Albert Memmi gogoan

AlbertMemmi

Beñat OIHARTZABAL

Albert Memmi est décédé le 22 mai, à l’âge de 99 ans. Il était natif de Tunisie, fils d’une famille juive extrêmement modeste arabophone, le père étant fils d’immigré italien et la mère, berbère. Les hommages rendus à cette occasion à ce sociologue militant des luttes anticolonialistes, notamment pendant la guerre d’Algérie, ont été relativement discrets en France; en Pays Basque, également, m’a-t- il semblé. Pourtant, l’influence de certains de ses ouvrages, en particulier Portrait du colonisé, publié en 1957, l’année suivant le début de l’insurrection du FLN en Algérie, avec une préface Jean-Paul Sartre, et accompagné d’un portrait du colonisateur, fut considérable pendant les luttes anticolonialistes de cette période, à l’instar des travaux d’un autre intellectuel anticolonialiste, qui analysa et questionna les ressorts psychologiques conditionnés par les éléments sociaux, politiques, ou ethno-religieux et raciaux, constitutifs de la situation coloniale: Frantz Fanon.

Cette influence ne se limita pas au contexte géopolitique des luttes de libération africaines et singulièrement maghrébines. Elle se constata également dans des contextes politiquement très différents du domaine africain; par exemple, celui des luttes d’émancipation, tant du Pays Basque en Europe, que du Québec, en Amérique du Nord.

Pour le Pays Basque, je peux témoigner de la forte impression que fit sur moi-même comme sur beaucoup de mes camarades militants, ce portrait du colonisé que ce sociologue dressa avec une justesse psycho-culturelle telle que les jeunes Basques que nous étions, pouvaient penser —une fois un inévitable effort de transposition effectué—, qu’il représentait aussi dans son portrait les Basques de la génération ‘aliénée’ ou ‘non conscientisée’ (comme nous disions alors, non sans une certaine suffisance) de nos parents et grand-parents.

C’est ce portrait proprement dit que nous retenions d’abord, plutôt que l’analyse ‘situationnelle’ ou ‘systémique’ que Memmi en proposait dans le cadre de la relation coloniale politico-économique, laquelle nous paraissait mal correspondre à notre contexte, même si cette analyse fit pourtant son chemin chez certains abertzale également.

Ceux-ci trouvèrent d’ailleurs ensuite en Jean- Paul Sartre un porte-parole prestigieux de ces thèses (voir la préface de ce dernier à l’ouvrage de Gisèle Halimi sur le procès de Burgos).

J’ignore si Memmi lui-même, apprit jamais comment son ouvrage fut accueilli par le mouvement abertzale en Pays Basque, bien qu’il fut conscient que son portrait inspiré de son expérience tunisienne, trouvait son application dans bien d’autres contrées (chez les militants du mouvement noir aux Etats-Unis, ou encore chez les souverainistes québécois au Canada).

Je peux témoigner de la forte impression
que fit le Portrait du colonisé
que ce sociologue dressa avec une justesse psycho-culturelle
telle que les jeunes Basques pouvaient penser
qu’il représentait aussi
les Basques de la génération ‘aliénée’ ou ‘non conscientisée’.

Dans la préface de la réédition de son ouvrage en 1966, il notait : “ce furent mes lecteurs, qui étaient loin d’être tous des Tunisiens, qui m’ont convaincu plus tard que ce Portrait était également le leur. Ce sont les voyages, les conversations, les confrontations et les lectures qui me confirmèrent, au fur et à mesure que j’avançais, que ce que j’avais décrit était le lot d’une multitude d’hommes à travers le monde.

Au Pays Basque

Au Pays Basque, Txillardegi fut, me semblet- il, le plus proche intellectuellement de Memmi : il traduisit d’ailleurs en basque son Portrait du colonisé(1) et je ne serai pas surpris si l’archiviste ordonné et méthodique qu’est Ellande Duny-Pétré, trouvait dans les archives de cet hebdomadaire et des publications militantes de l’époque, les traces de cet intérêt.

Après les années 1960-70, l’aura d’Albert Memmi dans les milieux intellectuels contestataires et anticolonialistes en France s’affaiblit notablement, de sorte qu’il est probable que beaucoup des plus jeunes des lecteurs d’Enbata ignorent qui était Albert Memmi et ce qu’il avait pu représenter il y a cinq ou six décennies. Cette perte de réputation dans les milieux de la mouvance radicale en France résulta peut-être aussi, de ce qu’il restât toujours fidèle à ses convictions sionistes, acquises dans son enfance, durant laquelle il adhéra au mouvement Hachomer Hatzaïr(2) ; il les conserva d’ailleurs jusqu’à la fin, même après les diverses opérations israéliennes de répression et de colonisation en Palestine, qu’il désapprouvait cependant.

En outre, ses critiques lucides des Etats décolonisés demeurés dans le giron musulman purent faire naître l’impression d’un retournement. C’est ce que donne à penser, à la suite de son décès, le sociologue Mustapha Saha dans son hommage publié par l’Obs, après que les deux hommes aient entretenu de nombreux échanges durant la dernière année, car ils prévoyaient de rédiger un livre en commun.

C’est un fait, au demeurant, que, même après les indépendances maghrébines, Albert Memmi n’adopta pas la nationalité tunisienne, se fit naturaliser français (1973), et qu’il vécut en France, dans l’ancien pays colonisateur, où ses travaux reçurent une reconnaissance méritée au sein d’institutions académiques prestigieuses.

Un aspect du jugement politique porté par Saha dans son hommage, n’est pas d’ailleurs sans une sévérité et même une cruauté, probablement excessives, puisqu’il estime que son interlocuteur avait effectué un véritable retour en arrière et il finit par revêtir l’autre visage du duo colonial intrinsèquement antagonique dessiné dans ses portraits ; il avait vite adopté, en tout cas dès son installation définitive en France, le regard du colonisateur qu’il avait si bien décrit et démystifié. Il pensait fortement que les Arabes n’avaient d’autre chance de survie que l’adoption du modèle occidental et la laïcisation de leur islamité. Il revenait à la case départ, la mission civilisationnelle, hygiéniste, des colonisateurs.

1) Albert Memmi. Portrait du Colonisé, précédé de Portrait du Colonisateur. Préface de Jean-Paul Sartre. ED.Buchet-Chastel. Paris.1957. Euskararako itzulpena, Jakin argitaletxean argitaratu zen 1974an, Arantzazu- Oinati, ‘Kolonizatuaren ezagugarriak izenburuarekin. Larresoro [Txillardegi] izan zen euskararatzailea.

2) Le mouvement Hachomer Hatzair est un mouvement de jeunesse juif de type scout. Situé politiquement à gauche, il se constitue en force politique (socialiste et sioniste) après la première guerre mondiale, cette force donnant lieu, après la création d’Israel, à la fondation successivement des deux grands partis de la gauche israélienne : Le Mapam et Meretz. 

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