Jean Ybarnégaray (1883-1956) Son rôle politique

Enbata: Quelles étaient les origines de Jean Ybarnégaray? Comment sa carrière politique a-t-elle débuté?
Jean-Claude Larronde: Jean Ybarnégaray est né en 1883 à Uhart-Cize; son père Albert, est un ancien commissaire de marine; il est propriétaire de la maison noble dénommée “Argava” connue comme “le château Ybarnégaray”; il avait é-pousé Marie Estrugamou, dont la famille originaire de Charritte-de-Bas avait émigré en Argentine où elle avait fait fortune. La famille Ybarnégaray est donc une famille de grands notables; à l’église paroissiale, un banc lui est réservé.
Les études de Jean Ybarnégaray se déroulent au petit séminaire d’Ustaritz puis au collège Stanislas de Paris et aux facultés de Droit de Paris et de Bordeaux. Il est docteur en droit et avocat mais ne plaide guère même si l’on a remarqué déjà qu’il a la parole facile et bril-lante.
En 1912, il est élu maire d’Uhart-Cize et en avril 14, il est élu pour la première fois député de la circonscription de Basse-Navarre-Soule. Au cours de la campagne électorale, il avait mis en avant les principes d’ordre et de morale et les principes religieux et s’était déclaré fidèle à la devise “Eskualdun fededun”. Il recueillit tous les votes ruraux et con-servateurs, soit 56 % des suffrages face à son adversaire républicain, le conseiller général de Saint-Palais Blaise Guéraçague, mais cette élection fut contestée car le clergé local était intervenu trop ouvertement en sa faveur, aux yeux de certains de ses opposants.

Enb.: La Guerre de 14-18 a été primordiale dans la carrière politique de Jean Ybarnégaray. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?
J-C. L.: Bien qu’il ait la possibilité de s’en dispenser en sa qualité de parlementaire, il part à la guerre comme soldat de 2e classe et gagne rapidement des galons; il est lieutenant de réserve en juillet 16. Un épisode marquera profondément sa vie: ayant été témoin de l’offensive désastreuse d’avril 17 au Chemin des Dames, il se rend à Paris où il est reçu par Raymond Poincaré, Président de la République; auprès de ce dernier comme à la Chambre des députés deux mois plus tard, il se livre à un violent réquisitoire contre l’action du général Nivelle. C’est son premier coup d’éclat, sa première page de gloire parlementaire, un épisode qui révèlera à la France entière ses qualités d’orateur hors pair. De cette époque aussi, date une certaine complicité entre Ybarnégaray et Pétain.
Il termine le conflit avec la Croix de Guerre avec palmes et la Légion d’Honneur. Il est incontestable que ses états de service vont lui servir dans la suite de sa carrière.

Enb.: Comment Ybarnégaray deviendra-t-il le grand leader politique du Pays Basque? La pelote n’a-t-elle pas joué un rôle important?
J-C. L.: Après 1918, Jean Ybarnégaray s’emploie à renforcer son implantation; il est le grand leader politique du Pays Basque pendant l’entre-deux-guerres. Il est réélu député en 1919, 24, 28, 32 et 36. Pour donner une idée de son implantation électorale, qu’il suffise de dire qu’en 1928, sûr d’un facile succès, il n’a même pas pris la peine d’envoyer de professions de foi, ni fait imprimer d’affiches; aux législatives de 36, alors que dans l’hexagone, le Front Populaire remporte la victoire, sa circonscription de Basse-Navarre et Soule lui donne 85,5% des suffrages.
Si Jean Ybarnégaray a joui d’une telle popularité, il le doit aussi à la pelote. Il en fut
un grand dirigeant: président-fondateur de
la Fédération Française de Pelote Basque (FFPB) en 1921 et président-fondateur de la Fédération Internationale de Pelote Basque (FIPB) en 29. La pelote est admise comme sport de démonstration aux Jeux Olympiques de Paris en 24; on le doit en grande partie à Ybar, de même que l’édification au même moment du fronton de Paris. Mais il était aussi un grand joueur de pelote; en 1926, 27 et 28, il est champion de France de joko garbi (il avait de 43 à 45 ans). On peut dire que si Ybar a bien servi la pelote, il s’en est servi aussi pour asseoir et renforcer son autorité et sa notoriété.

Enb.: Quelles ont été ses principales prises de position politiques?
J-C. L.: Jean Ybarnégaray doit être classé parmi les tenants d’une droite conservatrice. Sa pensée politique est marquée par le patriotisme français, par le militarisme et par un catholicisme actif imprégné des valeurs d’or-dre et de morale; il se fait le champion de l’anti parlementarisme; il combat farouchement la franc-maçonnerie mais il n’est pas anti sémite.
Il est membre des Jeunesses Patriotes (JP), mais à partir de 1934, il va se tourner vers les “Croix de Feu”, un regroupement d’anciens combattants créé par le Colonel de la Rocque. Ce dernier insistait sur la nécessité de l’implantation d’un régime fort de type présidentiel mais il refusait l’anti sémitisme et le fascisme. Lors de la manifestation des ligues d’extrême droite à Paris le 6 février 34, la police tira sur la foule et il y eut des morts et des blessés, ce qui donna à Ybar le prétexte d’entreprendre dans toute la France, une tournée de conférences dans lesquelles il condamna sé-vèrement le régime qui avait tiré sur les anciens combattants.

