Le nouveau président catalan ne lâche rien (1/2)

Quim Torra avec Carles Puigdemont.
Quim Torra avec Carles Puigdemont.

Elu par le parlement, Quim Torra nomme des ministres incarcérés ou en exil. Il maintient la pression sur l’Espagne qui s’enferre dans sa logique répressive bafouant les règles élémentaires de la démocratie. Le PNV apporte son soutien au gouvernement de Rajoy bien que le statut d’autonomie des Catalans soit suspendu. Sous la menace du calibre 155 braqué sur sa tempe, le nouveau président ne gouvernera pas vraiment, mais il maintiendra vivant le message exprimé lors du référendum d’autodétermination.

Depuis cinq mois, le gouvernement espagnol empêche l’élection d’un président catalan par le parlement. Des juges aux ordres du pouvoir ont rejeté pas moins de quatre candidats. Cette crise institutionnelle qui perdure fragilise le gouvernement de Mariano Rajoy qui, avec six mois de retard, peine à faire approuver son budget 2018. Pour desserrer l’étau, il promet de lever l’article 155 de la Constitution qui suspend l’autonomie d’une communauté gérée directement par l’Espagne. Mais à une condition: que la majorité indépendantiste élise un président de la Generalitat sur lequel ne doit peser aucune procédure judiciaire. A partir de là, il s’engage à restituer aux Catalans leur statut et à négocier «dans le cadre de la loi» et de la Constitution. Pour pousser les indépendantistes à aller dans son sens, Madrid entrouvre une porte: le 8 mai le Tribunal Constitutionnel permet aux deux députés en exil, Carles Puigdemont et Toni Comín de voter par procuration et donc à ERC et JxS d’atteindre la majorité relative. Cette concession révulse Ciudadanos (Cs) qui retire son soutien à Mariano Rajoy, mais uniquement sur la question catalane.

Le piège s’ouvre et se referme

Le 4 mai, le parlement catalan approuve une loi permettant d’élire Carles Puigdemont à la présidence par la voie «télématique», en direct depuis Berlin. Évidemment, le Tribunal constitutionnel suspend ce texte cinq jours plus tard. La tentative avortée n’est qu’un rideau de fumée. Le 10 mai, Puigdemont et ses amis semblent se résigner. L’ex-président accepte les exigences de Mariano Rajoy et annonce que le candidat sera le député Quim Torra, un avocat, ancien vice-président d’Omnium cultural de 2010 à 2015. Celui-ci n’est ni en exil, ni en prison et aucune procédure n’est engagée à son encontre. Le voilà élu à la tête de la Generalitat le 14 mai grâce aux 66 députés de Junts per Catalunya, d’ERC et à l’abstention des indépendantistes de CUP, face aux 65 votes de Cs, Podemos, socialistes et PP.
Mais très vite, Mariano Rajoy déchante. Dans son discours d’investiture, Quim Torra annonce que son seul but est de remettre sur les rails le projet indépendantiste issu du référendum d’autodétermination et de rétablir les seize lois catalanes suspendues par le Tribunal constitutionnel. Le lendemain de son élection, il se rend à Berlin pour tenir une conférence de presse commune avec Carles Puigdemont, «le président légitime de Catalogne», qu’il a désigné ainsi à plusieurs reprises dans son discours d’investiture. Le gouvernement catalan sera désormais bicéphale et Quim Torra refuse de s’installer dans le bureau présidentiel de la Generalitat occupé hier par l’ancien président. Pour sa prise de fonction officielle à laquelle aucune autorité espagnole n’assistera et en présence du seul drapeau catalan, il ne jure sa fidélité ni au roi ni à la Constitution, mais seulement à la volonté exprimée par le peuple catalan. Pire encore, Quim Torra rend visite le 20 mai aux 9 prisonniers politiques catalans incarcérés en Espagne et recueille l’accord de deux d’entre eux pour faire partie de sa future équipe dirigeante où figurent également deux députés en exil. Quim Torra propose de rencontrer le chef du gouvernement espagnol «dès demain et sans condition préalable», afin de régler par des «moyens politiques un conflit évidemment politique».

