronique.

Je consacrerai avant cela celle d’aujourd’hui à un bref survol des processus d’indépendance du XXe siècle et celle du mois prochain à une analyse un peu plus fine de la jurisprudence relative à la reconnaissance de nouveaux États, telle qu’elle s’est formalisée après la chute de l’URSS.

La loi du peuple

La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 stipule que “ tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants ”, à la formation de la loi. Cette formulation est une synthèse entre le système représentatif prôné par Montesquieu pour qui “ le peuple, qui a assez de capacité pour se faire rendre compte de la gestion des autres, n’est pas propre à gérer par lui-même ”, et la conviction de Rousseau que “ toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifié est nulle ”.

Une démocratie référendaire aurait pu se développer dans la foulée, mais le recours immodéré et contestable à la consultation populaire par Napoléon Bonaparte (qui se fit par exemple nommer Consul à vie en 1802 par plébiscite), puis lors du Second Empire, a durablement discrédité l’usage du référendum.

Ce discrédit explique peut-être que le référendum n’ait longtemps pas été jugé pertinent pour entériner la création d’un nouvel État.

Dans son “ Étude historique et comparative des référendums d’autodétermination et de sécession ”, Matt Qvortrup estime que ce sont le Texas, la Virginie et le Tennessee qui, en 1860, ont convoqué les premiers référendums sur l’indépendance en soumettant à leurs électeurs leur décision de faire sécession de l’Union. Il faudra ensuite attendre près d’un demi-siècle pour que l’expérience soit renouvelée, lorsque la Norvège fit sécession de la Suède en 1905.

Cadre international

Ces premiers exemples de référendums d’indépendance se tinrent en dehors de tout cadre juridique international. Ce sont probablement les fameux “ 14 points de Wilson ” qui jetèrent les bases d’un tel cadre. Dans un discours prononcé devant le Congrès des États-Unis en 1918, à la fin de la première guerre mondiale, le président américain Woodrow Wilson avait proposé un projet de traité de paix en 14 points qui reposait sur “ le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ”, un principe qu’il explicita un peu plus tard. Ces “ 14 points ” ne furent finalement que partiellement intégrés au Traité de Versailles, et avec un champ d’application restreint ; ainsi, le droit à l’autodétermination fut refusé aux peuples vaincus (comme les Allemands d’Autriche) ou non représentés dans les instances internationales (Irlandais et Ukrainiens par exemple). Dans tous les cas, le référendum n’était pas considéré comme une étape nécessaire pour valider la reconnaissance d’un nouvel État comme l’attestent, entre autres, les exemples de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie, de la Yougoslavie ou de la Finlande. Ce n’était pas non plus une étape suffisante : en 1933, l’Australie Occidentale remporta un référendum de sécession avec une majorité de 66 %, mais ce vote resta sans effet car les anti-indépendantistes remportèrent les élections législatives organisées le même jour. En définitive, et malgré l’irruption sur la scène internationale du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le référendum d’indépendance ne se développa pas dans l’entre-deux-guerres.

Sur 56 référendums de ce type recensés par Qvortrup sur la période 1860-2020, pas moins de 50 eurent lieu après 1944.

Une sorte de messie

Il ne faut pour autant pas sous-estimer la portée du discours de Wilson qui “ avait cessé d’être un homme d’État ordinaire pour devenir une sorte de messie ” , selon l’écrivain H.G. Wells. Dans Le vrai échec du traité de Versailles , l’historien Bruno Cabanes rapporte l’enthousiasme soulevé par le président américain : “ en Égypte, en Inde et en Chine, grâce aux progrès de la presse, les discours du président américain sont traduits, et son message largement diffusé et débattu dans les milieux nationalistes, malgré́ la censure des autorités coloniales. Des extraits du discours des « quatorze points » sont appris par coeur dans certaines écoles chinoises ”.

Cet enthousiasme est pourtant basé en partie sur un malentendu car, comme l’explique Cabanes, “ dans la pratique, Wilson vise surtout les territoires de l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et l’Empire ottoman mais pas les colonies asiatiques ou africaines ”.