Enb.: En 1936, survient la guerre civile d’Espagne. Quelle a été son attitude lors de ce conflit?
J-C. L.: Ybar a été un franquiste enthousiaste; il se déclare pour Franco lors d’un meeting à Pau, fin octobre 36; il prononce fin mai 37 —un mois après le bombardement de Gernika!— à Bordeaux un grand discours où il réitère son soutien à Franco et où il attaque le Président du gouvernement Basque José Antonio Aguirre.
Ybarnégaray ne fera partie d’aucun comité de secours aux réfugiés basques. Au contraire, il les poursuit de sa haine et sera le principal responsable de la rafle des Basques sur la côte basque qui intervient du 18 au 25 mai 40; 600 d’entre eux sont internés au camp de Gurs.

Enb.: L’année 1940 paraît être le point culminant de sa carrière politique. Quel a été son rôle dans cette année cruciale et dans les années suivantes?
J-C. L.: C’est dans le grave contexte de l’année 1940 qu’Ybar atteindra le sommet de sa carrière politique. Paul Reynaud le nomme à partir du 10 mai, ministre d’Etat (sans portefeuille) puis du 16 juin au 10 juillet 40, il est ministre des Anciens combattants et de la Famille française dans le gouvernement Pé-tain qui est le dernier de la IIIe République. Qu’il soit nommé ministre de la Famille ne manqua pas d’entraîner quelques ricanements de la part de ses compatriotes qui étaient au courant de ses nombreuses aventures sentimentales (il ne s’était marié qu’en juin 36, à presque 53 ans) et du fait qu’il avait été amené à reconnaître un enfant naturel. Le 10 juillet 40, il vote les pleins pouvoirs à Pétain et est nommé secrétaire d’Etat à la Famille et à la Jeunesse dans le gouvernement Laval. Il le restera jusqu’au 6 septembre 40, date à laquelle il est renvoyé en même temps que d’autres anciens parlementaires de la IIIe République.
Dès lors, il retourne à Uhart-Cize dont il de-meure le maire et ne prend plus part à la vie politique française. Des témoignages attestent qu’il aida des résistants à passer en Espagne. Ce fait ainsi que quelques déclarations pu-bliques germanophobes lui attirent les foudres de la Gestapo. Il est arrêté chez lui le 22 septembre 43 et incarcéré à Bayonne. Transféré à Fresnes, il est déporté au début de janvier 44 à Plansee dans le Tyrol où il restera en compagnie de quelques dizaines d’officiers supérieurs et de personnalités civiles jusqu’à la libération des camps en avril 45.

Enb.: Après 45, son influence n’est-elle pas en net déclin en Pays Basque?
J-C. L.: Dès son retour sur le sol français, Ybar eut à découdre avec la justice comme tous les membres du gouvernement de Vichy. Il fut inculpé d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat et assigné à résidence dans la région parisienne. Un Jury d’honneur, fin 45, décida qu’Ybar resterait frappé de l’inéligibilité de dix ans qui concernait tous les parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain. Le procès en Haute-Cour de Justice
a lieu en mars 46; l’arrêt de la Haute-Cour
est ainsi rédigé: «Déclare Ybarnégaray Jean convaincu du crime d’indignité nationale. A la majorité, déclare n’avoir lieu de le condamner de ce chef en raison de l’aide apportée à des éléments de la Résistance et de sa déportation de 16 mois due à l’expression de ses sentiments anti allemands».
L’impression est largement partagée que le temps d’Ybar est passé. Son inéligibilité l’empêche de se présenter aux élections jusqu’en 53 mais ce n’est pas la seule raison de sa perte d’influence; le contexte politique, économique et social a radicalement changé; les élections voient le renforcement du poids communiste et socialiste et en Pays Basque, une force politique centriste est apparue: le Mouvement Républicain Populaire (MRP); en avril 55, il est sévèrement battu lors d’une législative partielle par Jean Errecart. La carrière politique d’Ybar est terminée. Il décède en avril 56.
Enb.: Que reste t-il en Pays Basque aujourd’hui de Jean Ybarnégaray?
J-C. L.: Sa conception du Pays Basque est totalement dépassée; pour Ybar, il fallait garder le Pays Basque dans ses traditions, le conserver dans sa morale et sa pureté et non prétendre le changer ou le transformer; c’est en ce sens par exemple que les préoccupations économiques sont totalement absentes de son action.
Aujourd’hui, l’image d’Ybarnégaray est fortement dégradée en Pays Basque où on peut remarquer qu’aucune avenue, rue, stade ou fronton ne porte son nom. Si son image est aussi mauvaise, cela tient, me semble-t-il, à son action répressive lorsqu’il a été au pouvoir en 40: d’une part, son combat contre la franc-maçonnerie va lui attirer les haines des instituteurs et des forces de gauche; d’autre part, ses prises de positions pro-franquistes et contre les nationalistes basques du Président Aguirre puis contre les réfugiés sur le sol français, de quelque idéologie qu’ils soient, vont à jamais ternir son image.
Il n’en reste pas moins que Jean Ybarnégaray a incarné une époque, qu’il a été le symbole d’une tranche de vie du Pays Basque certes révolue mais qu’il convient de connaître pour mieux appréhender les mentalités, les ressorts et les enjeux du Pays Basque d’aujourd’hui.

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