Israël, la fin d’une illusion

Des colons israéliens ont attaqué Huwarra près de Naplouse.


La réforme engagée de la justice en Israël, qui vise l’avancée de la souveraineté du pays, peut aussi permettre des opportunités aux Palestiniens.

Des manifestations monstres secouent Israël et ébranlent le gouvernement de Benyamin Netanyahou formé à la fin de l’année dernière, et qui fait la part belle à une extrême-droite qui n’a jamais caché sa volonté d’annexer l’intégralité de la Palestine. Si la question palestinienne semble absente de cette mobilisation sociale provoquée par une réforme de la Justice orthogonale aux principes des démocraties libérales, elle est pourtant la cause de cette dérive inquiétante…

Le nouveau gouvernement de Netanyahou ne fait pas mystère de ses penchants annexionnistes, voire négationnistes. Ainsi, le très influent ministre des Finances, le suprémaciste juif Bezalel Smotrich, a fait scandale en déclarant à Paris qu’il « n’y a pas de Palestiniens car il n’y a pas de peuple palestinien » ; comme il l’expliquait déjà en 2017, les « ‘Arabes’ peuvent soit accepter que toute la Palestine est juive de droit, et y vivre comme des résidents sans citoyenneté, soit simplement quitter le pays ». Moins médiatisé, Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité Nationale, est un disciple du rabbin Meir Kahane dont le parti Kach avait été interdit pour racisme et terrorisme ; c’est aussi un admirateur de Baruch Goldstein qui avait massacré 29 fidèles dans une mosquée à Hébron en 1994. Grâce à un amendement voté par le Parlement en décembre, Ben-Gvir a pris le contrôle de la police ainsi que des milices créées l’an dernier par l’ancien Premier ministre Naftali Bennett pour « institutionnaliser la coopération entre les civils armés juifs israéliens et la police ».

Mais si les Israéliens manifestent, ce n’est pas à cause de ces outrances. Après tout, les manifestants ne sont pas gênés par la présence à leurs côtés de l’ancien ministre de la défense Benny Gantz qui se vantait d’avoir bombardé Gaza au point d’en avoir « renvoyé certaines parties à l’âge de pierre ». Et si les propos négationnistes de Smotrich ont scandalisé, ils ne sont malheureusement pas exceptionnels en Israël. L’ancienne Première ministre travailliste Golda Meir avait ainsi affirmé en 1969 que « les Palestiniens n’ont jamais existé », et se demandait par ailleurs : « comment pourrions-nous rendre les territoires occupés ? Il n’y a personne à qui les rendre ». On constate d’ailleurs que les Palestiniens boudent les manifestations actuelles et que leurs soutiens israéliens s’y font vertement prier de remballer tout drapeau palestinien.

Situation inédite

Pendant que les Israéliens manifestent contre la réforme de la Justice, les Palestiniens de Cisjordanie font face à une situation inédite depuis les années 2000 et la deuxième intifada. Le 23 février, des forces israéliennes sont intervenues en plein jour au centre de Naplouse, faisant 11 morts et une centaine de blessés. Le 26 février, après que deux colons juifs furent tués à proximité, au village palestinien de Huwara, le ministre Smotrich appela à « raser » Huwara. Le soir même, des centaines de colons se sont livrés à un véritable pogrom, incendiant les maisons et les voitures, et faisant 390 blessés parmi les habitants sous l’œil d’une armée israélienne « complice par sa passivité », pour reprendre les termes du Monde. Le gouvernement israélien n’a même pas fait semblant de prendre ses distances, le ministre Ben-Gvir dénonçant même comme « une mesure anti-démocratique » le fait que des « ordonnances de détentions soient délivrées pour des Juifs » suspectés d’avoir participé aux pogroms.

Il est également intéressant de considérer la séquence politique et diplomatique qui s’est déroulée en parallèle. Le jour du raid de Naplouse, Netanyahou a annoncé la création d’une tutelle civile, avec Smotrich à sa tête, pour les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée. Comme l’explique le Monde, « le transfert de compétences de l’armée occupante, censé demeurer temporaire selon le droit international, à un élu représentant le gouvernement, constitue en soi une affirmation de souveraineté israélienne ». Pour tenter d’entraver le développement des colonies, l’Autorité palestinienne avait obtenu qu’une résolution de condamnation soit proposée le 20 février aux Nations Unies. Washington, jugeant cette initiative « inopportune », fit pression pour qu’elle soit abandonnée en contrepartie de l’engagement par Israël « d’arrêter toute discussion sur de nouvelles unités de colonisation pendant quatre mois, et d’arrêter l’autorisation de tout nouvel avant-poste pendant six mois ». Mais à peine quelques heures plus tard, Netanyahou déclarait « qu’il n’y avait ni n’y aurait aucun gel » et l’un de ses conseillers annonçait « la légalisation de neuf avant-postes et l’approbation de 9.500 unités de colonisation » en Cisjordanie. Le 21 mars enfin, un amendement voté à la Knesset a levé l’interdiction faite aux Israéliens d’accéder aux zones évacuées par les colons en 2005, et une ministre et une députée se fixaient comme prochaine étape « un retour à la maison également dans les colonies de Gush Katif » à Gaza.