Calomniez, calomniez

Madrid refuse de publier dans le Journal officiel la composition de ce gouvernement et bloque ainsi sa prise de fonction. La presse espagnole se déchaîne et déterre de vieux tweets émis par le président, elle l’accuse de suprémacisme et de xénophobie anti-espagnole. Lorsqu’on lit ses déclarations au regard de la situation catalane, la réaction des médias espagnols fait sourire, mais elle applique l’adage cher à Francis Bacon: «Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose!».
Mariano Rajoy a un temps cru que les «provocations» ou les signes rupturistes de Quim Torra n’étaient que pure gesticulation et s’éteindraient d’eux mêmes. Il n’en est rien et se sent pris au piège. Il va changer son fusil d‘épaule. Malgré l’insistance du PNV dont les cinq députés sont indispensables pour voter le budget espagnol, il maintient la suspension de l’autonomie catalane. Si elle doit être renouvelée du fait de l’élection du président catalan, elle le sera plus durement encore avec un contrôle renforcé sur les programmes de la télévision TV3. Ciudadanos accuse de faiblesse un Mariano Rajoy qui aurait cédé aux exigences du PNV, en permettant à Quim Torra d’être élu grâce à la procuration accordée aux deux «fugitifs» Carles Puigdemont et Toni Comín.
Le vote des cinq députés PNV est acquis en séance plénière des Cortés le 23 mai. Le parti basque soutient le premier ministre en échange d’une série de concessions financières (voir en fin d’article). Pour le président du parti Andoni Ortuzar, il s’agit d’abord de «défendre les intérêts des citoyens d’Euskadi, au-delà de ceux du PNV». Rejeter le budget espagnol n’aurait été qu’une réaction symbolique dépourvue d’effet réel sur la situation en Catalogne. Le PNV désire d‘abord «conserver sa capacité d’influence en faveur d’une solution négociée», mais sans doute aussi sur le gouvernement espagnol. A. Ortuzar ajoute que la levée de l’article 155 est imminente.

Nouvelles claques judiciaires

Le gouvernement de Mariano Rajoy a sauvé sa tête. Mais ses ennuis perdurent. Le 16 mai, la justice belge rejette sur la base d’un vice de forme, le mandat d’arrêt européen présenté par les magistrats espagnols désireux d’incarcérer les trois ex-ministres catalans en exil, Toni Comín, Meritxel Serret et Lluis Puig. La Cour suprême prépare un nouveau mandat d’arrêt conforme aux désidérata belges.
Le 17 mai, elle rejette la demande de remise en liberté de l’ex-présidente du parlement catalan Carme Forcadell et des quatre ex-ministres Jordi Turull, Josep Rull, Raül Romeva et Dolors Bassa incarcérés depuis le 23 mars pour rébellion. Le Tribunal constitutionnel prend la même décision pour refuser la demande de mise en liberté du vice-président Oriol Junqueras et de Jordi Sanchez, ex-président de l’Assemblée nationale de Catalogne (ANC).
Nouvelle gifle administrée le 22 mai par les juges allemands de Schleswig-Holstein à la «justice» espagnole: ils rejettent la demande de réincarcération de Carles Puigdemont présentée par le ministère public sur la base de vidéos apportées par Madrid et montrant des manifestions lors du référendum d’autodétermination. Il s’agit de violences «isolées» qui ne peuvent être attribuées à l’ex-président. Celui-ci ne peut être accusé de rébellion. La cour suprême engage une nouvelle demande d’extradition, elle s’appuiera sur les délits de haute trahison et troubles à l’ordre public, dans le but d’être recevable par l’Allemagne.
Craignant que les magistrats allemands prennent la même décision que leurs homologues belges, le juge de la Cour suprême Pablo Llarena requalifie le contenu des mandats d’arrêt européens en abandonnant l’accusation de rébellion au profit de celle de la sédition. Le mandat d’arrêt européen que le lobby espagnol mit tant d’années à mettre au point en 2002 pour organiser la chasse aux Basques, a du plomb dans l’aile.

