Le parlement autonome face à la désofficialisation de l’euskara

Deux cents élus et maires d’EH Bildu et du PNV protestent contre l’annulation par les juges de sessions de recrutement qui prennent en compte l’euskara.

Les députés basques cherchent une solution pour contrer la désofficialisation judiciaire espagnole qui porte atteinte aux droits légitimes d’une langue encore largement minoritaire sur son territoire.

C’est de l’acharnement. Sollicités par des partis de droite, d’extrême droite et des syndicats espagnolistes, les juges de la Communauté autonome basque ont, une centaine de fois ces dernières années avec une accélération du phénomène ces neuf derniers mois, fait sauter l’obligation de savoir parler un minimum en basque pour les candidats à un poste dans la fonction publique des trois provinces. Ces décisions, évoquées dans nos colonnes à plusieurs reprises, ont été confortées par la Cour suprême espagnole le 1er juillet de cette année. Certes, elle reconnaît que « toute langue cooficielle relève d’un usage normal et général au sein d’une instance publique (…), la moindre allusion à l’euskara ne génère pas en soi un déséquilibre entre les langues coofficielles ». Mais au-delà de ce principe, il y a un gros bémol : elle vide de son contenu l’article 12 d’un décret d’application du gouvernement basque paru en 2019 qui permettait aux institutions et aux collectivités locales du Pays Basque de définir leur langue de travail et le choix de la langue dans la rédaction des documents administratifs internes (ordres du jour, propositions d’accords, motions, convocations, contrats public, etc.). La Haute cour précise même qu’un fonctionnaire local ne pourra pas s’adresser à un administré en euskara, avant que ce dernier n’ait exprimé un choix linguistique. Idem en ce qui concerne les messages téléphoniques vocaux ou ceux diffusés par hauts parleurs dans l’espace public.

Au nom du bilinguisme, magistrats locaux et Hautes cours confortent la langue hégémonique et judiciarisent la vie politique, sociale et culturelle du pays.

Ainsi, au nom du bilinguisme, magistrats locaux et juges de la Cour suprême et même du Tribunal constitutionnel lui aussi sollicité, confortent la langue hégémonique et judiciarisent la vie politique, sociale et culturelle. Avec à la clef une offensive médiatique.

Ici à Orio, une des nombreuses manifestions contre la décision de la Cour suprême.

Nous assistons ainsi à un détricotage des efforts de normalisation linguistique entrepris par les institutions du Pays Basque depuis la loi de 1982. Certes, l’euskara est une langue officielle, mais on érige des obstacles, on exige d’elle des choses que l’on ne demande pas à la langue espagnole. La coofficialité est remise en question, comme sont en cours de démantèlement les mesures de politique linguistique nécessaires pour surmonter la minorisation historique de l’une d’elles. Sous prétexte de respect de la Constitution espagnole, le « pacte socio-historique » sur l’usage de l’euskara négocié il y a 45 ans, est rompu. Tout cela, alors que la langue est encore et toujours dans une situation d’urgence linguistique qui s’aggrave d’année en année. Ce que le PP et Vox n’ont pu obtenir par les urnes, ils y parviennent par les tribunaux, avec le consentement passif des socialistes.

Transcender les clivages politiques ?
Face à cette situation, il s’agit d’abord pour le parlement régional d’adopter un nouveau texte qui réforme la loi sur les emplois publics dans la Communauté autonome, qui garantisse une sécurité juridique des modalités de recrutement des fonctionnaires et corrige le « talon d’Achille » actuel qui permet le succès des recours auprès des tribunaux. Comment ? C’est là que le bât blesse, avec des divergences entre le PNV d’un côté (27 députés), et de l’autre EHBildu (27 élus) soutenu par les syndicats ELA et LAB. Les 12 députés PSOE s’opposent à tout changement réel en préférant le statu quo. Les autres formations, PP (7), Vox (1) et Sumar (1) demeurent à la marge, du fait de leur faible poids.
Le PNV veut « augmenter l’autonomie de chaque institution » en « renforçant la capacité de chacune des administrations », mairie, députation, département ministériel, etc., « pour adapter la planification linguistique à la réalité fonctionnelle et socio-linguistique ». Au lieu d’établir un pourcentage général de postes avec un profil et un niveau linguistique déterminé, comme c’est le cas actuellement pour les emplois publics, chaque administration déterminera son quota de postes bascophones et les niveaux de connaissance exigés, en fonction de sa réalité sociale, « avec un maximum de rigueur » et de « proportionnalité » à respecter. Pour cela, un seul article de la loi sur les emplois publics est à réformer. Une correction « chirurgicale », disent ses promoteurs, qui clament leur refus « d’instrumentaliser » l’euskara dont la défense doit transcender les clivages politiques. Beau rêve et méthode Coué.