Shéma récurrent

On a ainsi assisté ces dernières semaines à une parfaite illustration d’un schéma récurrent et dénoncé, notamment par l’association israélienne de défense des droits de l’Homme B’Tselem : « les colons mènent l’attaque, l’armée la sécurise, et les politiciens la soutiennent ». Selon cette organisation, le pogrom d’Huwara n’illustre pas la dérive d’un gouvernement d’extrême-droite mais « reflète exactement ce à quoi ressemble le contrôle israélien […] : il est la manifestation extrême d’une politique israélienne depuis longtemps en vigueur ». Ce qui est nouveau, c’est que pour mener cette politique, le gouvernement actuel est prêt à remettre en question certaines des libertés des citoyens israéliens. Comme le remarque la journaliste israélienne Mairav Zonsvein, « la démocratie libérale israélienne risque d’être victime du conflit palestinien ».

Le pogrom d’Huwara n’illustre pas la dérive d’un gouvernement d’extrême- droite mais « reflète exactement ce à quoi ressemble le contrôle israélien : il est la manifestation extrême d’une politique israélienne depuis longtemps en vigueur ».

Pour les Israéliens, cette menace contre la démocratie libérale est incarnée par la réforme présentée par le ministre de la Justice Yariv Levin, qui a pour objectif de neutraliser tout contrôle judiciaire sur le gouvernement, en permettant par exemple de rétablir une loi censurée par la Cour Suprême par un simple vote du Parlement à la majorité absolue. Or Israël n’a pas de Constitution et la Cour Suprême est la principale instance de contrôle du pays. Cette réforme ouvre donc la voie à ce que Mairav Zonsvein dénomme « une tyrannie de la majorité » qui pourrait avoir d’importantes conséquences sur le droit à l’avortement, la mixité, le respect imposé du shabbat, etc. Or cette réforme est bien une conséquence de la volonté d’annexer les territoires palestiniens. Yariv Levin le disait d’ailleurs ouvertement il y a quelques années : « un changement de notre système légal est essentiel parce qu’il nous permettra, et nous facilitera énormément des avancées tangibles sur le terrain qui renforceront le processus d’avancement de notre souveraineté ».

Face à cette offensive, les Palestiniens n’ont pas les moyens de résister politiquement. Les États-Unis font obstruction à leurs tentatives de demander un soutien aux instances internationales que ce soit à l’ONU, à la Cour Internationale de Justice Internationale (CIJ), à la Cour Pénale Internationale, etc. Alors qu’elle prend des mesures courageuses contre la Russie, l’Europe se montre quant à elle particulièrement pusillanime par rapport à Israël : lors d’un vote à l’ONU le 30 décembre dernier, sept pays européens ont voté contre une motion demandant un avis consultatif à la CIJ sur la colonisation, dix se sont abstenus (dont la France et l’Espagne) et quatre seulement (Irlande, Portugal, Slovénie, Pologne) ont voté pour. La Russie protège également Israël, laissant par exemple l’État hébreux bombarder la Syrie à sa guise. L’Autorité Palestinienne étant par ailleurs complètement corrompue et discréditée, la situation semble mûre pour une troisième intifada : les groupes armés, dont plusieurs ont émergé récemment, sont soutenus par 72% des Palestiniens qui estiment par ailleurs à 87% que l’Autorité Palestinienne n’a aucune légitimité pour les arrêter.

L’Autorité Palestinienne étant par ailleurs complètement corrompue et discréditée, la situation semble mûre pour une troisième intifada : les groupes armés, dont plusieurs ont émergés récemment, sont soutenus par 72 % des Palestiniens qui estiment par ailleurs à 87 % que l’Autorité Palestinienne n’a aucune légitimité pour les arrêter.

On peut toutefois se permettre un optimisme mesuré car la « cuirasse d’impunité » d’Israël est en train de se fissurer. À la suite des ONG B’Tselem, Human Right Watch et Amnesty International, de plus en d’organisations considèrent Israël comme un régime d’apartheid et ses soutiens internationaux s’étiolent. En premier chef, la communauté juive américaine prend ses distances, à tel point que l’ancien ambassadeur israélien aux États-Unis estime que l’État hébreux devrait prioriser le soutien « passionné et sans équivoque » des chrétiens évangéliques plutôt que celui des Juifs américains qui « occupent une place disproportionnée » parmi les critiques d’Israël. De même, les membres du parti démocrate américain déclarent à 49% avoir plus de sympathie pour la Palestine contre seulement 38% pour Israël ; en 2014 ces proportions étaient respectivement de 23% et 58%.

La réforme de la Justice a également porté un coup à cette « cuirasse d’impunité ». Les appels à refuser la mobilisation se sont multipliés parmi les réservistes, notamment dans l’Armée de l’Air, et pas uniquement pour des raisons éthiques. Comme l’explique le quotidien Haaretz, si l’appareil judiciaire est affaibli, Israël ne pourra plus prétendre disposer de mécanismes d’investigation internes crédibles sur de possibles crimes de guerre, « et les pilotes pourraient être les premiers à comparaître à la Cour de La Hague ». De même, avec les nouvelles lois sur la colonisation qui bafouent ouvertement la légalité internationale, « un statu quo aussi mensonger que commode pour des diplomaties en panne de volonté politique est en train de voler en éclats », selon le Monde. Cette fin de cycle coïncide avec la fin du règne de Mahmoud Abbas à l’Autorité Palestinienne. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre donc, mais sur quoi ?

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