L’interminable tranchée

GCInitié par le gouvernement socialiste de Zapatero en 2008, l’inhumation de la dépouille de Franco a fait ressurgir les mauvais tics assoupis de l’Espagne “Una, grande, libre”. On peut souligner un lien opportun de cet événement avec l’expression cinématographique, au festival de Donostia, sur les stigmates du drame franquiste.

La trinchera infinita (“L’interminable tranchée”) a donc obtenu la Concha de Plata (Concha d’argent) lors du dernier Zinemaldia de Donostia (20-28 septembre 2019). Le film évoque l’histoire de ces Espagnols, ces “taupes” (“hombres topos”), qui vécurent dans des galeries souterraines, de simples “zulos” ou d’habitacles invisibles afin d’échapper aux représailles franquistes(1). L’un des plus connus d’entre eux est sans doute Manuel Cortés, maire républicain de Mijas, petite ville d’Andalousie (proche de Torremolinos) qui retrouva la lumière du soleil au printemps 1969. Soit 33 ans après avoir plongé dans l’osbcurité et quelques jours après avoir entendu à la radio (sa compagne de chaque instant) Manuel Fraga Iribarne, ministre du tourisme et de l’information du général Franco, annoncer l’amnistie pour les délits antérieurs au 1er avril 1939. 33 ans vécus hors du monde, en ermite, grâce aux soins prodigués par sa femme, prisonnier d’une minuscule pièce secrète, sans jour, aménagée dans sa maison de Mijas ! Son interminable captivité achevée, l’homme en ressortit à la stupéfaction générale, sous les yeux de la population qui lui fit bon accueil. Médiatisée, son histoire incita d’autres “topos” (notamment plusieurs anciens maires socialistes issus de la IIe République balayée par le régime franquiste) à abandonner leur néant…Trois décennies plus tard, l’équipe des trois cinéastes basques, déjà auteurs de deux excellents films à succès, (Loreak et Handia) s’en est, entre autres, inspiré. Ils ont enthousiasmé leur monde, aussi bien le public que la critique de Zinemaldia.

Le dernier voyage qui brûle les doigts

Tout cela, au moment où le projet d’exhumation du Caudillo devenait imminent, après avoir pris corps au sein du gouvernement en fonction de Pedro Sanchez, pressé d’en finir avec ce dernier voyage d’une symbolique qui brûle les doigts. L’opération devait être bouclée pour le 25 octobre au plus tard. Le 21 octobre, l’on on apprenait qu’elle était fixée au jeudi 24 octobre… veille du 40e anniversaire de l’adoption par référendum, des statuts d’autonomie basque (toujours inachevé) et catalan, deux des pierres angulaires de la Transition. Dès son arrivée à la Moncloa en juin 2018, le chef du gouvernement avait en effet exprimé sa volonté d’exhumer la dépouille du général Franco. Mais il avait sous-estimé l’opposition farouche de sa famille et celle d’une bonne partie de la droite espagnole. Plus d’un an de bataille judiciaire allait suivre. Le dernier mot est enfin revenu au Tribunal suprême. Celui-ci a finalement rejeté les recours présentés contre la décision du gouvernement Sanchez, par la Fondation Francisco Franco, la communauté bénédictine attachée au Valle de los Caidos (2) et l’Association pour la défense du site, lequel abrite aussi la tombe du créateur de la phalange, Primo de Rivera. Bien que lui aussi tenu à se plier à l’ukase du Tribunal suprême, le prieur de l’abbaye del Valle de los Caidos était vigoureusement opposé au transfert.

La loi de Mémoire historique

Taillé dans le roc de la sierra de Guadarrama proche de Madrid, (quelque 20.000 prisonniers participèrent à la construction du mausolée dans des conditions durissimes, de 1940 à 1959), l’ensemble conçu par les architectes Pedro Muguruza et Diego Mendez, abrite des milliers de dépouilles de victimes de la guerre civile. Les chiffres avancés vont de 33.000 à 50.000. Le lieu, on l’a vu, demeuré l’image même de la Croisade lancée lors du coup de force de 1936, celle du franquisme impitoyable et triomphant, n’a rien perdu de son caractère explosif. Le transfert vers le cimetière del Pardo-Mingorrubio de Madrid a été minutieusement préparé. Un monument funéraire construit en 1958, à la demande pressante d’un probable dignitaire franquiste (à l’identité inconnue), dont la propriété vient officiellement d’être attribuée à l’Etat espagnol, attendait le dictateur. Carmen Polo, l’épouse du général Franco, y a été inhumée en 1988. C’est dans le cadre de la loi sur la Mémoire historique (votée sous le gouvernement Zapatero en 2008) que le Valle de los Caidos pourrait devenir (à l’instar du palacio d’Aiete, ex-résidence d’été de la famille Franco à Saint-Sébastien, transformée en maison de la Paix) un lieu définitivement dévolu à la mémoire de tous. En d’autres termes, à celle de toutes les victimes de la guerre, dans des formes qui restent à imaginer. L’objectif affiché est simple et compliqué : concevoir un site non plus lieu de pèlerinage pour ultras nostalgiques, mais lieu du souvenir et de rencontre avec fonction éducative.

Les fractures craquent encore

L’Espagne des années 2010, on le mesure à l’aune des évènements venus émailler le mois d’octobre, alors que d’autres sans doute émailleront novembre (élections générales du 10N), n’en n’a pas fini avec ses démons. Les fractures rouvertes au siècle dernier, craquent toujours. Le jugement du “procés” catalan condamnant des aspirations politiques assimilées à de la sédition, le prouve. Les véritables questions de fond posées par la crise indépendantiste catalane nous ramènent aux racines de la guerre de 36, alors que le Caudillo nourrit toujours de féroces passions. Mais dans ce maelstrom, la magie du cinéma et de la fiction a opéré ! La trinchera infinita a, par bonheur, trouvé un autre langage pour évoquer les tourments et les peurs de centaines de victimes méconnues de la guerre, plongées de leur propre gré dans l’obscurité de l’Espagne noire des années 30 à 70.

(1) La trinchera infinita, co-réalisation basco-andalouse de Jon Garaño, José Mari Goenaga et Aitor Arregi, tournée en extérieur à Huelva et à Oiartzun dans les studios de Zinealdia.

(2) La communauté bénédictine del Valle de los Caidos est membre de la congrégation bénédictine de Solesmes depuis 1958, date de sa fondation par des moines de l’abbaye de Silos.

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