Une histoire de mecs

GAB

Bayonne a son jambon fabriqué ailleurs, son chocolat importé d’ailleurs, son club de rugby professionnel non exporté ailleurs, ses deux rivières que l’on ne retrouve pas ailleurs, ses fêtes que nul n’égale ailleurs(1) et sa cathédrale et son évêque intégriste Aillet(2). L’ex Lapurdum —rendons grâce aux Romains d’avoir construit les fortifications au début de notre ère— recèle aussi en elle d’autres spécificités. Elle abrite dans un vaste domaine une citadelle pensée par Vauban en 1680 et située sur les hauteurs nord de la ville. Tour à tour prison puis camp militaire, celle-ci est squattée par les instruments d’une violence étatique et impérialiste (le 1er RPIMA depuis novembre 1960). Autre cocasserie : Baiona (en basque et en occitan) est dirigée par une même clique conservatrice depuis la seconde guerre mondiale alors que sa population électrice vote majoritairement à gauche(s). Avant dernière singularité : les tenants d’un passé gascon de Bayonne se crêpent parfois le chignon avec les partisans de Bayonne capitale du Pays Basque (Nord).

Zer da hori ?

Ces derniers peuvent pérorer. Il y a belle lurette qu’on n’entend plus l’occitan dans la cité de naissance de Dominique Joseph Garat, Joseph Lartigue, Marga d’Andurain, Michel Portal ou Francis Lalanne réunis(3) alors que l’euskara s’y développe. Ce débat stérile est à l’image du questionnement sur l’origine du nom de la ville : on n’a pas fini d’ergoter. Pour autant, cet imbroglio ne pourrait nous détourner de ce qui est devenu —dans la deuxième moitié du XXe siècle— l’évènement culturel et sociologique bayonnais majeur qu’aucune liste, dans les campagnes municipales, n’aborde: l’existence de peñas. Etonnant phénomène que ces assemblées affinitaires essentiellement masculines (4) qui restent confinées dans Bayonne intramuros ! Sont-ce les remparts, les initiateurs d’une telle spécificité ? Une culture populaire d’une ville dont l’habitat social représente un quart du logement ? Un territoire plus machiste qu’ailleurs ? Plus festif et solidaire ?

Des peñas olé olé

L’on pourrait traduire le terme espagnol de Peña par “groupe d’amis”. Une sorte de “cuadrilla” qui ont un objet, un centre d’intérêt en commun. Le rugby, souvent, mais pas que. Le ciment peut être aussi un autre sport comme la randonnée, la culture basque dont la musique et le chant, la gastronomie ou… la tauromachie ! La création de ces “clubs” de jeunes remonte aux années 30 avec une forte affiliation aux fêtes. Ainsi naissent des formations musicales, souvent éphémères le temps des fêtes comme les “Batsarous”. Si on en croit le site de la ville, une des premières à s’inscrire dans la durée serait le Cercle taurin dès l’après-guerre. Puis sous l’ère d’Henri puis de Jean Grenet, des groupes de jeunes —peu ou prou sympathisants de la dynastie— se voient attribués des locaux municipaux. La plupart (une quinzaine) installés dans les remparts (Grand et Petit Bayonne) qui servaient de lieux de stockage de matériel notamment militaire.

Faut pas pousser amatxi dans les orties

Dans un même temps, sous l’influence des “sociedades” du Pays Basque Sud, Orkonpon ou Zahakin —toujours en activité— se passionnent de gastronomie dans un contexte de réappropriation de la langue et de la culture basque dès la fin des années 70. Emergent aussi le Biltxoko (autour de l’euskara), Estalgi en soutien aux prisonniers politiques basques de la mouvance d’Iparretarrak (sans nul doute l’endroit le plus fliqué de Bayonne au tout début des années 80) ou Txiri boga, proche de l’ex EMA (Ezker mugimendu abertzalea). D’autres, sur des objets variés et dans des locaux privés, éclosent tels Lous Tilholes, Patchacor ou Tipi Tapa. Toutes deviennent des marqueurs des fêtes puis, au fil du temps, s’inscrivent dans d’autres animations le reste de l’année. C’est l’époque du Triath’drole et des concours sans queue ni tête autour de “Tout ce qui flotte” ou “Tout ce qui roule”. Un espace de liberté, d’idées loufoques, sans trop de règles, ni de normes que la municipalité de l’époque interdira pour “Excès de zèle”

Baionana ?

