L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe nous renvoie artificiellement à la guerre froide, comme si la Russie était encore communiste. En même temps, l’élection de Donald Trump laisse l’Europe orpheline. Celle-ci réalise enfin qu’il lui faut assurer elle-même sa propre défense. Et soudain, l’on passe d’un extrême à l’autre, du je-m’en-foutisme irresponsable à la paranoïa obsédée, de budgets militaires de carême à des projets gargantuesques, sur le dos notamment de la protection sanitaire et sociale des populations.
Asseyons-nous d’abord, respirons un bon coup et faisons le compte des forces en présence. Les États européens réunis ont plus de soldats, de tanks et d’avions de combat que la Russie, et même que les USA. Mon impression est donc que la défense de l’Europe n’est pas principalement une affaire de gros sous, de projets faramineux, mais d’organisation, de coopération, de coordination. Il s’agit de faire marcher ensemble une trentaine d’armées « nationales ». Là aussi, je me méfie des plans mirifiques et compliqués concoctés dans des bureaux anonymes.
Pensons un peu aux deux guerres mondiales. Elles furent gagnées par les Alliés, grâce à un système d’alliance simple, direct, efficace, avec un commandement unifié. Pourquoi tout compliquer ? Surtout, il ne peut être question d’armée européenne, car au combat, il faut se comprendre très vite, donc être de la même langue première que ses collègues immédiats et des chefs les plus proches. Les dirigeants européens ne l’envisagent d’ailleurs pas, mais se limitent plus sagement à vouloir faire fonctionner ensemble leurs armées « nationales ».
Il me semble aussi que la menace russe est surévaluée après avoir été longtemps ignorée. Certes, le risque semble réel dans l’immédiat de voir le conflit actuel déborder sur les États voisins de l’Ukraine en cas de victoire russe. Mais, à moyen terme, je ne vois pas a priori comment cette armée pourrait se lancer à l’assaut de l’Europe après sa longue mésaventure ukrainienne. Le président Poutine s’est apparemment trompé dans ses calculs le 24 février 2022, faute de bonnes informations sur l’état d’esprit de la population ukrainienne qu’il croyait favorable à la Russie. Il a d’ailleurs fait emprisonner jusqu’à une date récente le chef maladroit du service de renseignements. Cette guerre lui coûte très cher à tous points de vue. Il m’étonnerait beaucoup qu’il puisse recommencer. La Russie n’est plus une grande puissance économique, son PIB est inférieur à celui de l’Italie, avec une population double sur un territoire de 27 fois la France, une démographie déficiente et une faible immigration…
De toute façon, l’ensemble européen doit se donner une défense correcte pour tenir debout et se faire respecter par les trois empires qui se reconstituent, avec l’ambition de se partager le monde en zones d’influence et même plus. Mais, tout est dans la juste mesure entre le carême budgétaire d’hier et le carnaval prévu pour demain. A mon avis, le danger principal qui menace les pays d’Europe et leur union est la montée des extrêmes droites soutenues par les dirigeants actuels de nos deux grands voisins, tant américains que russes.
Je ne crois pas à l’imminence d’une troisième guerre mondiale, car les trois empires se tiennent par la barbichette économique, et à la longue, l’Europe et la Russie sont destinées à se compléter.