Dictateurs, monarques et gouvernants ultra-conservateurs manifestent en faveur de la «liberté d’expression» à Paris

ChefsdEtatCertains chefs d’État bien connus pour leur atteinte aux grands principes démocratiques étaient pourtant présents à la marche républicaine, dimanche 11 janvier en hommage aux 17 victimes des attentats en Ile-de-France. «L’unité internationale» a surtout été pensée comme une vaste opération de récupération par le président gabonais Ali Bongo, le roi de Jordanie Abdallah II, le premier ministre hongrois Victor Orbhan ou le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov ?

Le premier ministre conservateur Mariano Rajoy défilait hier «pour soutenir le peuple français contre le terrorisme et pour la liberté». Qu’importe si dès le lendemain, cette même liberté d’expression était remise en question puisque débute à Madrid le procès de 33 nationalistes basques, dont les ressortissantes françaises Aurore Martin et Haizpea Abrisketa, poursuivis pour des faits de nature exclusivement politique, à savoir leur appartenance au parti il-légalisé en 2003 Batasuna.

En Espagne, Charlie Hebdo fait surtout écho à la revue satirique hebdomadaire El Jueves, cas flagrant du non respect de la liberté de la presse. Le journal illustré avait été saisi le 20 juillet 2007, sur ordre du juge de l’Audencia Nacional, Juan del Olmo, considérant la Une du journal «clairement dénigrante et objectivement infamante» à l’égard de la couronne d’Espagne. (Il s’agissait d’un dessin très enfantin représentant le principe et la princesse des Asturies ayant une relation sexuelle)(1) . En septembre 2012, en soutien à Charlie Hebdo, El Jueves avait publié un dessin représentant plusieurs prophètes Mohamed en demandant «qui sait à quoi ressemble le prophète ?». «Le gouvernement de Mariano Rajoy nous a alors qualifié  »d’irresponsables »» nous rapporte Mayte Quílez, journaliste et directrice de publication de l’hebdomadaire satirique «C’est très risible de voir manifester aujourd’hui le premier ministre dans un cortège où le mot d’ordre est “je suis Charlie” !».

Enfin, plus récemment, deux initiatives du gouvernement Rajoy constituent une violation évidente de la liberté d’expression : La loi de sécurité citoyenne d’août 2014, surnommée par ses opposants Mordaza, remet en question le droit fondamental de réunion et de manifestation dans des lieux publics (en vertu de cette loi, un mouvement du type 15-M sur la Puerta del Sol, surnommé «des indignés» en France, n’est plus possible, tout comme soutenir une personne expulsée de son logement).

Le gouvernement Rajoy prévoit de restreindre et de punir législativement les commentaires sur les réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter. Avril 2014, lors de «l’opération Araignée» la Garde Civile a détenu plus de 20 personnes «pour apologie du terrorisme»(2) .

Les rangs des “républicains” européens comptaient également le premier ministre très conservateur, hongrois Viktor Orbán. En 2010, son gouvernement a créé un «organe de régulation de la presse» dont les membres sont nommés par le gouvernement et dont le but flagrant est de renforcer le contrôle institutionnel des médias et de contrôler l’opinion publique hongroise. La journaliste Beatrix Siklosi, connue pour ses idées racistes et ses liens assumés avec l’extrême droite – en 2004, elle avait été licenciée de la télévision publique pour avoir invité le négationniste britannique David Irving –, a été nommée le 15 octobre 2014 rédactrice en chef de la holding MTVA qui englobe tous les médias gouvernementaux. Une situation qui n’a pas évolué et qui continuait d’inquiéter le commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe en décembre 2014.

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu était lui aussi présent à Paris. Le 15 décembre 2014, la police de son pays a pourtant interpellé 24 personnes lors des perquisitions dans les locaux de la chaîne de télévision Samanyolu et le journal à grand tirage Zaman. Une opération présentée comme “une riposte nécessaire à de basses manoeuvres émanant d’ennemis politiques”, avait déclaré le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Environ 70 écrivains ou éditeurs turcs sont actuellement en prison, quand d’autres sont aux prises avec un système juridique inextricable; très souvent ce sont soit des Kurdes, soit des personnes qui ont commenté la situation kurde.