Enfin durant les années 90, les locaux privés naissent comme des champignons avec paradoxalement la fin des innovations et une caricature : aujourd’hui 16 peñas se retrouvent en rez-de-chaussée dans la petite rue des Basques, rue fantôme la grande majorité du temps. Très vite, le cadre réglementaire de ces structures se durcit sous l’effet de deux phénomènes : la catastrophe du stade de Furiani en Corse en 1992 avec l’effondrement d’une tribune (19 morts et 2357 blessés) et l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Le besoin de se structurer prend forme sous l’égide du GAB (Groupement des associations et peñas Bayonnaises) en 2004 et sous l’impulsion de Gorka Robles, Laurent Roux et Owen Lagadec-Iriarte, qui en assureront tour à tour la présidence. Il y a quatre ans, une charte est signée avec la ville régissant des règles de vie commune. Depuis décembre 2020 un évènement a eu lieu : l’élection de Michaela Clapisson de la peña Les Bascos- Txalaparta à la présidence du GAB.

Nécessaire refonte

Cela correspond à l’esprit de cet univers, certes très masculin, mais tourné de plus en plus vers la solidarité par le développement d’actions diverses comme la mutualisation auprès d’autres associations, l’accueil de producteurs locaux durant les confinements, des repas préparés pour la table du soir (Haiz egoa, Orkonpon, Lous Tiloules, Ardukari…), un don de 6000 euros à des associations caritatives… De même, le GAB est force de propositions pour un projet rénové des fêtes de Bayonne à l’instar de Patxondo qui réinvente les fêtes à la place Patxa. La municipalité est-elle prête à cet échange et à cette refonte ? A contrario des détracteurs constatent que la plupart des peñas revêtent l’habillage administratif d’une association alors qu’elles fonctionnent comme un club privé où l’adhésion spontanée n’existe pas. Seule la cooptation est possible. Sur la quinzaine logées dans un bien municipal, une seule règle un loyer (et à sa demande !). D’autres estiment qu’elles devraient davantage contribuer à la prise en charge du coût financier des fêtes avec par exemple la prise en charge au niveau des repas et logement de Bandas, txanranga ou orchestre.

Segi aintzina !

Aussi, l’idée d’une convention entre la ville et le GAB s’enracine dans les esprits. Un.e élu.e et un personnel dédié seraient à même de construire un cahier des charges sur des périodes de trois ans en situant les droits et devoirs en complément de la charte. Cela aurait pour mérite d’officialiser et de protéger l’existence de ces structures atypiques et de conditionner l’octroi d’une licence durant les fêtes à la contractualisation d’animations tout au long de l’année. Des projets d’intérêt général pour la population comme des actions tournées vers le caritatif, pour des publics fragiles. Il s’agit aussi de favoriser la mutualisation quand on sait que ces lieux sont fermés 90% du temps du lundi au dimanche. Que voilà un bon sujet pour les prochaines municipales !

(1) Hormis Iruña (Pampelune) diront les puristes.
(2) Il aurait pu s’appeler Ailleurs, cela aurait été plus adéquat pour la rime.
(3) Un intrus s’est glissé dans ce quintet : saurez-vous le reconnaitre ?
(4) 53 peñas sont fédérées au sein du GAB sur un total estimé à près de 90. Il existe quelques peñas mixtes mais on aura du mal à en identifier plus d’une seule strictement féminine !

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