Preso sur le devant de la scène 

Sare et Etxerat présents sur la plage de la Concha à Donostia.

 

La question des prisonniers politiques n’est toujours pas réglée, leur présence symbolique dans l’espace public des fêtes basques demeure insupportable pour les espagnolistes. En toile de fond, la guerre du récit remonte à des épisodes antérieurs à la mort de Franco.

Tout d’abord les derniers chiffres. Quinze ans après la fin de la lutte armée, 134 militants basques demeurent prisonniers, avec des statuts très divers. 32% (44) sont en permanence derrière les barreaux. 68% bénéficient de différents régimes de semi-liberté et passent une partie de leur temps hors les murs des prisons de Basauri (Bizkaia), Zaballa (Araba) et Martutene (Gipuzkoa). 50 d’entre eux bénéficient du statut dit du « troisième degré », le plus libéral, avec 31 personnes placées sous bracelet électronique ; 17 sont sous la coupe de l’article 100.2, un « deuxième degré » plus flexible. Plus d’une vingtaine sont en liberté conditionnelle. En un an, 20 preso en régime fermé ont vu leur situation s‘améliorer. Enfin, 18 Basques sont actuellement exilés ou déportés dans différents pays et ne peuvent revenir chez eux.

Le hic est qu’un total de 57 preso basques présente toutes les conditions juridiques pour accomplir leur peine en milieu ouvert, mais subissent un régime fermé ou quasi fermé. Si le gouvernement espagnol appliquait le droit commun, la totalité des prisonniers politiques basques devrait être libre. Il n’en est rien du fait de la mise en œuvre de mesures d’exception à caractère arbitraire. La complexité des situations fait l’objet d’un marchandage permanent, via l’association de défense Sare, émanation de la mouvance indépendantiste conduite par Sortu et la coalition EHBildu.

Guardia civil et audiencia nacional s’acharnent

Le lobbying des associations para-publiques de victimes d’ETA demeure efficace auprès d’une opinion espagnole et d’une presse très réceptives à ses communiqués. À telle enseigne que de nouveaux recours sont relancés par l’Audiencia nacional, tribunal d’exception à caractère politique depuis la « transition démocratique ». Dernier exemple en date, le 10 juillet, l’ex-responsable d’ETA, Josu Urrutikoetxea, qui a déjà trois dossiers ouverts à son encontre, se voit reprocher… d’avoir lu la déclaration finale de dissolution d’ETA le 3 mai 2018. Le magistrat espagnol Santiago Pedraz s’appuie pour cela sur un épais dossier monté par le « service criminalistique » de la Guardia civil qui poursuit ses enquêtes comme au bon vieux temps.
Face à cette situation, les abertzale font tout ce qui est en leur pouvoir pour tenter d’avancer. Le soutien d’EHBildu au gouvernement socialiste en est le prix à payer, tant il est évident qu’un retour aux affaires de la droite au pouvoir en Espagne, avec dans ses wagons l’extrême droite de Vox, sonnerait le glas de toute évolution favorable du statut des preso.
Deux épisodes récents marquent ces discrètes négociations. Le 23 juin, Anton Lopez Ruiz, principal négociateur de Sortu, a obtenu d’éviter une série de condamnations pour la célébration de 120 « ongi etorri » de preso. Ces manifestations de bienvenue des prisonniers basques lorsqu’ils reviennent chez eux, appartiennent désormais au passé. La mouvance indépendantiste y a renoncé, le dernier « ongi etorri » ayant eu lieu en 2022. L’accord passé avec les juges espagnols a été signé au prix de la reconnaissance des faits, « du mal fait aux victimes d’ETA et des douleurs et humiliations subies ». Comme une sorte de plaider coupable si répandu aux USA. Il a nécessité de gros efforts pédagogiques auprès de la base militante abertzale. Cette formule de transaction déjà expérimentée en 2016 par 35 dirigeants de Batasuna suscite encore de fortes critiques de la part des associations de victimes, telles que Covite ou Dignidad y justicia proche des services de police. Pour ces derniers, le verre du repentir, des regrets éternels, de la contrition et de la condamnation d’ETA, n’est jamais assez plein.