Malaise dans les rangs

Lié ou pas à l’affaire catalane, le malaise gagne les magistrats espagnols, pourtant peu enclins à la contestation organisée. Le 23 mai, plus de la moitié des juges et des procureurs de l’État se mettent en grève pour protester contre le système de désignation par les élus, des magistrats siégeant à la Cour suprême et aux tribunaux supérieurs de justice.
La pression judiciaire se poursuit à l’encontre de Carles Puigdemont: le ministère du budget ouvre le 10 mai une procédure visant à lui supprimer tous ses droits civils et politiques pendant quatre ans. Il n’a pas déclaré au fisc l’état de son patrimoine, une fois quittée la présidence du gouvernement catalan dans les conditions que l’on sait. Le 24 mai, l’audiencia nacional clôture le dossier d’instruction de quatre dirigeants des Mossos d’Esquadra, dont Josep Lluis Trapero. En raison de leur attitude insuffisamment répressive lors du référendum, il sont inculpés pour sédition et mise en œuvre d’une organisation criminelle.
A l’heure du laitier le 24 mai, la police espagnole procède dans plusieurs villes, dont Barcelone et Tarragone, à l’interpellation de 29 personnes, parmi lesquelles l’ex-président de la députation et un maire. Tous sont accusés d’avoir détourné des subventions accordées à différents organismes à hauteur de deux millions d’euros, pour financer l’organisation du référendum d’autodétermination.
La revendication indépendantiste catalane provoque le départ de policiers espagnols: 1087 places sont à pouvoir, très nombreux sont les policiers qui demandent leur mutation dans une autre région et le ministère de l’Intérieur procède à des nominations forcées pour les promotions sortant de formation. En cause bien entendu, la pression sociale qu’ils subissent, les malheureux se sentent mal-aimés en Catalogne. Il en est de même pour les procureurs et de nombreux magistrats qui demandent leur mutation, seulement deux jeunes juges frais émoulus de leur école demandent une affectation en Catalogne. En 2017, 40% des fonctionnaires du ministère des Finances en poste en Catalogne ont eux aussi demandé à quitter la région. Du jamais vu.
Un sondage important paru le 14 mai relègue le PP à la troisième place, dans le schéma quadri-partite espagnol: Ciudadanos est en tête avec 29,1%, puis vient Podemos (19,8%), ensuite le PP (19,5%) et enfin le PSOE avec 19%. La droite n’atteint toujours pas les 50%, elle aura plus que jamais besoin des petits partis périphériques, dont le PNV, pour exercer le pouvoir.

Ce qu’a obtenu le PNV

Plusieurs jours de négociations ininterrompues ont été nécessaires pour que le PNV obtienne du PP les financements suivants, en échange de son approbation du budget de l’État espagnol. Les sommes correspondent à des financements pluri-annuels. 540 millions d’euros en faveur du développement de la communauté autonome (construction du TGV et financement de projets en matière de recherche et développement). Une diminution du montant du cupo à hauteur d’un milliard quatre cents millions d’euros, le cupo étant la part reversée à l’État de l’ensemble des impôts directs collectés par les députations provinciales basques. Une baisse du tarif de l’électricité que les entreprises basques achètent à l’Espagne. Trois milliards trois cents quatre vingt millions d’euros pour la construction du TGV en Pays Basque que l’Espagne renâclait à verser. Le maintien du montant des retraites en Espagne avec effet rétroactif, elles resteront indexées sur l’inflation, alors qu’une diminution était prévue pour respecter les critères bruxellois de déficit public.
Les négociations se sont poursuivies jusqu’au dernier moment, le PNV a pu ainsi arracher 70 millions supplémentaires. Ils financeront l’extension d’un parc technologique, le terminal d’aéroport de Foronda, une usine de retraitement de déchets en Biscaye, le terminal ferroviaire de Donostia, un centre de recherche sur l’énergie marine, le laboratoire de recherche de l’Université de Mondragon, etc. En revanche, le PNV n’a pu obtenir les financements demandés en faveur de la Navarre, de l’Université du Pays Basque et en matière d’énergie. La presse espagnole considère comme terriblement élevées les concessions faites aux Basques par le PP.

Suite disponible à partir de la semaine du 11 juin en cliquant ici.

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