Tiocfaidh ár lá*

Mary Lou McDonald savoure “un jour historique pour l’Irlande du Nord”.
Mary Lou McDonald savoure “un jour historique pour l’Irlande du Nord”.

Oui, le jour du Sinn Fein est venu. La victoire historique aux législatives à Dublin est à placer dans la perspective de la réunification de l’île. D’autant qu’il faut rappeler aussi l’évolution favorable des Républicains en Irlande du Nord.

Une Irlande unie, cela pourrait-il vraiment arriver ?” C’est la question qui barrait la Une de The Economist, le plus prestigieux et influent hebdomadaire de langue anglaise, au lendemain des élections générales du 8 février en Irlande qui ont vu la victoire surprise des Républicains du Sinn Fein. Cette victoire s’inscrit dans un processus initié par le Brexit et qui, en l’espace de deux mois à peine, a fait voler en éclat les équilibres politiques qui s’étaient installés en Irlande depuis des années, voire des décennies.

La première étape de cette métamorphose politique s’est déroulée en décembre dernier, à l’occasion des élections générales britanniques. Pour la première fois depuis la partition de l’île, l’Irlande du Nord a en effet élu plus de députés nationalistes que d’unionistes. Le Taoiseach (Premier ministre de la République d’Irlande) Leo Varadkar s’est toutefois empressé de souligner que les nationalistes “restent encore loin des 50%+1 nécessaires pour remporter un référendum sur l’unité de l’Irlande”. Opposé lui-même à une telle consultation et en pleine campagne électorale pour sa réélection, Varadkar cherchait ainsi à minimiser la portée de ce renversement historique. Les chiffres lui donnent cependant raison puisque les forces unionistes ont recueilli environ 43% des suffrages contre 38% pour les nationalistes. Avec près de 17% des voix, le parti centriste Alliance —qui se proclame neutre sur la question nationale— a doublé son score des précédentes élections et peut donc être considéré comme le vainqueur de cette consultation. Chez les nationalistes, le SDLP qui n’avait aucun élu s’en tire également très bien puisqu’il obtient deux députés.

Ce sont les deux partis qui ont dominé la scène politique nord-irlandaise ces dernières années, les Républicains du Sinn Fein et les Unionistes du DUP, qui sont sortis affaiblis de ces élections. C’est flagrant pour le DUP qui a perdu deux sièges et paie ainsi le prix de son soutien opportuniste au gouvernement de Theresa May. Le Sinn Fein parvient, quant à lui, à sauver les apparences puisqu’il maintient sa représentation et remporte une très belle victoire à Belfast, mais il perd un siège à Foyle au profit du SDLP et baisse de 6,7% en nombre de voix. Les électeurs semblent avoir reproché au parti républicain de ne pas avoir pesé sur les débats relatifs au Brexit –les députés du Sinn Fein ne siègent pas à Westminster car ils refusent de prêter allégeance à la Reine— et la paralysie des institutions autonomes nord-irlandaises, bloquées depuis trois ans, a également contribué à le marginaliser.

Réactivation des institutions autonomes

On trouve dans ces résultats les raisons d’un second bouleversement dans le paysage politique irlandais : la réactivation de ces institutions autonomes. Avec la victoire écrasante de Boris Johnson, le DUP a perdu le rôle de faiseur de roi qu’il exerçait sous le mandat de Theresa May et, comme pour le Sinn Fein, la restauration du gouvernement autonome était pour lui la seule possibilité de continuer à être un acteur politique majeur. Il n’est donc pas étonnant, même si cela ne fut pas chose aisée, que les différentes parties soient parvenues à s’entendre pour signer un accord intitulé “Nouvelle décennie, nouvelle approche”, mettant ainsi un terme au blocage institutionnel de l’Irlande du Nord.

