Vivre et se loger au Pays

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Vivre et se loger au Pays (I)

Quand j’ai commencé à militer à la fin des années 70, un slogan couvrait certains murs d’Iparralde : Herrian lan eta bizi ! Vivre et travailler au Pays, tel était le leitmotiv de ceux qui voulaient alors combattre l’exode des jeunes partant chercher un emploi ailleurs. Les stratégies en découlant furent l’investissement du terrain économique, la création des coopératives, la défense de l’agriculture paysanne, l’orientation d’une partie de l’épargne locale vers la création et le développement des entreprises du territoire, la lutte contre le tout tourisme, le travail pour le développement de filières universitaires locales, etc.
Pour un jeune Basque des années 2020, le paradigme a changé : il n’est pas plus exposé au risque du chômage que la grande majorité de la jeunesse du reste de l’Hexagone, loin de là. Ce n’est pas pour autant qu’il a aujourd’hui les moyens et la garantie de pouvoir continuer à vivre au Pays. L’explosion des prix du foncier et l’envolée des loyers compromettent gravement notre droit à pouvoir vivre sur le territoire qui nous a vu naître. Et cela pas seulement pour la jeunesse, mais également pour les gens subissant des pertes de revenus, pour cause de départ à la retraite, de licenciement, de divorce, d’accidents de la vie en tout genre, etc. Il y a tout à parier que les années à venir voient les murs d’Iparralde se couvrir d’un autre slogan « Vivre et se loger au Pays ! » «Herrian bizi eta aloitu!».

Spirale infernale

La côte basque, minuscule en Iparralde, est l’objet d’une pression foncière exponentielle, qui déborde désormais sur tout le rétro-littoral, entre la côte et l’intérieur. Le foncier y devient rare, et la demande, notamment alimentée par la fameuse « attractivité » du territoire (1) est sans cesse grandissante. Du coup, les constructions ont beau se multiplier, cela ne diminue pas le prix du m² ou des loyers. On peut même se demander si cela n’a pas comme seul effet d’accroître la demande et du coup de surenchérir au final les prix qu’on voudrait faire baisser en augmentant l’offre. Les prix des logements ont en effet grimpé de 20 % entre 2015 et 2018 alors que cette période suivait un pic de la production de logements (de 2 800 à 3 000 par an pour une population de 303 000 habitants à la même époque). L’attachement culturel à la maison individuelle, la multiplication des divorces, un taux de résidences secondaires 2 fois supérieur à la moyenne française et aquitaine, les locations saisonnières, et désormais le phénomène des plateformes internet de location touristique de type Airbnb qui ont crû de 30 % entre 2017 et 2020 viennent considérablement aggraver le problème.

Résultat : le prix moyen d’achat du m2 en Iparralde était de 4300 euros en 2018 et n’a cessé de monter depuis. Le loyer moyen dans le parc locatif privé est de 651 euros sur la bande littorale basque élargie à l’intérieur jusqu’à la Bastide-Clairence, Cambo, Espelette, plus Saint-Palais, Mauléon et Saint-Jean-Pied-de-Port soit une zone de 84 communes (étude Audap de décembre 2020). Il monte à 725 euros sur les communes du littoral hors Bayonne et Anglet et du rétro-littoral (bande incluant Ustaritz ou Saint Péé-sur-Nivelle). Rappelons ici que le smic mensuel net est de 1.230,61 euros et donc que le loyer moyen sur le littoral basque coûte 59 % d’un smic net ! Il y a deux ans d’attente pour obtenir un logement social (Sud-Ouest du 23-01-2021) et 70 % de la population d’Iparralde y est éligible alors que la plupart des communes n’atteignent même pas les 25 % de logements sociaux exigés par la loi SRU pour l’horizon 2025. Il peut y avoir 50 à 60 demandes pour un T2 ou un T3 à la location et si l’on veut l’avoir il vaut donc mieux réagir dans l’heure suivant la parution de l’annonce. Encore faut-il pour que sa demande soit sérieusement examinée fournir à l’agence ou au propriétaire la preuve qu’on a un CDI, qu’on touche 2 à 3 fois l’équivalent du loyer, pouvoir payer 2 mois de garantie et avoir en plus des personnes se portant garantes ! Autant dire que tout cela commence à laisser pas mal de monde au bord du chemin…

