Le FLNKS face au dilemme d’un nouveau « compromis historique »

Conclusion du Sommet pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie à l’Elysée le 12 juillet 2025.

Les négociations sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ont accouché d’un projet d’accord le 12 juillet dernier. Une proposition moins ambitieuse que celle initialement formulée par Manuel Valls et qui divise le camp indépendantiste, entre partisans d’une stratégie par étapes d’un côté et immédiatistes de l’autre.

Il aura fallu dix jours de négociations intenses pour que les indépendantistes, les non-indépendantistes et l’État français parviennent le 12 juillet dernier à un « projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie » qui prévoit la création d’un « État de Nouvelle-Calédonie » pouvant « être reconnu par la communauté internationale » ainsi qu’une « citoyenneté calédonienne« . Pour cela, le texte propose une « organisation institutionnelle sui generis », c’est-à-dire qui ne rentre dans aucune catégorie répertoriée. Cette formule inédite saura-t-elle faire consensus ?

Manuel Valls, ministre des Outre-mer, n’était pas parvenu à convaincre le camp loyaliste d’adopter son projet de  » souveraineté avec la France  » lors du  » conclave de Deva  » qui s’était tenu en mai. Ce projet se rapprochait du statut de libre association reconnu par l’ONU comme une modalité possible de décolonisation. Les anti-indépendantistes radicaux avaient fait capoter les négociations et cherché à marginaliser Valls en demandant à Macron « de prendre la main sur le dossier calédonien ». C’est dans ce contexte que Macron a convoqué un nouveau cycle de négociations, qui a commencé le 2 juillet à Bougival, en région parisienne. Sans surprise, le  » projet d’accord  » qui en est sorti est, du point de vue indépendantiste, un recul par rapport à la proposition de Valls.

L’État de Nouvelle-Calédonie  » prévu par le projet d’accord ne serait pas un État associé à la France, sur le modèle des îles Cook avec la Nouvelle-Zélande, ni non plus une simple composante d’une structure fédérale. Le texte prévoit qu’une  » loi fondamentale adoptée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie consacrera la capacité d’auto-organisation de la Nouvelle-Calédonie «  et « pourra modifier les signes identitaires du pays (nom, drapeau, hymne, devise…) «  ou encore  » inclure un code de la citoyenneté « . Cette loi fondamentale jouera donc le rôle d’une Constitution sans toutefois en être une.

 » Cette loi fondamentale jouera donc le rôle d’une Constitution sans toutefois en être une. »

Là où le projet de Valls prévoyait un transfert à l’archipel des compétences régaliennes comme la monnaie, la défense ou la diplomatie, mais « avec délégation immédiate de ces compétences » à la France, le projet d’accord de Bougival prévoit quant à lui de transférer  » la compétence en matière de relations internationales « , mais pas les autres. En outre, la nouvelle entité devra conduire « ses actions diplomatiques dans le respect des engagements internationaux et des intérêts fondamentaux de la France « . Le projet d’accord est toutefois évolutif : si une majorité qualifiée le souhaite, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie pourra adopter une résolution demandant que soient transférées de nouvelles compétences régaliennes, à la suite de quoi  » un projet conjoint de l’État et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie pourra être soumis à l’approbation des Calédoniens par voie de consultation ».

Le Congrès est donc appelé à jouer un rôle important. Sa composition sera modifiée au profit de la province sud, la plus peuplée et la plus loyaliste des trois. Le projet aborde également la question brûlante du corps électoral. Pour avoir tenté d’imposer en 2024 un dégel des corps électoraux spéciaux prévus par l’accord de Nouméa pour les élections locales, Macron avait entraîné l’archipel au bord de la guerre civile. Le projet d’accord de Bougival prévoit quant à lui un corps électoral glissant : seuls les électeurs du corps électoral référendaire pourront voter, en février 2026, pour approuver ou pas ce projet d’accord. Les élections provinciales qui devaient se tenir avant décembre 2025 avec le corps électoral restreint prévu par les accords de Nouméa sont reportées à mai-juin 2026 et prévoient un premier dégel du corps électoral, qui continuerait d’évoluer par la suite.
Les indépendantistes ne sont pas opposés à un dégel du corps électoral à partir du moment où il s’inscrit dans le cadre d’un processus de décolonisation juste. Aujourd’hui, toute la question est donc d’évaluer si le projet d’accord de Bougival apporte les garanties suffisantes en la matière pour que le dégel progressif qu’il propose soit acceptable pour les indépendantistes. Or, pour les élections postérieures aux provinciales de 2026, le texte stipule que  » seront admises à participer au scrutin les personnes de nationalité calédonienne « . L’enjeu est donc dans la définition de cette « nationalité calédonienne ».

« Les indépendantistes ne sont pas opposés
à un dégel du corps électoral à partir du moment où
il s’inscrit dans le cadre d’un processus de décolonisation juste. »

Elle sera à première vue de portée limitée puisque indissociable de la nationalité française :  » la renonciation à la nationalité française entraînera la renonciation à la nationalité calédonienne « . Si les indépendantistes veulent faire évoluer la nationalité calédonienne dans leur sens, il leur faudra donc exploiter les possibilités offertes par le code de la citoyenneté autorisé par la loi fondamentale, comme le résume Milakulo Tukumuli, le président de l’Eveil océanien, petite formation qui défend les intérêts de la communauté wallisienne et futunienne, interrogé par NC la 1ère : “ Pour les élections d’après 2026, il y aura un blocage, si jamais on ne crée pas le code de la citoyenneté́ […] Il n’y aura pas de nationalité́ existante et donc le corps électoral qui va s’appliquer, ce sont les 15 ans glissants. Si on décide de créer le code de la citoyenneté́ et la loi fondamentale, il faudra créer d’autres critères ”.