Et que dire de la présence du président gabonais Ali Bongo, du roi de Jordanie Abdallah II ou du ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov ? On pense bien évidemment à Anna Politkovskaïa et aux 22 autres journalistes russes assassinés depuis 2001. Car la situation de la presse dans ces pays reste catastrophique si on se réfère au classement de Reporters sans frontières (RSF) qui relègue le Gabon en 98ème position dans son classement 2014, la Jordanie 144ème et la Russie en 148ème position. En 2009, Ali Bongo, alors ministre de la Défense, succède à son père Omar Bongo au pouvoir depuis 1967. Depuis Ali Bongo a interdit le principal parti d’opposition –l’Union Nationale– et mis en place une Assemblée nationale à sa couleur (114 des 120 députés sont membres du PDG, le parti au pouvoir). Les journalistes indépendants sont contraints de s’exiler comme ce fut le cas pour Jonas Moulenda, directeur de rédaction de Fait Divers.

Manifestation pour l’ordre

En marge de la manifestation, le premier ministre hongrois Victor Orbhan s’est exprimé sur les ondes de la télévision d’Etat en considérant, que “les meurtres Charlie Hebdo devraient faire que l’UE limite l’accès aux migrants en raison de leur “caractéristiques culturelles”.

Que cela soit Mariano Rajoy, Ali Bongo, Benyamin Netanyahou ou le premier ministre turc Ahmet Davutoglu, a aucun moment il n’a été question dans leur déclaration à Paris de liberté de la presse, mais de “collaboration contre le terrorisme”. Une nuance bien confortable pour des dirigeants, qui tente à Paris une opération de récupération. En effet, dénoncer la violence permet d’exporter en France la logique d’une guerre indifférenciée contre l’ensemble des forces politiques opposantes.

«Ce genre de pratique est dans la nature des pouvoir forts, toute occasion est mise à profit» analysait déjà Chomsky au sujet du 11 septembre dans Comprendre le Pouvoir (3). Depuis vendredi, Benyamin Netanyahou a redéployé la rhétorique de l’été 2014, au moment du conflit de Gaza : «nous nous trouvons dans une bataille commune pour nos valeurs et pour notre avenir, et nous refusons d’être intimidés»: en filigranne on devinait les accusations contre le Hezbollah et le Hamas, bien que ces formations aient condamné les attentats. Mariano Rajoy n’a pas fait non plus d’allusion directe au conflit basque: «l’Espagne est un pays qui n’aura pas de trêve dans sa lutte contre le terrorisme, ni contre quelconque de ses manifestations» a-t-il déclaré. Cependant qu’entend Rajoy par «manifestations» du terrorisme ? Amnesty International dénonce régulièrement les autorités ibériques pour «torture»  et «violation du droit à un procès équitable» à l’encontre de militants basques, mais aussi écologistes ou d’extrême gauche ; en 2013, la Cour européenne des Droits de l’homme a d’ailleurs condamné la justice espagnole pour sa doctrine Parot, autorisant le prolongement de peines carcérales.

Enfin, selon son opposition Ali Bongo, cherche à démontrer publiquement au Gabon le soutien sans faille de la France à son régime totalitaire. Car après la répression des grandes manifestations de 2014, qui s’est soldée par des tirs de l’armée dans la foule et la mort de six personnes, l’opposition a annoncé le 22 décembre son intention de saisir la Cour Pénale Internationale. Cependant la France, qui maintient une coopération sécuritaire basée sur le renseignement, l’aide logistique directe et une vingtaine de coopérants dépêchés dans l’armée gabonaise, n’a pas réagi à ces violences. Ce n’est donc pas sans arrière pensées que Koaci, un des journaux à la solde du pouvoir rappelait ainsi dimanche qu’Ali Bongo a été «le premier président africain à condamner la tuerie de Charlie Hebdo».

(1) La revue El Jueves a saisi la Cour européenne des droit de l’homme et la procédure est encore en cours.

(2) Parmi les Twitt poursuivis, « je me réjouis de mort d’Isabel Carrasco » (présidente du Parti Populaire dans la province de Léon, Isabel Carrasco, assassinée par la femme de son amant en mai 2014, tous membre du PP).

(3)Comprendre le pouvoir. Noam Chomsky. Editions Aden.

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2 réflexions sur « Dictateurs, monarques et gouvernants ultra-conservateurs manifestent en faveur de la «liberté d’expression» à Paris »

  1. A propos de ce bon article, comme toujours zéro autocritique du côté abertzale:
    quid des dizaines d’assassinats de sang froid par ETA, des bombes placées dans des lieux publics par les mêmes fanatiques?

Les commentaires sont fermés.