Obligation et indice de retard pour les fonctionnaires
EHBildu fait une proposition différente. Il propose de rendre obligatoire la connaissance des deux langues, euskara et espagnol, pour accéder à tous les emplois publics. Et à partir de ce principe, de permettre des exceptions « justifiées » et « objectives », en fonction de la situation socio-linguistique locale dûment mesurée, comme autant de facteurs de correction. Les souverainistes acceptent que la nouvelle loi soit graduellement mise en œuvre. Ils rappellent que la formule proposée se pratique déjà en Galice dirigée par le PP, et dans une certaine mesure en Catalogne, aux Baléares et dans la Communauté autonome de Valence. Ils proposent en outre la mise en place d’un « indice de retard » pour les fonctionnaires insuffisamment bascophones, avec une prise en charge personnalisée de leur formation dans le cadre de leurs horaires de travail.
Quant au PSOE, il a fait au PNV une contre-proposition permettant au gouvernement basque d’instaurer un barème minimum, soit un pourcentage minimum de places, calculé avec l’aide de l’intelligence artificielle, au lieu d’utiliser la méthode « archaïque » des enquêtes sociolinguistiques. On n’en sait pas plus. Les socialistes accusent le PNV, avec lequel ils dirigent la Communauté autonome, de rompre gravement l’accord politique liant les deux partenaires. Un tel projet de loi ne figurait pas dans leur projet de gouvernement signé en 2024. Le leader socialiste local Eneko Andueza accuse les abertzale d’ignorer la pluralité linguistique du pays et de vouloir imposer l’euskara à tous ses habitants, de créer une caste de privilégiés, les bascophones.

Le PNV à la recherche d’un « consensus sur la normalisation de l’euskara », ménage les socialistes dont il a impérativement besoin pour gouverner à Gasteiz et pour négocier les éternels transferts de compétences qui attendent toujours depuis 45 ans ainsi que l’adoption d’un nouveau statut d’autonomie. Mais la situation de Pedro Sanchez ne tient qu’à un fil, le risque d’un retour de la droite au pouvoir est plus que jamais d’actualité, avec pour conséquences des changements importants dans les logiques d’alliance.

Obsession identitaire et séparatisme
Avant que le débat sur le fond n’ait lieu d’ici quelques mois, une première séance du parlement autonome a abordé le 2 octobre le thème des moyens à mettre en œuvre pour que les fonctionnaires du Pays Basque aient une compétence linguistique suffisante. Il s’agissait pour les députés d’accepter ou non que les deux propositions soient enregistrées et prochainement débattues. Les deux textes ont été admis, mais de façon différente. EHBildu a voté en faveur du texte du PNV, alors que ce dernier s’est abstenu sur la proposition d’EHBildu. Les souverainistes proposent d’élaborer prochainement avec leur partenaire une proposition consensuelle rassemblant une forte majorité. Finalement, Sumar (ex-Podemos) s’est abstenu et les socialistes ont voté contre les propositions du PNV et d’EHBildu, aux côtés de Vox et du PP pour qui toute cette « obsession identitaire » et ce « séparatisme » sont inacceptables : ils aboutissent à une discrimination. Les abertzale leur répondent que lorsqu’on lutte pour une égalité réelle en faveur des femmes ou des noirs, cela ne signifie pas que les hommes ou les blancs sont victimes de discriminations. Pour embaucher une infirmière, un ingénieur, un plombier ou un enseignant, un certain niveau de compétence en matière médicale, technique ou linguistique est exigé. Pourquoi en serait-il autrement concernant la compétence en euskara ?

Dépourvu d’espaces propres où il peut s’exprimer, l’euskara devient une langue inutile, la coofficialité n’existe plus que sur le papier.

D’autres travaux importants dont nous parlerons ultérieurement montrent la minorisation progressive de la langue basque, y compris dans les zones où elle semblait la plus vivante. Ce qui fait dire à l’académie la langue basque Euskaltzaindia que « dépourvu d’espaces propres où il peut s’exprimer, l’euskara devient une langue inutile, la coofficialité n’existe plus que sur le papier ». A l’inverse de la Belgique et de la Suisse où le plurilinguisme officiel fonctionne correctement.

Il n’y a pas si longtemps de bonnes âmes répétaient à tous vents que la lutte armée ou plutôt le « terrorisme » bloquait dans l’opinion publique et les pratiques sociales, le développement de l’euskara, souvent associé à la violence. La bonne blague. Aujourd’hui qu’ETA a disparu du paysage, force est de constater que les choses n’évoluent pas dans le bon sens.

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