Quand le biélorusse devient la « langue de l’opposition »

Biélorussie

Langue et politique, le thème traverse la vie des langues depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts à la loi Molac. Il est intimement lié à la souveraineté des Etats et aux drames des nations sans Etat. Seuls les peuples dominants et leurs Etats-nations demandent à séparer la langue de la politique pour mieux nous écraser. Bien entendu dans leurs pratiques, ils font très exactement le contraire. Un article du quotidien Le Monde du 8 octobre 2021 sur la situation en Biélorussie, à l’extrémité est de l’Europe, éclaire ce débat.

Thomas D’Istria

L’usage de cet idiome, marginalisé au profit du russe, apparaît comme un nouveau marqueur de la contestation face au régime de Minsk

C’est un autre aspect de la répression menée par le régime d’Alexandre Loukachenko contre le mouvement de contestation en Biélorussie. Celui de la destruction systématique des organisations qui défendent la culture et la langue biélorusses. Ces derniers mois, ces structures – opposées au président, un nostalgique de l’Union soviétique qui n’a cessé de marginaliser la seconde langue officielle du pays depuis son arrivée au pouvoir, en 1994 – sont liquidées les unes après les autres. Parmi les principales, figurent la Société de la langue biélorusse, créée en 1921 et qui avait survécu à la vague de russification du pays au cours de la période soviétique, l’Union des écrivains biélorusses, fondée dans les années 1930, ou encore Talaka, qui défendait les symboles et rituels folkloriques de cette Biélorussie construite sur des influences européennes.

La répression s’étend aussi aux personnes parlant biélorusse dans l’espace public, parmi lesquelles les arrestations se multiplient. Dernier épisode en date, le 27 septembre, Andreï Kolas, enseignant en histoire biélorusse de la petite école de langue de Volkovysk, dans l’ouest du pays, a été condamné à dix jours de prison au prétexte d’une vidéo « extrémiste » publiée en 2018 sur les réseaux sociaux. L’homme était l’un des derniers professeurs de l’établissement à avoir fait le choix de rester dans le pays. Pour la cofondatrice de l’école de langue Mova Nanova, qui gérait plusieurs antennes comme celles de Volkovysk à travers le pays, la fermeture de sa structure cet été, et celle des autres organisations défendant la culture biélorusse, est due au fait qu’elles « protège[nt] l’identité biélorusse et pas l’identité russe. Malheureusement, beaucoup, parmi les autorités, défendent une autre vision. Ça se voit d’autant plus aujourd’hui ».

La fin de l’« espace neutre »

Selon Alex Kokcharov, analyste du risque politique dans les pays de l’Est, la répression visant la langue biélorusse est survenue après la vague de manifestations qui ont secoué le pays lors de la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko, en août 2020. Ces rassemblements, dans lesquels les manifestants ont chanté en biélorusse, porté des chemises traditionnelles, les « vyshyvankas », et fait de l’ancien drapeau blanc, rouge, blanc le symbole de la Biélorussie démocratique, ont « représenté une menace » idéologique pour le régime, selon le chercheur.
Depuis, un discret mouvement d’intérêt pour cette langue et cette culture semble émerger dans le pays, où l’on parle majoritairement le russe après un peu plus de deux siècles de domination du grand voisin, de l’Empire russe à l’Union soviétique. Le biélorusse est officiellement la seconde langue, mais dans les faits, l’administration et le pouvoir n’utilisent que le russe. De même pour la télévision et les médias étatiques. Au sein de la population, moins de 8 % l’utilisent au quotidien, selon un sondage publié en décembre 2020 par le Centre for East European and International Studies (ZOiS).

Or, depuis le mouvement de contestation, « la langue se politise de plus en plus, observe Anna Colin Lebedev, enseignantechercheuse, spécialiste des sociétés postsoviétiques. Elle était déjà politisée, mais il y avait quand même un espace neutre du biélorusse avant 2020, avec un certain affichage culturel. Aujourd’hui, elle n’a plus que cette place de langue de l’opposition. »

Sur les chaînes de l’application de messagerie cryptée Telegram, de plus en plus de messages apparaissent désormais dans cette langue. Des chaînes YouTube consacrées à la culture et la langue biélorusse ont acquis une nouvelle popularité. Elles rappellent que cette langue est inspirée du « vieux biélorusse » d’usage dans le grand-duché de Lituanie, un Etat d’union des actuels territoires lituanien et biélorusse au Moyen-Age.

Le précédent de la Crimée

La question de l’identité et de la langue biélorusse avait déjà gagné une audience plus large au sein de la société civile, au-delà de l’opposition politique historique, lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Plusieurs organisations de promotion de la langue et de la culture biélorusse ont alors vu le jour, comme Mova Nanova, l’école de langue biélorusse qui a compté jusqu’à vingt bureaux à travers le pays, ou sas.by, un site Web qui recense les établissements publics dans lesquels la langue est parlée par les salariés.

A l’époque, même le régime d’Alexandre Loukachenko, pourtant profondément attaché à la langue russe et à l’héritage soviétique, n’avait pas entravé cette éclosion, de crainte « que la Biélorussie puisse devenir la prochaine cible de la Russie », selon Alex Kokcharov. Aujourd’hui, le créateur du site sas.by dit avoir « 400 entreprises enregistrées » en Biélorussie. Cet homme, qui demande à rester anonyme, constate lui aussi que « l’intérêt [pour la langue biélorusse] a intensément grandi » depuis le début de la crise politique.

Les gens ont commencé à mieux comprendre cette question de l’identité, affirmet-il. Jusque-là,ils pensaient qu’il n’y avait pas tant de différence entre les sociétés russe et biélorusse, mais maintenant ils la prennent en compte.Ils commencent à se voir comme un pays séparé. »

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