Cet accord a réjoui le Taoiseach Leo Varadkar: “C’est un jour historique pour l’Irlande du Nord”. Le pauvre ne se doutait pas qu’il était à quelques jours à peine de faire les frais d’un jour tout aussi historique : la victoire du Sinn Fein aux élections générales de la République d’Irlande. Historique, cette victoire l’est assurément puisqu’elle met un terme au bipartisme opposant depuis près d’un siècle le Fine Gael au Fianna Fáil, les deux ennemis de la guerre civile de 1922-23. C’est la troisième étape, la dernière en date, du processus politique qui reconfigure l’Irlande depuis le Brexit…

Quelques semaines à peine avant les élections, très peu prenaient la candidature du Sinn Fein au sérieux. Le parti républicain avait en effet essuyé une défaite sévère en mai, perdant la moitié de ses conseillers aux élections locales irlandaises et deux de ses quatre députés aux élections européennes. Mais en menant une campagne clairement marquée à gauche sous le slogan “Laissez les travailleurs et les familles un peu tranquilles”, le Sinn Fein a réussi à remonter son retard. Et contrairement à ce qui s’était passé quelques semaines auparavant en Irlande du Nord, il a tiré profit de la lassitude générale face au bipartisme. Le résultat est sans appel : le Sinn Fein passe de 22 à 37 députés et arrive en tête des suffrages avec 24,5% (contre 9,5% aux élections locales de mai).

Au début de la campagne, les principaux médias traitaient le Sinn Fein avec un mépris non dissimulé, refusant par exemple d’inviter le Sinn Fein à un débat télévisé au prétexte que la formation républicaine n’avait aucune chance de remporter les élections. Avec la montée du Sinn Fein dans les sondages, ce mépris s’est transformé en franche hostilité, le parti se faisant accuser de manière récurrente d’être sous les ordres d’un mystérieux “conseil militaire de l’IRA”. Un argument repris par le Fine Gael et le Fianna Fáil, furieux de voir leur suprématie remise en cause. Peu après un vote non conclusif au Parlement pour élire le nouveau Taoiseach et où la tête de liste du Sinn Fein, Mary Lou McDonald, a devancé le Taoiseach sortant Leo Varadkar (45 voix contre 36), ce dernier a visiblement perdu ses nerfs et envoyé un tweet comminatoire à McDonald en la sommant “de répudier [l’IRA] et de couper tout lien de manière publique et sans équivoque”. Rappelons à toutes fins utiles que le démantèlement de l’IRA remonte à 15 ans déjà…

Soutien des Verts

Comme on l’imagine, il y a bien peu de chances que le Fine Gael de Varadkar s’allie au Sinn Fein pour former un gouvernement de coalition… Une grande coalition avec le frère ennemi du Fianna Fáil semble (un peu) plus probable, mais à elles deux, ces deux formations n’auraient pas la majorité et il leur faudrait un allié supplémentaire comme les Verts par exemple (12 sièges). Le soutien de ces derniers est également convoité par le Sinn Fein qui souhaiterait former une grande coalition de gauche, ce qui s’avère extrêmement délicat quoique pas impossible…

Mais que le Sinn Fein parvienne à former un gouvernement ou pas, personne ne nie que la perspective d’une consultation sur l’unité de l’Irlande s’est considérablement rapprochée. “Notre objectif politique principal, précisait le Sinn Fein dans son programme électoral, est d’obtenir l’Unité de l’Irlande”. Prenant le Brexit comme contre-exemple, McDonald ne veut cependant pas précipiter la tenue d’un référendum mais s’y préparer activement (“un référendum non préparé est stupide” avait asséné l’ancien Président du Sinn Fein Gerry Adams il y a quelques mois). L’objectif est d’éviter une “réunification désordonnée”, un objectif d’ailleurs partagé par un nombre croissant d’Unionistes qui affichent la même résignation que The Economist quand il répond ainsi à sa question de Une : “le succès du Sinn Fein aux élections n’est que la dernière raison de penser qu’une Irlande unie d’ici une décennie environ est une vraie – et de plus en plus forte – possibilité. Tiocfaidh ár lá*, résument les Républicains, en y croyant plus que jamais…

 

*Tiocfaidh ár lá : expression en gaélique irlandais qui peut setraduire par “Notre jour viendra

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