Unai Parot voit le bout du tunnel

Unai Parot (67 ans dont 35 en prison) a dû se résoudre à signer une lettre de reconnaissance des victimes des attentats auxquels les juges l’accusent d’avoir participé. Il a ainsi obtenu trois courtes permissions de sortie. Ce type de chantage a fait réagir négativement onze preso et une centaine d’ex-détenus. Ils ont diffusé le 21 juillet une déclaration accusant leurs anciens camarades « d’assumer la vérité de l’ennemi », de « criminaliser la lutte et de revenir en arrière sur le chemin de la libération d’Euskal Herria ». De telles prises de positions qui ne sont pas nouvelles restent marginales, elles ne sont pas promises à un grand avenir, faute de proposition politique crédible. Dans un combat aussi difficile, ces dissensions sont inévitables, l’unanimité demeure un vœu pieux.

À l’autre extrémité du spectre politique, Covite tient la comptabilité des manifestations pro preso. Durant les six premiers mois de l’année 2025, 168 actions de solidarité ont été organisées en Pays Basque : peintures et graffitis, pancartes, photos, fêtes diverses, hommages publics, etc. On constate une diminution de 11% de ce type de manifestation par rapport à la même période de l’année antérieure. C’est encore beaucoup trop aux yeux de Covite parce que cela « alimente la radicalisation violente d’une partie de la société basque, des milliers de jeunes ayant aujourd’hui pour modèles de conduite des terroristes sanguinaires ».

Covite oublie que la meilleure façon de faire disparaître de l’espace public les demandes de libération des preso serait… de tous les libérer rapidement. Comme il oublie qu’hier la manière la plus simple de mettre fin aux nombreux meurtres liés au conflit hispano-basque, aurait été de négocier sérieusement entre adversaires.

Tentatives officielles pour faire taire la revendication

Les collectifs Sare et Etxerat n’ont pas manqué durant l’été d’organiser de nombreuses manifestations pro preso. Onze d’entre elles ont eu lieu sur des plages du Pays Basque afin d’informer les touristes étrangers. Déjà à la mi-mai, Sare avait constitué durant un long week-end une caravane reliant les 28 localités d’Hegoalde qui comptent un preso en régime fermé. Son action depuis onze ans vise à ce que certains « cessent d’instrumentaliser la souffrance des victimes » et « de criminaliser des revendications démocratiques et légitimes en faveur du droit de personnes emprisonnées ».



Les manifestations abertzale sont insupportables pour les espagnolistes organisés en associations de victimes et relayés par des formations de droite ou de gauche. D’où ces dernières semaines, plusieurs institutions locales qui ont procédé à l’enlèvement de pancartes et de banderoles pro-preso. Ainsi à l’Université de Navarre ou pour les grandes fêtes annuelles du mois d’août à Gazteiz, la capitale dirigée par le PSOE en coalition avec le PNV. Suite à une intervention de la fondation Fernando Buesa (leader PSOE abattu par ETA), la municipalité est revenue sur sa décision d’autoriser affiches et banderoles solidaires des preso. Idem à Oiartzun où la municipalité EHBildu avait accroché un panneau « Etxerat» au fronton de la mairie, ou encore sur la façade de l’école Orixe-Zuloaga à Donostia. Lors des fêtes de Bilbo à la fin du mois d’août, le maire PNV de la ville a fait intervenir la police municipale et la Ertzaintza pour limiter le nombre des banderoles sur le même thème. Le 22, à l’appel de Sare, plusieurs milliers de personnes manifestent au centre de Bilbo, malgré le recours d’AVT (Association des victimes du terrorisme) auprès de l’audiencia nacional qui a finalement autorisé le défilé. L’instrumentalisation et la tension montent aussitôt d’un cran : le PP accuse Pedro Sanchez de permettre « l’humiliation » des victimes d’ETA. La socialiste Marisol Garmendia, déléguée du gouvernement espagnol en Euskadi (super-préfet), demande au « gouvernement basque de prendre en main ce dossier et d’en finir avec les affiches d’ETA ».

