Jean Haritschelhar conservateur du Musée Basque

EuskalErakustokia

Comment évoquer mieux la trace laissée par Jean Haritschelhar à la tête du musée basque qu’en sollicitant le témoignage de celui qu’il avait recruté pour le seconder. Manex Pagola, lui même acteur du renouveau de la culture basque, restitue cette période.

Succédant à Jean Ithurriague, Jean Haritschelhar, professeur au lycée d’Agen, fraîchement nommé professeur de faculté à Bordeaux, avait 39 ans lorsque, sur proposition du Dr Henri Grenet, député maire de Bayonne, il prit en 1962 les rênes de l’établissement municipal connu sous le nom de « Musée Basque et de la tradition bayonnaise« . Il en sera le directeur pendant 26 ans, de 1962 à 1988.

Le Musée basque avait été créé par arrêté municipal en 1922 et ouvert au public en 1924 sous l’impulsion du Commandant William Boissel, premier conservateur de grand talent, amoureux et acteur culturel sincère du fait basque sur la place bayonnaise.

Jean Haritschelhar, brillant intellectuel, natif de Baigorri, parfaitement  bascophone et déjà fort d’une solide formation supérieure en lettres et d’un réseau de connaissances amies, succéda à Jean Ithurriague, un autre grand lettré bascophile disparu trop tôt et s’attela avec grande méthode à sa nouvelle tâche. Connu et entouré déjà au pays même, il est vrai, d’une pléiade de bascophiles et bascologues dont il était proche, notamment Louis Dassance, Uztariztar président d’Euskaltzaleen Biltzarra, Dr Michel Labèguerie député et érudit  kanboar, Eugène Goyenetche Uztariztar historien de premier plan, l’abbé Pierre Lafitte, Luhusoar, écrivain, euskaldun de renom, directeur de l’hebdomadaire Herria, le chanoine Pierre Narbaitz autre grand érudit Azkaratar, Etienne Sallaberry chanoine écrivain philosophe Heletar et de bien d’autres.

Le Musée Basque des années 60, rattaché aux Musées de France et régi par les autorités de la ville comme musée de 2e catégorie,  croulait, paraît-il, sous une foule d’objets ethnographiques et de documents de toutes sortes, empilés pèle mêle, dans certaine arrière salle assez sombre de l’établissement dans l’attente d’enregistrement. Il se dégageait toutefois une note particulièrement remarquable de la plupart  de la trentaine de salles de visite déjà hautement réussies par Boissel,  surtout celles concernant la cuisine / sukaldea,  la chambre à coucher / ganbara, l’auberge /ostatua, le vestibule/ ezkaratza, le cimetière/ hil harriak, la salle de la sorcellerie / sorginak et d’autres évocations encore qui faisaient l’admiration du nouveau conservateur comme de son prédécesseur. Ce à quoi il fallait ajouter le Musée de la pelote déjà créé et installé auparavant  par les ATP  (Arts et Traditions populaires, Paris) à partir de la remarquable collection  de pelotes, gants et chistéras de Firmin Aramendy de St Jean de Luz.

Un enthousiasme débordant

Le bureau principal en rez de chaussée,  celui du Conservateur sortant, était déjà tapissé sur deux pans de mur de plusieurs milliers de titres d’ouvrages  divers et d’archives tels ceux du chanoine Daranatz. Une autre pièce attenante commençait également à s’emplir d’une précieuse documentation en relation avec divers aspects de la vie régionale -histoire, géographie, religion, musique, sports, coutumes locales ou  générales- en rapport avec les Landes et le Béarn mais aussi le Guipuzcoa la  Biscaye, la Navarre… Les bases d’une riche documentation étaient donc déjà en place. Jean Haritschelhar ne changea pratiquement rien à la disposition des lieux, à vrai dire bien exigus, pour s’y retrouver entre tous les types d’objets entreposés, tableaux, photos, ustensiles et objets divers, ouvrages et autres documents précieux remontant parfois jusqu’au 16e siècle.

On peut deviner que même dans son enthousiasme débordant et sa robustesse physique il devait être néanmoins bien seul à faire face à la mission de gérer avec un personnel vraiment réduit tant d’éléments disparates mais précieux, comme de veiller à la réception des visiteurs, à l’entretien des locaux, à la présentation des collections exposées au public, ou encore d’assurer des entretiens avec des chercheurs et hôtes particuliers (artistes, auteurs, enseignants, journalistes etc…) de plus en plus nombreux. Tout en réceptionnant fréquemment de nouveaux objets et cartons d’archives des plus intéressantes (Garro, Dop, Larraldia, Etchauz…) ou des centaines d’ouvrages de valeur remis pour la plupart en dons à la bibliothèque du Musée.