Par rapport à la proposition de Valls en mai, le projet d’accord de Bougival est donc un recul difficile à accepter pour les indépendantistes. D’après le Monde qui relate le déroulé des négociations, le 12 juillet à 4h du matin, le bureau politique du FLNKS avait ordonné aux délégués de l’Union Calédonienne (UC), la principale composante du FLNKS, de rejeter l’accord. C’est l’intervention d’un délégué de l’UNI, qui regroupe deux autres composantes historiques du FLNKS, qui aurait convaincu ses camarades de prendre le risque d’accepter le projet. En prenant la parole après avoir signé le projet d’accord, le député Emmanuel Tjibaou, qui emmenait la délégation de l’UC, anticipait les difficultés à venir : «  c’est une étape qui, pour nous, peuple kanak, nous permet d’envisager des perspectives vers lesquelles on chemine, vers une trajectoire que l’on choisira ensemble. Choisir ce chemin qui est difficile, qui est nouveau, c’est aussi se mettre à l’épreuve de la critique. On va se faire insulter, menacer, parce que nous avons choisi un chemin différent, qui n’était pas le maintien de manière indéterminée et indéfinie dans la France, qui n’était pas une solution immédiate pour accéder à la pleine souveraineté, mais qui était la nécessaire convergence d’intérêts pour dire combien les uns et les autres nous sommes attachés à ce territoire.  »

C’est une étape qui, pour nous, peuple kanak, nous permet d’envisager des perspectives (député Emmanuel Tjibaou, de l’Union Calédonienne (UC), la principale composante du FLNKS).

En ne regardant que les changements immédiats apportés par le projet de Bougival, les indépendantistes ne peuvent qu’être déçus. Le projet ne se présente cependant pas comme un aboutissement, mais comme «  une nouvelle étape sur la voie de la décolonisation et de l’émancipation « , et stipule que  » le droit à l’autodétermination demeure garanti par le droit international « . Il offre des outils permettant de conquérir les compétences régaliennes conservées par la France. Certes, il faudra pour cela obtenir une majorité qualifiée de 36 membres sur 56 au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, mais il est parfaitement envisageable de construire une telle majorité avec les formations Calédonie Ensemble et Éveil océanien qui ne sont pas opposées à la formule d’un État associé : ces deux formations et les élus indépendantistes totalisent aujourd’hui 36 sièges sur les 54 que compte le Congrès dans sa forme actuelle. Par ailleurs, les indépendantistes ont montré lors des dernières élections législatives qu’ils sont capables de remporter une nette majorité (53% contre 47%), même sans aucune restriction sur le corps électoral.
Le « pari sur l’intelligence » qu’avait formulé Jean-Marie Tjibaou semble donc gagnable pour les indépendantistes. Pour faire accepter le « compromis historique » des accords de Matignon, en 1988, le leader indépendantiste avait utilisé cette expression qui exprimait sa conviction que le camp indépendantiste était capable de convaincre au-delà de ses rangs. Dans son communiqué officiel du 14 juillet, le FLNKS semblait avoir confiance en sa capacité à mener une telle dynamique et se réjouissait des avancées majeures du projet d’accord :  » création d’un État […] reconnu au plan international, […] transfert immédiat de la compétence régalienne des relations extérieures, création de la nationalité calédonienne préservant le socle du corps électoral citoyen du nouvel État, création d’une loi fondamentale, future Constitution du pays, […] transfert des compétences régaliennes restantes rendu possible « .

Pour nous, en Nouvelle-Calédonie, la paix, elle s’appelle l’indépendance (Yewa Waetheane un des leaders de la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT)



Mais certaines composantes du camp indépendantiste ne sont pas du tout sur cette longueur d’onde ; plusieurs leaders de la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), créée en 2023 par l’UC pour mobiliser contre le projet de réforme constitutionnelle, se sont désolidarisés de l’accord :  » La paix, ce n’est pas l’accord de Bougival « , a ainsi déclaré Yewa Waetheane, « pour nous, en Nouvelle-Calédonie, la paix, elle s’appelle l’indépendance. » Plusieurs formations radicales comme l’USTKE ou le Parti Travailliste ont également émis de vives critiques contre le projet d’accord. Or, ces formations ont été intégrées l’été dernier au bureau politique du FLNKS, et Christian Tein, porte-parole de la CCAT nommé président de la coalition. Deux composantes historiques du FLNKS (Palika et UPM, regroupées au sein de l’UNI), très favorables au projet de Bougival, s’étaient alors retirées du bureau politique qui penche donc aujourd’hui vers la frange la plus radicale du mouvement. Emmanuel Tjibaou n’a visiblement pas réussi à convaincre cet organe qui a émis un « avis très réservé » le 22 juillet. Quelle que soit la décision que prendra la convention du FLNKS, prévue le 2 août, la cohésion du camp indépendantiste sera mise à rude épreuve.

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