Gaz de Lacq, pollution de l’eau et protestations

Lacq
Une étude récente lève le voile sur la gestion politique des pollutions du complexe pétrochimique de Lacq (1957-1968) qui affectèrent le bassin de l’Adour. L’inertie et les moyens opposés aux contestataires demeurent hélas toujours d’actualité dans les combats de 2022.

Renaud Hourcade publie dans une revue universitaire un article explosif sur l’importante pollution générée par la SNPA (Société nationale des pétroles d’Aquitaine), durant son exploitation du gisement de gaz à Lacq, en Béarn. L’État central modernisateur soutient alors une expansion industrielle liée aux Trente Glorieuses, “le gaz propre de Lacq” , présentée comme le symbole de la réussite à la française, au nom du progrès et de la compétence scientifique de ses ingénieurs. Mais tout cela a un coût. La pollution de l’air dégrade les conditions de vie des habitants de la région. La nouvelle loi sur l’air approuvée en 1961 brillera par son inefficacité. La qualité générale de l’eau continuera de baisser, malgré la loi de 1964. C’est sur ce type de pollution que Renaud Hourcade centre son étude (1). Le site industriel de Lacq utilise largement l’eau du gave de Pau, en contact avec les gaz et les hydrocarbures traités par un système de décantation mécanique assez primitif. Des déchets de produits sulfurés et de soude sont injectés sous terre à haute pression dans la couche pétrolifère que vide la SNPA. La nappe phréatique est évidemment touchée. Du canal exutoire des eaux usées de l’usine qui rejoint le gave, émane “une odeur nauséabonde” , de “très fortes odeurs d’hydrocarbures” , une “couche de liquide léger à l’aspect huileux” .

La chair des poissons s’imprègne sur 30 km d’un goût d’hydrocarbure, l’ONF ne conteste pas les plaintes des pêcheurs : “Le poisson est immangeable” . Seul le maire du village d’Arance prend en vain des arrêtés contre l’épuration défaillante de l’entreprise. Celle-ci dit que ses ingénieurs étudient un système en circuit fermé, il ne verra jamais le jour.

Dès 1958, le société pétrolière tente d’amadouer les sociétés de pêche par le versement d’une indemnité annuelle de compensation. La bonne vieille méthode, la SNPA est très riche, elle arrose pour calmer les esprits. Comme en Afrique ?

L’intérêt national avant la santé des locaux

En principe, le ministre du gouvernement Debré, Jean-Marcel Jeanneney, devait amener les entreprises à réduire leur impact sur l’environnement, mais “en dehors de toute interdiction et sanction”. C’est se moquer du monde (primo).

L’intérêt national passe avant l’intérêt des populations locales. Le fameux “intérêt général” qui n’est que la traduction de la loi du plus fort. Les polynésiens, victimes de 210 essais nucléaires, connaissent cette musique par coeur. Et pourtant, en Béarn, le préfet réagit en 1960. Via un arrêté, il met en demeure le PDG de la SNPA de respecter l’interdiction d’émettre des substances toxiques dans un délai de trois mois. Le ministère de l’Industrie demande des explications, l’arrêté sera annulé… C’est se moquer du monde (secundo).

En 1962, un expert hydrologue, le Docteur Coin, constate que l’arrêté qui interdit à l’industriel de rejeter des effluents liquides n’est toujours pas respecté. Que faire ? Le secrétaire général de la préfecture répond : Paris doit trancher. La SNPA prend alors des mesures pour améliorer son système, mais il n’existe pas de méthodologie officielle pour effecteur les traitements nécessaires, afin de calculer la proportion maximale d’hydrocarbures dans les effluents de l’usine. Nos décideurs se moquent du monde (tertio).