Songeons que pour tenir les cahiers d’inventaires et procéder en bon ordre à l’accueil de visiteurs de plus en plus nombreux, il était assisté d’une seule secrétaire Mme Moisson et d’une hôtesse d’accueil pour la délivrance des tickets d’entrée, Mme Capdevielle, toutes deux à temps partiel. Un concierge (M. Goyhenetche  de St Martin d’Arberoue) et deux gardiens, l’épouse de M. Goyhenetche et Jean Gogny de Basusarri  qui veillaient à la propreté des salles ouvertes au public. Le jeune conservateur avait donc où donner de la tête!

Vite après sa nomination, Jean Haritschelhar procéda à la réorganisation  de la vaste salle du Mobilier et du Costume au 1er étage  et créa de toutes pièces celle de la Pêche et de la Navigation au dernier étage, célébrant ainsi comme il se devait le Pays Basque terre et mer ensemble. De même, chacune des salles d’expositions permanentes fut revue et corrigée « parce que les conceptions muséographiques de 1973  ne sont pas les mêmes que celles de 1923″, comme il l’écrivait dans l’opuscule « Cinquante ans du Musée Basque« .

Un conservateur comme Jean Haritschelhar,
débordant d’énergie et bardé de titres universitaires,
faisait bien l’affaire pour faire face à cette grande mutation
qui fit du Musée Basque non seulement
un centre d’attrait touristique important
en plein cœur de Bayonne,
mais aussi un haut lieu scientifique
de plus en plus prisé
des chercheurs de la région
et même souvent au-delà.

La grande mutation

On le voit, le mouvement de rénovation d’un établissement promis à être un vrai creuset de la culture basque, surtout dans les années postérieures, était ainsi largement entamé avec le nouveau conservateur baigorriar. Cela était d’autant plus remarquable que le Pays Basque végétait encore assez lamentablement, que les crédits publics pour la culture basque étaient quasi inexistants, qu’en Iparralde il n’y avait à l’époque ni centre culturel basque, ni lieu de débats culturels, ni enseignement sérieux d’euskara, ni grand engouement pour la chose basque, tout au plus, un intérêt croissant pour le tourisme naissant de la part du commerce local, mais tout de même aussi ces vertes exhortations des « jeunes Turcs »  abertzale à la mine du 14, rue des Cordeliers toute proche avec déjà le trio des Haran, Abeberry, Burucoa!

Ce qui amenait aussi sans doute la Ville de Bayonne à reconsidérer enfin, une bonne fois pour toutes, l’attention portée au Musée Basque et à ses potentialités au moins économiques ou accessoirement culturelles. Un conservateur comme Jean Haritschelhar, débordant d’énergie et bardé de titres universitaires, faisait bien l’affaire  pour faire face à cette grande mutation qui fit du Musée Basque non seulement un centre d’attrait touristique important en plein cœur de Bayonne, mais aussi un haut lieu scientifique de plus en plus prisé de nombreux chercheurs de la région et même souvent au-delà.

Quand on pense à la masse d’intellectuels, écrivains, artistes, enseignants, étudiants en sciences humaines, gens des médias etc… qui a gravité autour du Musée Basque et de son conservateur, il est clair que Jean Haritschelhar avait bien compris les enjeux du moment et opté résolument, méthodiquement,  pour accroître considérablement le rayonnement du Musée. Avec les maigres moyens financiers de l’époque, il parvint à améliorer grandement le contenu, l’aspect, l’impact du musée et sa fonction pédagogique. Ainsi les titres de la bibliothèque passaient rapidement d’environ 4.000 à plus de 15.000 documents, grâce aux legs, tels ceux de Manu de La Sota  et Me François Faure, qu’il avait su attirer. Sans compter l’acquisition, par dons ou achats, de divers autres éléments (des dizaines de milliers de photos, des centaines d’enregistrements de fêtes, chants, musiques, l’ensemble audio réalisé par Ximun Haran dit “club du disque basque”, entretiens, bertsularis, des films documentaires de la collection Ikuska d’Antxon Eceiza de Donostia), tous éléments qui demandaient encore étude, documentation et classement minutieux. S’appuyant sur cette masse de documentation ainsi collectée, naissait, l’année de son départ et celle de l’arrivée d’Olivier Ribeton, le service pédagogique Argitu piloté par Mano Curutcharry. Signe du renouveau du Musée, les entrées dépassaient  51.000 lorsque Jean Haritschelhar quitta le musée en 1988.