La volonté affichée par le Président de la CAPB

Face à un problème d’une telle ampleur et d’un tel impact sur la vie même des gens, il est indispensable que les pouvoirs publics agissent de tout leur poids pour contrer les tendances mortifères de la « main invisible du marché ». L’actuel président de la CAPB et maire de Bayonne, Jean-René Etchegaray, contrairement à son concurrent malheureux Henri Etcheto, a au moins le mérite d’avoir compris que les réponses à cette crise du logement passaient par des outils inter-communautaires à l’échelle du Pays Basque nord. Le Président de la Communauté Pays Basque va plus loin dans une interview au journal Sud-Ouest du 23 janvier en plaidant clairement pour un encadrement des loyers. « On a une telle rareté du foncier que les prix de cession ne cessent d’augmenter et avec eux, ceux de la location. On va arriver dans une situation où les gens ne pourront plus acheter ni louer. Dans notre secteur, 80 % de la production de logements ne s’adressent pas à notre population. Elle n’en a pas les moyens. La production est plutôt tournée vers des acheteurs extérieurs. Si on laisse les choses se faire selon la loi de l’offre et de la demande, nous aurons avec la location les déboires que nous connaissons avec l’accession. On ne pourra pas se passer de l’encadrement des loyers. La loi Elan n’est pas allée au bout des choses. Nous avons 24 communes officiellement en zone tendue mais l’Agglomération ne peut pas prétendre à l’encadrement des loyers pour une raison incongrue. La loi fixait quatre critères pour en bénéficier. Nous ne satisfaisions pas à l’un d’eux car nous avons un volume de production de logements trop important ! C’est pour le moins paradoxal. Il faut faire évoluer la loi (…) l’encadrement des loyers ne suffira pas. Je pense notamment aux locations saisonnières qui perturbent les marchés de l’accession comme du locatif. (…) »

Mettre le PLH en phase avec les discours volontaristes

Mais on ne peut se contenter d’attendre de nouveaux outils législatifs, dont on ne sait pas s’ils verront le jour et encore moins à quel horizon. Au vu de l’importance et de l’urgence du problème, il faut activer tous les outils existant à notre portée pour en limiter l’impact sur notre territoire et sur notre population. Justement, montrant tout l’intérêt qu’il y avait à créer une communauté d’agglomération englobant tout Iparralde, pour la première fois, un Plan local de l’Habitat est élaboré à l’échelle de l’ensemble du Pays Basque nord, dressant un diagnostic global du problème du foncier et du logement sur notre territoire et fixant un certain nombre d’objectifs stratégiques avec lesquels nous ne pouvons qu’être d’accord, dont celui de « développer une offre davantage maîtrisée en volume et en qualité, financièrement plus accessible pour les ménages locaux, confortant les centralités, et mieux répartie notamment pour accompagner le développement du Pays Basque intérieur dans sa diversité ». Pourtant, l’un des meilleurs spécialistes d’Iparralde de ces questions, Peio Etcheverry-Aintchart, se montrait dans ces mêmes colonnes d’Enbata, particulièrement sceptique sur le fait que les orientations opérationnelles et les actions proposées par le PLH soumis à l’avis des conseils municipaux d’Iparralde permettent de remplir cet objectif stratégique : « Dans le contexte actuel, laisser ce projet, puis les SCOT et autres PLUi qui seront forcément à l’avenant, serait une irresponsabilité sociale et environnementale, et serait fuir ce qui me paraît être aujourd’hui la mère des batailles en termes d’aménagement du territoire. »

L’acte politique fort de Saint Pierre d’Irube

Contrairement à la majorité des Conseils municipaux qui se sont exprimés jusqu’à aujourd’hui pour approuver le PLH, parfois avec certaines réserves ou préconisations ; le conseil municipal de Saint Pierre d’Irube a lui, sur proposition de son maire Alain Iriart, émis un avis défavorable sur le PLH proposé, assorti d’un scénario alternatif.

Enbata a décidé de publier cette délibération municipale particulièrement pédagogique et pertinente. Elle alerte sur le fait que la production prévue de 2 656 logements par an ne répondra qu’à hauteur de 29 % aux besoins des ménages locaux et que les résidences secondaires constitueront 32 % des constructions de logements neufs. Elle propose notamment de rabaisser l’objectif de construction neuves à 2000 logements par an ; de porter la part de logement accessible et solidaire (location et accession sociale) à hauteur de 55 à 60 % du volume global de logements neufs (au lieu de 45%) ; de diviser par cinq le nombre de résidences secondaires prévues par an (178 au lieu de 892) ; de rénover les logements vacants ou anciens en réorientant les aides financières sous condition de location en résidence principale avec un objectif de 1400 à 1500 logements par an…

Cet avis de Saint Pierre d’Irube est un acte politique fort, volontariste, qui ne peut qu’alimenter dans le bon sens le débat devant permettre de rehausser très fortement l’ambition du PLH (et par voie de conséquence de conditionner dans le bon sens les autres documents qui l’accompagnent (PCAET, PDU) ou le compléteront (SCOT, PLUi). Cette demande d’un PLH bien plus volontariste doit à mon sens être appuyée par l’ensemble des mouvements sociaux et écologiques d’Iparralde.