Dans son article Woodrow Wilson et le “ principe d’autodétermination national ” : une réévaluation, Allen Lynch estime que le soutien de Wilson au principe d’autodétermination des nations, quoique profond et sincère, était subordonné aux intérêts des États-Unis ; il admettait d’ailleurs facilement que son application devait être sujette à d’autres considérations diplomatiques, stratégiques ou économiques.

Au-delà du malentendu sur la portée que le Président américain entendait donner à ses “ 14 points ”, il en est un autre, de nature plus conceptuelle et qu’une lecture attentive du discours aurait dans certains cas permis de lever. Pour Lynch, “ l’idée d’autodétermination des peuples a été comprise communément en termes d’autodétermination nationale, ou autodétermination des nations ”, alors que pour Wilson, “ ce droit était ancré dans la tradition anglo-américaine de nationalisme civique, c’est-à-dire que pour Wilson, l’auto-détermination signifiait le droit des communautés à s’auto-gouverner ”. Wilson confessera lui-même avoir été complètement dépassé par la portée de ses propos : “ quand j’ai prononcé ces termes, je l’ai fait sans connaître l’existence de toutes ces nationalités […] Vous ne savez pas et ne pouvez pas imaginer les angoisses que j’ai vécues devant l’espoir suscité chez de nombreux millions de personnes à la suite de ce que j’avais dit ”.

Cadre de décolonisation

Malentendu ou pas, il existait désormais un cadre conceptuel pour guider le mouvement de décolonisation au lendemain de la seconde guerre mondiale — et même un cadre juridique puisque la Charte des Nations- Unies de 1945, puis le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, réaffirmèrent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Contre-intuitivement, le référendum d’indépendance demeura pourtant un outil marginal. Pour préciser le décompte mentionné plus haut, sur les 50 référendums de la période 1945- 2020, près de 80 % (39 au total), ont eu lieu après 1990. En règle générale, les mouvements indépendantistes ayant réussi à se retrouver en position de force par rapport à l’État colonisateur préféraient pousser leur avantage dans des négociations plutôt que de risquer une défaite dans un référendum.

Le référendum constitutionnel impulsé par De Gaule en 1958 l’illustre bien. Il visait également, dans les colonies, à la création de la “ Communauté française ”, une association politique entre la France et son empire colonial. Sur les 19 colonies concernées, seule la Guinée prit le risque de défier Paris et d’utiliser ce référendum pour rejeter la constitution et accéder à son indépendance : “ nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ” avait lancé Sékou Touré à de Gaulle qui menaçait la Guinée de sanctions économiques.

C’est par un processus moins risqué de négociations que la plupart des autres colonies obtinrent peu après l’indépendance.

La grande vague des référendums d’autodétermination ne s’est donc pas inscrite dans le cadre de la décolonisation, elle déferla au début des années 1990 après l’effondrement de l’URSS, quand les Pays baltes, une douzaine de républiques soviétiques et six républiques yougoslaves voulurent accéder à l’indépendance.

Si le cas des Pays baltes, envahis par l’URSS en 1940, pouvait se rapprocher du cadre usuel d’un processus de décolonisation, il n’en allait pas de même des autres demandes.

Fallait-il ou pas reconnaître ces nouveaux États ? En première ligne, la Communauté Européenne (ancêtre de l’Union Européenne) dut se positionner dans l’urgence et créa une commission de juristes, la “ Commission Badinter ”, afin d’établir une liste de critères pour la guider dans ses décisions. C’est dans ce nouveau cadre juridique que le référendum s’est imposé comme une étape quasiment indispensable pour tout processus d’indépendance. Ce cadre juridique, né dans un contexte bien spécifique, souffre de nombreuses limitations et je reviendrai donc dessus dans ma prochaine chronique car, qu’on le regrette ou pas, c’est une référence incontournable pour tous les peuples en quête d’indépendance.

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