Les expositions temporaires

Mais il est aussi un autre secteur important, parmi les nombreuses réalisations muséales du conservateur Jean Haritschelhar, qu’il convient de rappeler, car il permet de voir le souci de parler aux autres et avec les autres et d’éduquer les visiteurs ou les chercheurs. C’est celui des nombreuses expositions temporaires dont les catalogues nous révèlent la qualité et le sérieux avec  lequel elles ont été organisées. Ce qui témoigne d’un long travail d’enquête auprès d’acteurs oubliés ou de témoins demeurés trop discrets et qu’il fallait parfois aller retrouver chez eux.

Pour ne citer que quelques-unes de ces expositions importantes, qui traduisent le souci de mettre le Musée basque en correspondance avec l’environnement humain pour mieux le comprendre, objectif essentiel pour un musée ethnographique qui se veut reflet du monde réel où il s’insère, rappelons:

– Bayonne historique et pittoresque en 1962 qui marquait surtout l’expansion de la Ville  sortie de ses murailles anciennes. Exposition s’appuyant sur les œuvres du peintre Ferdinand Corrèges.

– Cambo et ses alentours, en 1965, puis le Rugby à Bayonne, en 1966, retraçant comment ce jeu était entré au lycée de Bayonne en fin XIXe siècle pour conquérir rapidement nombre de sportifs et spectateurs de la région.

– Carlos Soublette, un descendant du Labourd, Libertador du Vénézuela, en 1971

– Littérature et musique basques, en 1980. Impossible d’évoquer l’une en faisant abstraction  de l’autre.

– Ihautiri ou Carnaval en Pays Basque, en 1981

– Hil Harriak, rites et monuments funéraires du Pays Basque, en 1982 avec 153 documents, objets, croquis, photos et documents écrits.

– Pays Basque, un siècle d’affiches, en 1985. Vrai panorama sur l’image que cet  « art de la rue »  a pu donner du Pays Basque et des Basques depuis 1882.

– Euskal mitologia, la mythologie basque, en 1986

– Centenaire de la presse basque, euskal kazetaritzaren mendeurrena, en 1987, au travers de 111 titres de journaux, périodiques et revues. Comment est née la presse d’expression bascophone, comment elle s’est développée, quels ont été ses thèmes favoris.

On perçoit là la tendance imprimée au Musée Basque par Jean Haritschelhar, ce parti pris délibéré de déborder l’enseignement  des salles d’exposition permanente du musée pour rejoindre les grands thèmes de la vie: thèmes philosophiques (la mort), la communication (la presse), etc. Comme si l’on se sentait à l’étroit dans ce musée et qu’on voulait mieux cerner les contours du monde extérieur contemporain.

Avec tout cela, le coup de génie, pourrait-on dire, de Jean Haritschelhar fut aussi et surtout d’avoir par l’entremise de la Société des Amis du Musée Basque remis en selle, dès 1964, le Bulletin du Musée Basque dont il assurait seul la responsabilité (appels d’articles, équilibre des thèmes traités, correction de textes, suivi d’impression). Qui dira combien de travaux et de recherches scientifiques de haut vol ce bulletin trimestriel a suscités parmi les universitaires et hommes et femmes de science ou d’érudits au Pays Basque et ailleurs? Ce bulletin, éteint en 1943, en pleine guerre, pour cause de pénurie de papier, repartait ainsi de plus belle et gagnait même les centres scientifiques de l’ensemble géographique basque jusqu’à Donostia, Bilbao, Tolosa, Irunea, Gasteiz comme les lointains centres américains ou même japonais. Sans compter qu’il devenait une magnifique monnaie d’échange avec surtout des revues similaires de France, d’Espagne et au-delà.

Reconnaissant le travail accompli, surtout dans la décennie 1970-80, la Ville de Bayonne se décida à doter peu à peu le Musée Basque d’un personnel plus conséquent, tant administratif que technique, faisant même l’effort d’y nommer enfin des compétences bascophones, élément sur lequel avait insisté, plus d’une fois et depuis longtemps, Jean Haritschelhar qui prônait au travers de ses autres nombreuses responsabilités (Ikas, Euskaltzaindia etc…) l’importance de l’euskara pour comprendre et servir de l’intérieur la culture intellectuelle et matérielle du peuple basque de Bayonne à Bilbao.

Le Musée Basque de Bayonne a connu de 1962 à 1988 un acteur vraiment exceptionnel et un organisateur méthodique, et les divers actes qu’il a posés, à commencer par ceux du Musée Basque, témoigneront très longtemps de sa brillante intelligence, de sa perspicacité, de sa ténacité physique, intellectuelle et morale sans faille, pour la promotion globale du fait basque bien enraciné mais ouvert à tous les cieux du monde.

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