Où les lasagnes au cheval roumain signent le triomphe de l’Europe néolibérale par Periko Legasse

Je me souviens de ce jour où mon père, à l’occasion d’un déjeuner dans un restaurant de Donapaleu avec le chanoine Pierre Laffite se leva de table pour aller saluer le sénateur Jean Errecart. C’était à la fin des années 1960. L’élu décédera en 1971, peu après avoir fondé Lur Berri. Natif d’Orragare (Orègue), engagé en politique dans le centre droit catholique, très attaché à ses racines euskaldun sans s’être pour autant jamais rapproché de la mouvance abertzale, avec la-quelle il maintenait des relation cordiales, Jean Errecart fut surtout un éminent syndicaliste agricole et l’initiateur du mouvement coopératif en Iparralde dès avant la seconde guerre mondiale. Pourquoi ce rappel? Parce qu’il est étonnant que l’initiative d’une poignée de paysans basques ayant fondé
la coopérative Lur Berri soit à l’origine d’un monstre économique, aux ramifications internationales diverses et variées (Agridis, Arcadie, Pionneer, Labeyrie, Martiko, etc.) aujourd’hui au cœur du plus grand scandale alimentaire de ce début de siècle. D’autant que l’actuel vice-président de Lur Berri, Barthélémy Aguerre, est le suppléant du député béarnais Jean Lassalle. Nous voici donc soudain transportés de Benafarroa en Roumanie via les arcanes du Modem.

L’Europe des copains et des coquins

Un jour de 2009, Lur Berri pris la majorité (95%) de la société “A la table de Spanghero”, fondée par les célèbres rugbyman occitans pour produire à échelle industrielle la recette du cassoulet familial que leur maman préparait à la maison. On aurait pu penser que Lur Berri aurait confié à Spanghero l’extension d’une filière axoa d’Espelette ou d’un département pipérade, à moins que ce ne soit le développement d’une gamme “marmitako minute” ou d’une ligne “zikiro sous vide”. Rien de tel. Nous apprenons que la firme de Castelnaudary importe de la viande de Roumanie, qu’elle ne transforme pas, pour l’envoyer à Metz, dans les locaux de la société Cogimel, qui la confie à sa filiale Tavola afin qu’elle produise au Luxembourg des plats préparés pour la marque Findus. Tout ça sent bon l’Europe des copains et des coquins.
On aurait pu croire que la société Spanghero recevait directement sa marchandise, que l’on appelle “minerai”, puisqu’il s’agit d’un agglomérat de différents types de viandes et morceaux, de Roumanie. Erreur, la viande roumaine, que ce soit du bœuf, du cheval ou de la mule, transitait d’abord par les locaux d’un trader néerlandais suite à une transaction opérée par un trader chypriote, ce dernier ayant été contacté par des abattoirs roumains détenteurs d’une grande quantité de viande de cheval. Curieuse époque où il faut aller chercher bien loin des produits dont on dispose si près, histoire de ne pas perturber l’équilibre des marchés. Tout cela sent bon la pratique mafieuse avec un très probable trafic d’animaux à la clé. Partant de 4 e le paquet de lasagnes surgelées chez Findus pour arriver à 1,15 e le kilo de cheval roumain, lui même payé entre 70 et 90 centimes d’euro le kilo aux fournisseurs de bétail, on prend la vraie di-mension du problème. Tant que la grande distribution, déjà en situation de quasi monopole, puisque cinq centrales d’achat (Carrefour, Au-chan, Intermarché, Leclerc et Casino) se partagent 90% du marché, imposera ses tarifs à ses fournisseurs, nous irons de gabegies en forfaitures. Merveilleux système libéral où l’acheteur fixe lui-même le prix à son vendeur pour garantir ses marges.

