En Ecosse, le chaos de l’après-Sturgeon

Nicola Sturgeon et Humza Yousaf, élu premier ministre d’Ecosse deux jours après son élection à la tête du SNP


Rude retournement de situation en Ecosse, le duel fratricide qui a opposé les candidats à la succession de Nicola Sturgeon et la gestion opaque du parti indépendantiste SNP risquent de lui coûter cher. Et de faire le bonheur des travaillistes écossais.

Pour l’un des dirigeants historiques du SNP, la crise dans laquelle est actuellement plongé le parti indépendantiste écossais est « la plus grosse et la plus difficile que le parti n’ait jamais connue en 50 ans ». Il y a deux mois à peine, il était pourtant difficile de présager une telle crise : le parti, arrivé au pouvoir en 2007, semblait indétrônable et le gouvernement de Nicola Sturgeon « défiait la gravité », pour reprendre les termes du Guardian. Quel contraste avec la situation actuelle ! Nicola Sturgeon a démissionné, son successeur à la tête du SNP et au poste de Premier ministre est fortement contesté au sein même de son parti, et des dirigeants de premier plan, dont le mari de Nicola Sturgeon, ont été arrêtés par la police. Pour couronner le tout, le parti semble être au bord de la banqueroute à un an des prochaines élections générales britanniques.

Les raisons d’une démission

Le premier séisme vint des déclarations de Nicola Sturgeon lors d’une conférence de presse le 15 février dernier : « Dans ma tête et dans mon coeur, je sais que le moment est venu, que c’est le bon moment pour moi, pour mon parti et pour le pays, et j’annonce donc aujourd’hui mon intention de démissionner en tant que Première ministre et cheffe de mon parti ». Au pouvoir depuis huit ans, Nicola Sturgeon dirigeait depuis mai 2021 une majorité pro-indépendance en alliance avec les Verts.

Pour justifier sa décision, elle a affirmé être au bord du burn-out après la gestion de la pandémie durant laquelle son investissement a été salué de manière assez unanime. Elle a également fait part d’un besoin d’intimité après avoir été victime de nombreuses rumeurs sur internet, notamment depuis l’adoption en décembre d’une loi facilitant le changement de genre dès 16 ans et sans avis médical. Votée de manière transpartisane, cette loi a divisé son propre camp et l’a exposée à de nombreuses critiques après qu’une femme transgenre, condamnée pour avoir violé des femmes avant son changement de genre, fut incarcérée dans une prison pour femmes. La loi a finalement été annulée par Londres en janvier en utilisant, pour la première fois et au grand dam des indépendantistes, une clause d’exception du statut d’autonomie. Une autre raison avancée pour expliquer la décision surprenante de Sturgeon est l’impasse dans laquelle piétine la stratégie référendaire. La Cour suprême britannique a statué qu’il fallait l’aval de Westminster pour tenir un second référendum d’indépendance, un aval que ni les Travaillistes ni les Conservateurs ne sont disposés à accorder. Sa proposition alternative d’organiser des élections autonomes qui feraient office de référendum de facto n’a par ailleurs pas suscité l’enthousiasme, même au sein de son propre camp.

Ces raisons ont indéniablement contribué à sa décision, mais il est difficile de se convaincre qu’elles sont les seules. En janvier, après la démission de la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Adern, Nicola Sturgeon se disait encore « pleine d’énergie » et « pas du tout près » du départ. Un journaliste de la BBC avait donc peut-être vu juste lorsqu’il lui demanda lors de cette conférence de presse : « avez-vous été, ou pensez-vous être, interrogée par la police qui se penche sur les finances de votre parti » ? Elle se refusa à commenter une enquête en cours, mais la suite des événements a prouvé que ce sujet est une autre cause possible de sa démission.

Opacité

Les inquiétudes sur les finances du SNP reposent en grande partie sur l’impossibilité d’avoir une vision claire du nombre d’adhérents. Après un record de 125 000 membres en 2019, le parti revendiquait 103.884 membres au 31 janvier 2021. Dans un article de février, le Sunday Mail affirmait que le parti avait depuis perdu 30.000 adhérents, et que seuls 72.186 personnes avaient été appelées à participer à la procédure de désignation du successeur de Nicola Sturgeon à la tête du parti. Le responsable de la communication du SNP répondit vertement que le Sunday Mail racontait n’importe quoi, mais il s’avéra que les données que le parti lui avait transmises n’étaient pas les bonnes. Il présenta alors sa démission en accusant des responsables du parti de lui avoir menti sur les chiffres. Dans la foulée, son responsable, Peter Murrell, qui est à la fois le directeur général du SNP depuis 20 ans et le mari de Sturgeon, fut contraint par ses compagnons à la démission.