Le complexe de Lacq grandit avec la construction d’une centrale thermique (EDF) et l’usine d’aluminium de Péchiney. Les problèmes de pollution s’accumulent. EDF a le droit de prélever un volume d’eau correspondant à la totalité du débit en période d’étiage et le rejette en aval à… 30° ! Aquitaine-Chimie peut rejeter dans le gave une large variété de résidus. On s’émeut du côté de la ville thermale de Salies-de-Béarn qui puise son eau potable dans la nappe alluviale du gave et parfois directement dans le cours d’eau. Il faut donc abandonner les captages actuels, propose le Docteur Coin. En somme, adapter les usages de la société environnante aux industries de Lacq. Les communes rechignent, elles n’ont pas à payer pour des dégâts qui ne sont pas de leur fait. La préfecture leur promet des subventions, la SNPA pourrait faire l’avance des dépenses… Pas de subvention du principal coupable, seulement l’hypothèse d’un prêt. Ils se moquent du monde (quarto).

Poissons entassés sur les rives

La nouvelle loi sur l’eau de 1964 propose un système de classement des cours d’eau plus ou moins contraignant pour les industriels et leurs obligations de protection. Un directeur du ministère de l’Industrie s’inquiète, il demande d’accorder aux entreprise un régime de dérogation. Les Eaux et forêts qui dépendent du ministère de l’Agriculture minimisent la dégradation du gave. Finalement le projet de classement des rivières sera abandonné. Le lobby des industriels et leurs actionnaires ont gagné. Ils se moquent du monde (quinto).

Les pollutions ne font que croître et embellir. L’usine de dé-sulfurisation, comme la plate-forme Aquitaine chimie, ne séparent toujours pas les eaux de pluie des eaux industrielles, malgré un arrêté de 1962 qui reste sans effet. Tout fout le camp dans le gave. Mais les contrôles du Conseil supérieur de la pêche ne constatent pas de pollution chronique, alors qu’un garde-pêche des Eaux et forêts décrit le 7 août 1961 dans un procès-verbal “plusieurs milliers de poissons échoués et entassés sur les rives”, précisant que les eaux sont “colorées et alcalines” . Les accidents se succèdent en 1962, 1964 et 1967. La pollution de 1964 dépeuple le gave sur une trentaine de kilomètres. Le conseiller général et maire communiste d’Abidos s’insurge et demande au préfet une “fermeté exemplaire” . Les syndicats agricoles s’émeuvent et les sociétés de pêche commencent à bouger, mais elles hésitent et se divisent entre un conflit dur, un mauvais arrangement et la résignation. Les indemnités compensatrices sont au centre du débat. L’Union des associations de pêche des Gaves de Pau et d’Ossau indique dans un rapport : “Un magnifique domaine piscicole est attaqué de toutes parts. Les cris d’alarme se multiplient tandis que laisser aller, incurie, inertie semblent régner. On ne se soucie pas des lois, des réglementations, des arrêtés. On conseille aux dirigeants d’associations la patience, la modération, la diplomatie. Qu’ont donné ces méthodes ? Nous avons accepté l’aspect déprimant de ce nouveau Texas en gestation, les terres défoncées, le détournement des eaux, les écoulements douteux, le comblement des noues. On nous a rassurés, on nous a garanti que tout rentrerait vite dans l’ordre. Nous voulons y croire et nous nous acharnons pour qu’il en soit ainsi. Mais nous ne nous laisserons pas séduire, ceux qui nous ont accusé d’accepter de l’argent en échange de liberté d’action seront confondus : nos cours d’eau ne sont pas à brader”.

Poursuivre l’État en justice

Depuis 1959, et surtout à partir de 1997, l’État a mis en place un système de transactions administratives qui aboutit à la dépénalisation des pollutions de l’eau. Aquitaine-Chimie accepte à reculons cette formule, exécute avec retard quelques travaux, mais tout cela n’a pas les résultats escomptés. Ils se moquent du monde (sexto).

