Qui lave vos chaussettes ?

Chaussette

Tous les féministes connaissent ce jubilatoire détournement de slogan révolutionnaire, approximativement daté du début des années 1970. Pour celles et ceux qui seraient perdus à cette évocation, il s’agissait alors de compléter le fameux “Prolétaires de tous les pays” par un salutaire rappel à la masse invisible et silencieuse des femmes au foyer sans qui les chaussettes des révolutionnaires se trouveraient bien sales sur les piquets de grève ou les barricades.

Militants modèles

Loin de moi l’idée de me lancer dans une exégèse de cette jolie sentence, son pouvoir évocateur est de toute manière bien plus puissant que toutes les analyses que l’on pourrait en faire. Seulement il arrive par moments que, au hasard de quelque bifurcation dans une vie militante, l’envie ou le besoin survienne de s’arrêter à des fondamentaux de ce type, tellement fondamentaux qu’on n’y pense pas souvent, parfois même jamais, au risque d’injustices bien réelles.

Que les personnes me lisant en ce moment me pardonnent alors de me livrer ici à ce petit plaidoyer pro domo ; un exercice un peu égotique, mais il est vrai que quand on a “open bar” dans les colonnes d’Enbata on peut avoir tendance à abuser des cocktails.

Le monde abertzale est plein de militants et de militantes, qui agissent chacun à son niveau, dans des lieux et des organisations différentes, dans un même effort collectif.

Collage d’affiches, tractage, participation à un nombre plus ou moins grand de réunions, candidature aux élections, poste d’élu du simple conseiller municipal à l’adjoint, au maire ou au conseiller départemental…

L’on pourrait bien sûr considérer que le plus simple dans cette affaire soit d’être payé pour son action militante en tant que permanent ou de disposer d’indemnités d’élu – encore que dans les petites communes notamment ces indemnités ne suffisent pas pour vivre.

Mais la plupart du temps les militants et militantes agissent en dehors de leur activité professionnelle et cet investissement est d’autant plus méritoire qu’il peut être terriblement chronophage.

Difficile de connaître assez intimement les gens pour savoir ce que leur niveau parfois très élevé d’investissement représente au regard de leur vie privée, ce qu’il ponctionne sur leur temps libre, éventuellement leur vie familiale, mais le fait est qu’il n’est guère difficile de citer des noms au sujet desquels on pense souvent “zer militante sutsua!” Pour le grand public, leur perception est souvent biaisée par la fréquence avec laquelle certains d’entre eux apparaissent dans la presse. Cette exposition médiatique n’est pas forcément proportionnelle à l’engagement réel, seul le premier cercle de la militance abertzale étant vraiment en mesure d’en juger ; mais peu importe, ce n’est pas le sujet que je souhaite soulever. Il s’agit juste pour moi d’observer que dans un monde de communication omniprésente, les effets de l’exposition médiatique peuvent être intenses pour certains militants.

Enivrant notabilisme

Il se trouve que de par le fait que j’ai été candidat à des élections, élu dans ma ville ou porte-parole de mouvements politiques, j’ai accédé à cette espèce de statut un peu spécial qu’est celui de “personnage public”. Loin de Brad Pitt, certes, mais un peu exposé quand même, au plan local. Je suis donc en mesure de témoigner des paradoxes de ce statut et de ce qu’il laisse si souvent dans l’ombre.

Faire le malin devant les caméras et les micros, au-delà de la fonction –bien réelle et parfaitement digne– de vecteur d’un message politique, c’est personnellement flatteur. C’est gratifiant, même un grand honneur, que d’être choisi pour porter un discours au nom du collectif ; c’est flatteur de se voir féliciter pour telle action ou tel discours ; ça alimente son petit ego quand les gens laissent entendre qu’on n’est pas tout à fait n’importe qui. Les saveurs enivrantes et addictives du petit notabilisme, j’en ai plein les papilles !

On a vite fait, dans ces cas-là, d’oublier qui a sué sang et eau pour qu’un micro ou une caméra considèrent un mouvement politique comme assez important pour s’intéresser à celui qui en porte le message ; d’oublier qui a passé des heures parfaitement anonymes à tracter pour accéder au résultat électoral qui met le candidat en lumière ; de trinquer en l’honneur de toute cette “base militante” à l’occasion de ces petits entre-soi que sont les pots d’après cérémonies officielles. Ne l’oublions pas, et pardonnez le goût douteux de la boutade : ce n’est pas la face émergée et apparente de l’iceberg qui a fait couler l’orgueilleux Titanic, c’est sa “base militante”, celle qu’on ne voyait pas…

Milesker

Et puis, je souhaite ne pas achever sans évoquer l’ombre dans l’ombre, celles et ceux qui ne sont parfois même pas considérés comme militants du seul fait que l’investissement de leur partenaire de vie occupe toute la place. Les “femmes de”, “compagnons de”, sans oublier les enfants, parfois parents et fratries, qui sont si souvent associés à l’investissement d’un seul.

Dans les contingences matérielles d’abord, bien sûr, car qu’on le veuille ou pas, les meilleures volontés égalitaristes se heurtent vite aux pesanteurs de la réalité quotidienne.

Mais au-delà de laver des chaussettes, la longue liste des absences pour cause de réunion, les humeurs variant au rythme des turpitudes politiques, le manque de disponibilité d’esprit ou d’écoute parce “qu’il s’est passé ça aujourd’hui et c’est plus urgent”, tout cela est subi par les proches, sans parler d’avoir parfois à assumer par ricochet les déconvenues voire les coups bas.

Le militant a peut-être pu se tanner le cuir, mais la famille elle, n’avait le plus souvent rien demandé.

En ce domaine, le soleil est souvent un privilège exclusif, mais la pluie une plaie collective.

Je ne suis plus porte-parole de rien, mais j’oserai juste une dernière fois parler au nom des autres, en l’occurrence de toutes celles et ceux qui sont mis en avant et qui ont la chance de pouvoir compter sur ces petits mondes militant et familial sans lesquels rien ne leur serait possible, afin de leur dire à quel point on leur est reconnaissant sans malheureusement assez penser à le leur dire.

Ce sont eux, nos véritables privilèges.

Bihotzetik milesker, pott handi batekin. J’achève là ce texte, il est 19h30 et ce soir c’est quiche ! Pfff… Encore une fois j’ai même pas coupé un lardon…

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2 réflexions sur « Qui lave vos chaussettes ? »

  1. puis-ce ton message être entendu par certains élus qui siègent dans l’opposition depuis plusieurs mandats, satisfaits de leur petite notabilité, et qui devraient céder leur place à de jeunes militants porteurs d’avenir

  2. Citoyen,
    Je ne puis que partager ton analyse.
    Et ajouter que , malheureusement, le phénomène n’ est pas propre au peuple basque :
    Il suffit de s’intéresser à l’ histoire contemporaine pour constater que, quelle que soit la tendance politique des « mandatés » ( les élus détiennent, de par leur élection DEMOCRATIQUE; un mandat confié par leurs électeurs : donc ont le DEVOIR de mettre en avant les souhaits de leurs mandants. ET NON PAS DE PARLER ET AGIR à titre SEULEMENT PERSONNEL !!! ) ; ceux-ci oublient très vite ce pourquoi ils ont brigué mandat…
    La recherche d’un certain pouvoirs, de vains privilèges matériels et financiers prime bien trop sur le devoir mandataire !*
    En sus depuis quelques décennies le culte du VEAU D’ OR supplante la solidarité humaniste et ainsi vicie notre civilisation en déclin…
    Lou DESTRABAT ce 28/09/2022 à 23h55.

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