ur la falaise Santa Barbara de Zarautz, la grande banderole pour le 50e anniversaire de l’exécution de Txiki et Otaegi



« Txiki et Otaegi ne luttaient pas pour la liberté »

Mais c’est la station balnéaire de Zarautz en Gipuzkoa qui est le théâtre d’une vive polémique. Sur une falaise, une immense banderole est installée le 8 août, en hommage à deux membres d’ETA,Txiki et Otaegi, tués peu avant la disparition de Franco, sur ordre d’un tribunal d’exception. Les deux Basques sont devenus des icônes du mouvement indépendantiste qui voulait leur rendre hommage 50 ans après leur exécution. La banderole a été enlevée sur ordre de la municipalité PNV, 24h après son installation. Suite à cette affaire, une déclaration du directeur socialiste de l’organisme Gogora a mis le feu aux poudres. Gogora qui émane du gouvernement autonome, se définit comme un Institut de la mémoire du vivre ensemble et des droits de l’homme. Il tente d’écrire une histoire non partisane des soixante dix dernières années du conflit espagnol en Pays Basque. Son directeur, Alberto Alonso fut député PSOE et titulaire d’un porte-feuille dans le gouvernement de Gazteiz. Le 13 août, il s’est fendu d’une grande déclaration où il dit en substance : « Txiki et Otaegi ne luttaient pas pour la liberté, mais pour imposer leur vision. Ils utilisaient les mêmes armes que celles du franquisme (…), une chose est de les reconnaître comme des victimes du franquisme, autre chose est de leur rendre hommage, alors qu’ils ont utilisé la violence, la peur et la terreur. (…) Ils ne désiraient pas instaurer une société démocratique ». Il convient donc de ne pas mettre « dans le même sac » Txiki et Otaegi avec les anti-franquistes qui luttèrent pour la démocratie.

En 1975, la une du journal clandestin El Socialista où le PSOE glorifie le sacrifice de Txiki et Otaegi (@Naiz)


De pareils propos ont déclenché une tempête dans les rangs souverainistes basques. Avec à l’appui la couverture du journal clandestin El Socialista, organe officiel du PSOE en 1975. Il soutient clairement le combat des deux militants basques assassinés aux côtés de trois membres du FRAP, un mouvement d’extrême gauche. EHBildu rappelle le soutien sans faille de l’Internationale socialiste alors dirigée par la Suédois Olof Palme… et la pratique de la lutte armée dans les rangs socialistes durant les années 30 puis les années 50 en Espagne (1).

Revient ainsi en premier plan un débat de fond, celui d’un récit historique commun et partagé entre deux nations dont l’une toujours dominée est plus que jamais en lutte pour sa souveraineté (2). En la matière, on constate que ces profondes divergences sont très répandues à travers le monde, en particulier entre pays occidentaux et anciennes colonies. Les indépendantistes basques ne sont pas prêts de lâcher l’affaire. La formation Sortu qui fait partie de la coalition EHBildu, organise son congrès le 27 septembre à Iruñea. Elle rendra un hommage solennel à Txiki et Otaegi.

(1) Les membres des derniers militants armés socialistes furent exfiltrés des Asturies par l’abertzale souverainiste Lezo Urreiztieta, dans des conditions rocambolesques qui ont fait l’objet d’un film de Josu Martinez « Jainkoak ez dit barkatzen », (2018).
(2) Sur cette démarche de révisionnisme historique et concernant le procès de Burgos, voir https://www.enbata.info/articles/le-revisionnisme-historique-bat-son-plein/

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