Les Kurdes au secours de la Turquie

Selahattin Demirtaş (né le 10 avril 1973 à Palu, Elazığ) est un homme politique turc d'origine kurde zaza, co-président du Parti démocratique des peuples.
Selahattin Demirtaş (né le 10 avril 1973 à Palu, Elazığ) est un homme politique turc d’origine kurde zaza, co-président du Parti démocratique des peuples.

Dans ma chronique précédente je décrivais l’évolution du PKK d’une idéologie staliniste vers une forme d’écologie sociale. Sous l’impulsion de leur chef emprisonné Abdullah Ocalan, les rebelles kurdes ne cherchent désormais plus à remplacer la tutelle turque par un nouvel Etat-nation kurde. Ils prétendent plutôt vider l’Etat-nation turc de sa substance en défendant une démocratie directe de type athénien. Voici l’évolution parallèle de la branche politique du mouvement Kurde, le HDP (Halklarin Demokratik Partisi).

A l’occasion des élections législatives turques qui se sont tenues début juin, nous nous sommes penchés donc sur la branche politique du mouvement kurde qui a su elle aussi renouveler ses pratiques et son discours.

Ironie de l’Histoire, beaucoup de Turcs voient même aujourd’hui dans le HDP pro-kurde le dernier rempart contre l’autocratisme du président Erdogan…

L’AKP, le parti islamiste conservateur d’Erdogan a remporté toutes les élections depuis 2002 et devrait selon toute probabilité gagner celles de juin. Mais c’est une majorité qualifiée que souhaitait Erdogan afin de pouvoir récrire la Constitution et renforcer ses pouvoirs au détriment du Parlement.

Le président turc comptait pour cela s’appuyer sur les Kurdes à qui il avait reconnu quelques droits linguistiques.

Une rumeur persistante faisait également état d’un accord secret entre le PKK et Erdogan : une libération à terme d’Ocalan en échange d’un soutien à la réforme constitutionnelle.

Mais, le 17 mars, Selahattin Demirtas, le leader de la formation pro-kurde HDP a coupé court à cette rumeur en répétant trois fois au Parlement: “Nous ne vous ferons pas le président [d’un tel système]”.

Façade lézardée

Lors des élections précédentes, les formations pro-kurdes avaient remporté des résultats assez faibles une fois rapportés à l’ensemble de la Turquie (4% en 2007 et 6% en 2011). Mais Demirtas entend faire beaucoup mieux cette fois-ci. Fort de son score de 9,8% aux élections présidentielles de 2014, il a pris le pari risqué de ne pas compléter les listes du HDP par des indépendants dans les zones non kurdes comme lors des élections précédentes. Cela veut dire que le HDP devra à lui seul dépasser le seuil de représentativité de 10% au niveau national sous peine de n’avoir aucun élu au Parlement. Un pari risqué donc, mais qui fait du HDP le principal obstacle à l’autocratisme d’Erdogan.

La décision de Dermitas a eu pour premier effet de lézarder la belle façade de l’AKP. Fébrile à l’idée de perdre de nombreuses voix kurdes, Erdogan a choisi de sacrifier le processus de paix avec le PKK pour courtiser les nationalistes kurdes. Plusieurs rencontres entre le HDP et le gouvernement avaient pourtant permis d’avancer, à tel point qu’Ocalan avait invité le PKK “à organiser un congrès extraordinaire au printemps pour
prendre la décision stratégique et historique d’abandonner la lutte armée”.

En critiquant le gouvernement pour avoir mené ces négociations et en niant l’existence même d’un problème kurde, Erdogan a ruiné ces  efforts et “éradiqué le dialogue”, pour reprendre les termes du PKK. Mais loin de courber l’échine, le vice-premier ministre a rétorqué à Erdogan que “c’est la responsabilité du gouvernement de conduire le pays” ; un crime de lèse-majesté impensable il y a quelques mois encore…

Une deuxième conséquence du pari de Demirtas est que le HDP s’est lancé dans une campagne sans précédent pour rallier à sa cause les régions kurdes conservatrices, traditionnellement acquises à l’AKP.

Sa tâche est grandement facilitée par l’irresponsabilité d’Erdogan par rapport au processus de paix, mais aussi et surtout parce que beaucoup de Kurdes ne lui pardonnent pas d’avoir taxé de “terroristes” les miliciens kurdes qui affrontaient Daech lors du siège de Kobané. De nombreux ralliements ont déjà été annoncés, et Erdogan en est désormais réduit à brandir un Coran traduit en kurde lors de ses interventions pour tenter de conserver le vote des Kurdes les plus pieux…

Le HDP s’est lancé
dans une campagne sans précédent
pour rallier à sa cause
les régions kurdes conservatrices,
traditionnellement acquises à l’AKP.

Plateforme plurielle

Mais le plus important défi auquel le HDP se voit aujourd’hui contraint de répondre est celui de convaincre de nombreux Turcs de voter pour lui. La barre des 10% sera sinon hors d’atteinte au niveau national… Pour cela, le message de Demirtas est clair : son parti est le seul qui peut empêcher “la dictature d’un seul homme”. Et cela semble fonctionner. En Turquie, le pourcentage de ceux qui “ne voteront jamais pour un parti kurde” est passé de 76% à 50% et le HDP entend profiter de cette évolution en se présentant comme une plateforme plurielle et multiethnique (Arméniens, Yézidis, Syriaques, etc.). De plus, si le HDP échouait dans son pari, c’est l’AKP qui se verrait attribuer la quasi totalité des sièges dans les régions kurdes, ce qui permettrait à Erdogan de parvenir sans difficulté à ses fins. Pour éviter d’en arriver là, de nombreux Turcs progressistes
pourraient voter pour le HDP…

Demirtas est donc devenu le cauchemar d’Erdogan et de l’AKP qui concentrent leurs attaques contre le leader kurde qu’ils vont jusqu’à accuser d’avoir mangé du bacon lors d’un déplacement à Cologne ! Cette atmosphère est extrêmement délétère et l’on dénombre plus d’une centaine d’attaques contre des bureaux du HDP et surtout deux attentats à la bombe dont l’un dirigé contre Demirtas.

L’objectif de ces provocations est de susciter des révoltes au Kurdistan et un réveil du PKK qui viendrait briser cet intéressant rapprochement entre progressistes turcs et kurdes. Mais Demirtas maintient son cap avec sérénité ; refusant d’annuler un meeting après l’attentat qui le visait, il déclarait que “la paix dans ce pays est beaucoup plus précieuse que le fait d’être élu au Parlement, ou même que… la vie”. Et s’adressant à Erdogan qui n’a pas condamné les attentats : “nous avons bien reçu le message, et voici notre réponse : nous ne vous laisserons pas être le président du système présidentiel que vous souhaitez. […] Nous, au HDP, nous transformerons le lion qui est dans votre coeur en un chaton”. La deuxième partie de cette promesse semble bien difficile à tenir, mais la première est à portée de main. Bonne chance !

Article écrit avant les élections du 7 juin

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