Score serré

C’est dans ce contexte délétère que s’est déroulée la campagne pour succéder à Sturgeon à la direction du parti. Les deux principaux candidats s’y sont livrés une lutte sans merci. Le premier, Humza Yousaf, est un fils d’émigré pakistanais, musulman pratiquant, qui a déjà exercé plusieurs postes ministériels dans les gouvernements de Sturgeon. Adoubé par cette dernière, il défendait la même ligne sociale-démocrate et entendait en particulier contester l’annulation par Londres de la loi sur la transition de genre. Son adversaire, Kate Forbes, ministre des Finances au sein du dernier gouvernement de Sturgeon, a un profil bien différent. Née en Inde de parents missionnaires, elle est membre de l’Eglise calviniste libre d’Ecosse et affiche des positions réactionnaires sur le mariage homosexuel et l’avortement. Sur le plan politique, elle s’oppose à une taxation supérieure des hauts revenus, remet en cause certains engagements écologiques de Sturgeon et veut « arrêter de chercher la bagarre avec Westminster ». Au cours d’un débat télévisé, elle s’en est violemment prise à son adversaire : « Quand vous étiez ministre des transports, les trains n’étaient jamais à l’heure. Quand vous étiez ministre de la Justice, la police était à la limite de l’explosion. Et quand vous étiez ministre de la Santé, nous avons eu des temps d’attente records. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous feriez un meilleur travail en tant que Premier ministre ? ».

Le soutien de Sturgeon et des ténors du SNP, censé aider Yousaf, s’est avéré être un fardeau lourd à porter en fin de campagne, quand il est devenu évident pour tous que le fonctionnement interne du parti était pathologiquement opaque. Inversement, Forbes a fait un début de campagne catastrophique en déclarant qu’il n’était pas bon d’avoir des enfants en dehors du mariage et qu’elle ne contesterait pas l’annulation par Londres de la loi sur la transition de genre. Elle a pourtant failli l’emporter puisque Yousaf n’a finalement été élu qu’avec un score de 52% contre 48%. Ce résultat est d’autant plus surprenant que les Verts, qui font de la loi sur le genre une question de principe, avaient annoncé qu’ils mettraient un terme à leur alliance avec le SNP en cas de victoire de Forbes. Elle aurait donc été contrainte de gouverner en minorité. Il est peu probable que ce score serré traduise une droitisation massive du mouvement indépendantiste écossais : il s’agit probablement d’un rejet massif du manque flagrant de démocratie interne du parti dont Yousaf, candidat de la continuité, a fait les frais.

Investiture gâchée

Deux jours après son élection à la tête du SNP, Humza Yousaf était élu premier ministre. Le pauvre n’aura pas pu savourer son élection bien longtemps… Une semaine plus tard, Peter Murrell était arrêté, et son domicile commun avec Sturgeon fouillé par la police. Il a été libéré quelques heures plus tard sans charges, en attendant une enquête approfondie. Il n’en reste pas moins que les images de la police fouillant le domicile du couple sont dévastatrices. L’enquête porte sur l’emploi des 600.000 livres (680.000 euros) de dons récoltés pour organiser la campagne pour un second référendum d’indépendance et que la police suspecte d’avoir été utilisés pour le fonctionnement ordinaire du parti.

Si Yousaf comptait sur son discours d’investiture pour remobiliser ses troupes, c’est raté. Les troupes de Forbes ne désarment pas et laissent même entendre que l’arrestation de Murrell aurait été volontairement retardée afin de ne pas mettre en péril l’élection de Yousaf. Et surtout, le matin même de son discours d’investiture, c’est Colin Beattie, le trésorier du parti, qui était à son tour arrêté. Une arrestation « certainement pas opportune », pour reprendre l’euphémisme de Yousaf. Cette arrestation a complètement occulté son discours d’investiture, par ailleurs assez terne : il n’est pas facile de s’inscrire dans la continuité politique de Sturgeon sans être associé à ses dérives.

Contexte défavorable au SNP

Colin Beattie a lui aussi été libéré sans charges en attendant une enquête approfondie, mais l’état déplorable des finances du SNP, à cause notamment de la chute du nombre d’adhérents, est maintenant de notoriété publique. Ses dettes dépasseraient le million de livres (1.130.000 euros). À un an d’une échéance électorale majeure, les élections générales britanniques, c’est d’autant plus problématique que les adversaires du SNP, et notamment les Travaillistes écossais, se sentent pousser des ailes. Ils n’ont d’ailleurs pas besoin de beaucoup se fatiguer pour trouver des arguments contre le SNP puisqu’il leur suffit de reprendre ceux utilisés par Kate Forbes dans sa campagne pour briguer la direction du parti.

Un autre facteur qui pourrait jouer en faveur des Travaillistes est l’éloignement de la perspective d’un second référendum. En effet, la question indépendantiste devrait être moins déterminante à l’heure du vote, surtout dans un contexte où les députés écossais pourraient faire la différence à Westminster. Pour Ian Blackford, ancien chef parlementaire du SNP, le risque est réel : « Les Travaillistes sont une alternative aux Conservateurs pour le reste du Royaume-Uni et je comprends pourquoi des gens pourraient être tentés de voter pour eux dans un tel scénario ». Aux dernières élections de 2019, le SNP avait remporté 48 sièges sur 59, contre un seul pour les Travaillistes. Ces derniers espèrent en conquérir une dizaine l’année prochaine. Bien sûr, cela ne remettrait pas en cause l’hégémonie du SNP en Ecosse, mais compromettrait la perspective d’un joli pied de nez de l’Histoire : voir Humza Yousaf et le Premier ministre britannique Rishi Sunak, respectivement musulman fils d’émigré pakistanais et hindou d’origine indienne, négocier ensemble la partition du Royaume-Uni.

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