Des banquiers utilisent l’alimentation

Et l’industrie agroalimentaire de s’engouffrer dans la brèche pour décider elle aussi de ce qu’elle veut bien payer. Un système qui incite inévitablement à la fraude si le fournisseur veut à la fois garder le marché et ne pas vendre à perte. Ces gens-là ne sont ni des fabricants, ni des marchands de nourriture, mais des banquiers utilisant l’alimentation humaine pour générer des profits financiers. L’industrie transformée en usine à fric sur le dos du consommateur après avoir étranglé le producteur, avec la bénédiction quasi complice d’institutions ayant troqué un peu du devoir de l’Etat contre tous les droits de l’argent, voilà l’une des causes du problème.
Mais cette dérive n’aurait pu prendre une telle ampleur si la Commission européenne, aveuglée par l’idéologie néolibérale, n’encourageait le mercantilisme au nom de la liberté absolue des marchés. Elle est où cette célèbre “concurrence libre et non faussée” que l’on nous a vendue de traité en traité? Est-ce bien elle qui permet à des trafiquants de bestiaux d’écouler leur marchandise frauduleuse dans les grandes surfaces blanchies de publicité de nos sociétés saturées de modernité? Avant hier la Commission disait non à la traçabilité des morceaux de viande dans les produits transformés. Autrement dit, le consommateur payeur n’a pas à savoir d’où vient la vache ou le cheval contenu dans ses raviolis. Passez votre chemin, vous n’empêcherez pas le système de tourner en rond. Hier encore, la Commission annonçait l’autorisation des farines carnées, interdites depuis la crise de la vache folle, dans l’alimentation des poissons d’élevage à partir du 1er juin 2013. Des génies de la com politique… On pourra enfin écouler le cheval ukrainien ayant transité par la Pologne pour arriver en Roumanie dans les croquettes pour saumon. Oh, du bar au porc! Ah, de la daurade au bœuf! Les piranhas sont là.

Indignons-nous dans l’assiette

Enfin, pourquoi le gouvernement de François Fillon a-t-il démantelé la DGCCRF, notre précieuse «Répression des fraudes», en la plaçant, avec 600 inspecteurs en moins, sous l’autorité des préfets, via le charmant intitulé de «Direction départementale de la protection des populations»? Pour qu’un patron indisposé par une enquête un peu trop zélée puisse tout de suite intervenir auprès de la préfecture afin de neutraliser les gêneurs? Qu’attend la gau-che pour redonner ses prérogatives à cette “police de la croûte” grâce à laquelle les margoulins se sentaient un peu surveillés. D’autant que l’on sait l’acharnement que mettent les services de l’Etat et autres vétérinaires à sévir sur les petits producteurs, artisans et commerçant de proximité, que l’on visitera cinq fois dans un trimestre à la recherche d’une bactérie suspecte alors que le gros industriel qui s’enrichit avec des denrées aux origines suspectes, parfois même avariées, pourra lui, comme on l’a vu à Castelnaudary, tricher et mentir, donc voler et tromper, en toute impunité. Sans parler des toxines, adjuvants, additifs et pesticides dont regorgent cette malbouffe que chaque jour le lobby agroalimentaire déverse sur les rayons des grandes surfaces. Voilà l’explication de la lasagne Findus au cheval roumain.
Mais rien n’évoluera tant que le citoyen consommateur, relayant la démarche du paysan honnête et de l’artisan consciencieux, ne prendra pas son destin alimentaire en main. Il est faux de dire que cette malbouffe est inéluctable pour les revenus mo-destes et les milieux sociaux défavorisés. Si l’on veut bien redistribuer le temps et le budget familial en donnant un peu plus d’importance à l’acte alimentaire, sensé nous faire vivre longtemps, heureux et en bonne santé, au détriment de certaines dépenses futiles, alors on peut arriver à se nourrir correctement pour pas cher. L’ennemi c’est la résignation. Les petits peuples qui luttent depuis des siècles contre les grandes na-tions pour recouvrer le droit à disposer d’eux mêmes le savent bien. Les paysans qui se rassemblent en chambre d’agriculture libre face à des syndicats agricoles aux ordres du marché le savent bien. Indignons nous dans l’assiette. Selon l’époque, la liberté est au bout du fusil ou du bulletin de vote. Aujourd’hui elle est aussi au bout de la fourchette et du couteau. Jan ta ke irabazi arte!

Periko Légasse

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