Un spectre clivant

Le mausolée du Valle de los Caídos abrite aussi les dépouilles de près de 34 000 nationalistes et républicains.
Le mausolée du Valle de los Caídos abrite aussi les dépouilles de près de 34 000 nationalistes et républicains.

Pedro Sanchez est le premier chef de gouvernement espagnol à avoir osé briser “le” tabou de l’ère postfranquiste. Une démarche qui rappelle aussi la requalification du Palais d’Aiete à Donostia, maison de la paix et des droits de l’Homme après avoir été la demeure estivale du dictateur.

Franco disparu,
le Palacio retomba dans l’escarcelle de Donostia
sans jamais parvenir à se débarrasser de la figure fantomatique du dictateur et de son épouse,
fidèles à leur messe quotidienne,
vacances comprises.
Ni celles des membres de son gouvernement,
tenu d’y tenir un conseil des ministres à chaque séjour.

La dépouille du général Franco sera donc exhumée de la basilique del Valle de los Caidos (“La Vallée de ceux qui sont tombés”) d’ici la fin de l’année 2018. Voilà ce que promet le décret-loi promulgué le 24 août dernier par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez. Un décret apportant une retouche (qui n’a rien d’anodin) à l’article 16 de la Loi sur la Mémoire Historique. À l’avenir en effet, le Mausolée ne saurait abriter que “des victimes directes de la Guerre Civile, en tant que lieu de commémoration, souvenir et hommage aux victimes des combats”. Ce qui n’était évidemment pas le cas du Généralissime décédé “dans son lit” le 20 novembre 1975. Incarnation même de la dictature, il fut inhumé le 23 novembre 1975 dans cet immense mausolée, édifié sur ses ordres dans une zone boisée et désolée située à 60 km de Madrid, taillé dans le roc et construit à la force du poignet par des milliers de prisonniers républicains. 1940-1958 : 18 ans de travaux. Quelque 34.000 personnes estime-t-on, y furent enterrées mais non formellement identifiées. 43 ans plus tard, l’ombre du général qui n’a jamais cessé de planer sur l’Espagne, a pris l’allure d’un spectre clivant dont on ignorait la destinée ultime à la fin août… Depuis l’annonce du projet d’exhumation en juin 2018, par le nouveau chef du gouvernement, le nombre de visiteurs (touristes, nostalgiques acharnés du régime, pèlerins, manifestants, curieux…) a explosé. L’homme qui a osé briser “le” tabou s’est aventuré là où ses prédécesseurs n’avaient pas eu le cran d’aller. Pas même José Luis Rodriguez Zapatero dont la loi sur la Mémoire historique de décembre 2007, avait pourtant ouvert une brèche dans le mur de l’oubli obligatoire institué par les vainqueurs de la guerre, farouches défenseurs du silence des vaincus.

De Franco aux Droits de l’Homme

Voilà en tout cas, qui nous ramène, dans des proportions certes plus modestes, au Palacio d’Aiete de Donostia-Saint-Sébastien, dont la transformation en une Maison de la Paix et des Droits de l’Homme (doublée d’un Centre culturel) prend tout son relief à l’aune des projets de “requalification” du mausolée franquiste suggérés par les uns et les autres. S’inspirera-t-on du camp de la mort nazi d’Auswitchtz devenu musée national polonais ? Ou du cimetière d’Arlington aux USA qui abrite des combattants de toutes les guerres ? À moins (peu probable cependant) qu’il ne soit démoli comme le suggèrent les plus radicaux. Le Palacio d’Aiete, quant à lui, fut donc cette belle demeure en néo-classique français, dressée sur les hauteurs de Donostia par les Ducs de Bailén, sur une propriété appartenant à une certaine famille Hayet d’origine gasconne. Nous étions en 1878. La demeure devint la résidence d’été des rois d’Espagne jusqu’en 1893. Il n’en fallut pas plus pour qu’en 1941, le général Franco, fasciné par la tradition monarchique, décide d’en faire son palais d’été. Il y vint chaque année (1941-1973) avec famille, aides de camp, serviteurs et son proche entourage politique. Des centaines de militaires et membres de forces de sécurité investissaient alors le quartier Aiete encore champêtre, passé au peigne fin, apeuré, soumis à étroite surveillance, théâtre de nombreux incidents et d’au moins une tentative d’attentat à la bombe. La cité accueillait déjà, depuis longtemps, la fine fleur de l’aristocratie espagnole, en un mot une sorte de Cour estivale reconstituée. Aiete (où l’avaient précédé Alphonse XIII et la reine Maria Cristina) avait été mis à la disposition du général par la Ville dès 1940. Il ne se fit pas prier ! Franco disparu, le Palacio retomba dans l’escarcelle de Donostia sans jamais parvenir à se débarrasser de la figure fantomatique du dictateur et de son épouse, fidèles à leur messe quotidienne, vacances comprises. Ni celles des membres de son gouvernement, tenu d’y tenir un conseil des ministres à chaque séjour.

Aiete, la révolution de palais

Tout cela donc, jusqu’à ce qu’un beau jour de 2005, le maire socialiste Odon Elorza (1991-2011), qui aspirait “à une véritable refondation démocratique”, fasse sa propre révolution de palais. Il tournait définitivement une page de sa ville, victime non seulement de décennies de guerre et de dictature, mais aussi de terrorisme (103 morts), décidé à “construire du neuf sur l’ancien”. “Ce sera, assurait l’élu, un espace où toutes les victimes de toutes les violences seront reconnues et tout spécialement celles d’ETA, les plus nombreuses”. Il faut s’imaginer l’escalier monumental, l’immense table ovale couleur acajou de la salle à manger, restée intacte entre tentures et pièces d’argenterie. Il faut surtout s’imaginer, tant la symbolique en était lourde, le surréalisme de cette grande penderie située au second (étage réservé aux domestiques), emplie d’objets et vêtements liturgiques aux tons un peu passés, offerts aux toiles d’araignées ! 30 ans après, personne ne voulait (même pas la paroisse voisine) de ces chasubles, étoles et autres encensoirs, utilisés par les prêtres chargés des offices à l’ère Franco…

L’autre résidence du Caudillo

Survint octobre 2011. Soit, un peu plus d’un an après son inauguration par le lehendakari Patxi Lopez, le 17 octobre 2011, Aiete-Maison de la Paix accéda à la notoriété internationale, lors de la Conférence du même nom. Celle-ci ouvrit la voie au processus de paix basque, sous la présidence de Koffi Annan (ex-secrétaire général de l’ONU) récemment disparu. À l’autre extrémité de la Corniche cantabrique, en Galice, se trouve l’“autre” résidence d’été du dictateur, le Pazo de Meiras, toujours propriété de la famille Franco. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour qu’elle soit retirée aux héritiers.

 

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