En juin 1964, le Conseil général du département consacre une séance à ces problèmes de pollution et demande des comptes face à l’inertie d’un État conciliant qui n’applique pas sa propre loi dont il est en principe le garant, n’inculpe pas les fautifs et tergiverse autour de transactions administratives inefficaces. La station thermale de Salies est victime des pollutions, la pêche aux saumons, les enfants qui se baignent, les troupeaux qui s’abreuvent, les agriculteurs qui irriguent, les maraîchers qui arrosent, tous sont impactés par la mauvaise qualité des eaux. Le président du Conseil général Pierre de Chevigné envisage de poursuivre en justice Aquitaine-Chimie et l’État défaillant. Las, il ne dispose pas de cette compétence que seul le préfet détient. Ce dernier ne va tout de même pas se faire un procès à lui-même, il n’est pas maso. Le Conseil général en est donc réduit à manifester publiquement son agacement. Le directeur général d’Aquitaine-chimie se défend et dans une lettre adressée en novembre 1967 à Pierre de Chevigné, affiche en les chiffrant les travaux réalisés, ainsi que les montant des sommes versées par les entreprises aux communes, via la fiscalité des patentes ou “bénévolement” pour assurer l’équilibre des budgets locaux. Ils se moquent du monde (septimo).

L’étude de Renaud Hourcade s’arrête là et le lecteur aimerait bien connaître la suite. L’écologie était un nom inconnu à l’époque, mais la pollution existait déjà. L’attitude des sociétés pollueuses, comme celle de l’État qui fait prévaloir les intérêts des industriels sur ceux des populations, n’ont pas changé. Ils jouent la carte de l’enlisement, des pesanteurs et de l’inertie, une tactique d’autant plus logique que l’État est à la fois juge et partie. Il détient la moitié du capital de la SNPA, entreprise majeure du complexe industriel de Lacq. Le pouvoir parisien ne va pas se tirer une balle dans le pied, en tenant compte de la santé de quelques culs-terreux d’une lointaine province. Soucieux de préserver intacte l’illusion d’un État de droit impartial, il ne s’oppose pas officiellement aux demandes des associations ou des petits élus, il avance masqué. Des lobbys s’activent, ils visent à susciter la résignation et le fatalisme en jouant sur les atermoiements et les dérogations. Écrans de fumée et promesses sans lendemain fleurissent à tous les étages. Les Trente Glorieuses, mythifiées aujourd’hui, apparaissent sous un jour moins brillant. En échange d’une hausse du niveau de vie et des délices de la consommation, le prix à payer par les populations fut lourd, on l’oublie en 2022.

De nos jours, sur les moyens utilisés par les puissants, rien de très nouveau sous le soleil. En ce sens, l’histoire mise en lumière par Renaud Hourcade est éclairante pour les bagarres de demain. Ceux qui croisent le fer contre la construction de la LGV, l’abandon des néonicotinoïdes et du glyphosate, pour l’arrêt du réchauffement climatique, l’agriculture paysanne ou les droits de l’euskara, le savent fort bien.

+ Renaud Hourcade, L’État face aux débordements industriels ; la gestion politique des pollutions de l’eau du complexe pétrochimique de Lacq (1957-1968), Histoire @ politique, revue du Centre d’histoire de Sciences Po, n° 43, janvier-avril 2021.

(1) Il signale l’impact sanitaire du site de Lacq sur les populations à partir d’une étude de l’Isped, Institut de Santé Publique, épidémiologie et développement, portant sur la période 1968-1998. Elle montre que les moins de 65 ans vivant à proximité immédiate du site industriel présentaient une surmortalité de 14 % par rapport aux populations témoins, et en particulier un excès de mortalité par cancer de 39 %. Une étude du cabinet Burgeap, auditionné par le Haut conseil de la santé publique, recense 140 polluants atmosphériques émis par les industries du bassin de Lacq, dont cinq à des taux jugés préoccupants: le SO2 (dont les émissions étaient encore vers 2008 de dix à quinze tonnes par jour, contre près de 700 dans les années 1970), le benzène, l’oxyde d’éthylène, le dichloro-métane et l’éthanal.

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