Le scénario alternatif qu’il propose ne répond pas pour autant, lui non plus, à toutes les questions posées par l’actuelle crise du foncier et du logement. Je pense notamment au problème des locations saisonnières et des effets pervers du système Airbnb, et surtout à l’encadrement indispensable et total de l’accession sociale à la propriété, par des mécanismes de type BRS (bail réel solidaire) ou bail à long terme. Sans cela, on construira nos réponses sur du sable et au bout des 10 ans prévus par la loi ELAN, les logements sociaux, financés avec l’argent public, iront rejoindre le marché normal et alimenter la spéculation immobilière et empirer le problème.

Quelle stratégie sur le foncier et le logement ?

Le PLH le plus volontariste ne suffira pas à lui seul à résoudre la crise actuelle et à venir du foncier et du logement en Iparralde. Quels moyens réels a-t-il par exemple pour concrétiser un objectif opérationnel tel que celui de la division par 5 du nombre prévu de constructions de résidences secondaires ? Sur ce terrain plus que jamais, il nous faut penser une articulation entre travail institutionnel et lutte de masse, rôle des mouvements sociaux et de la mobilisation populaire. Il nous faut penser et construire une véritable stratégie, où chaque acteur, chaque mouvement puisse trouver sa place, son rôle spécifique et complémentaire, et que tous ensemble nous puissions peser réellement sur le cours des choses, nous puissions desserrer la pression foncière et immobilière qui compromet notre possibilité même de vivre en Euskal Herri. Nous devons mettre en place, au plus vite, les stratégies efficaces et gagnantes qui nous permettent tout simplement de vivre et se loger au Pays.

(1) « Attractivité » que certains rêvent toujours d’accentuer avec leur phantasme de voie nouvelle LGV Bordeaux-Hendaye.

La construction de 20.000 résidences secondaires supplémentaires en Pays Basque nord entérine la primauté du droit d’avoir deux logements avant celui d’en avoir un.
La construction de 20.000 résidences secondaires supplémentaires en Pays Basque nord entérine la primauté du droit d’avoir deux logements avant celui d’en avoir un.

Vivre et se loger au Pays (II)

L’analyse de la crise du logement et du foncier nous amène à tirer les enseignements suivants :

I) Les 4 dimensions importantes de cette crise

Cette question essentielle a quatre dimensions principales, qui peuvent mobiliser autant de secteurs différents de la population d’Iparralde :

Démocratique, politique et identitaire : le fait que le nombre de résidences secondaires puisse constituer jusqu’à 40 % et plus des habitations de certaines communes du littoral Basque pose en effet un véritable problème de contrôle démocratique de leur destinée par leurs habitants. L’identité même du Pays Basque nord est en jeu si les classes populaires et moyennes locales, qu’elles soient composées de gens nés ici ou ailleurs, ne peuvent plus s’y loger à terme, du fait de prix leur devenant inaccessibles.

Sociale : se résigner à la construction de 20 000 résidences secondaires supplémentaires en Pays Basque nord entérine la primauté du droit d’avoir deux logements avant celui d’en avoir un. La nature même de biens communs caractérisant la terre et le logement plaide pour leur gestion publique ou collective, protectrice des moins riches et des moins puissants.

Environnementale et climatique : laisser la loi de l’offre et la demande, la fameuse main invisible du marché régir la question du foncier et du logement est lourd de conséquences sur le plan écologique. L’augmentation du nombre global de constructions, et son étalement sur le rétro-littoral et le Pays Basque intérieur va accroître l’artificialisation des sols, l’extension des réseaux (énergétiques, routiers etc.) et le développement d’une mobilité pendulaire (trajets quotidiens domiciles-travail ou école) déjà insoutenable en Iparralde. Le poids des maisons particulières, des locations saisonnières et des résidences secondaires viendra aggraver le sur-dimensionnement des équipements et aménagements collectifs.

Agricole et alimentaire : la croissance sans fin des nouvelles constructions de logement et d’infrastructures menace le foncier agricole et son accessibilité. Cela conditionne bien évidemment nos possibilités réelles de reconquérir demain notre souveraineté alimentaire. Si l’on renverse la perspective, c’est la capacité de notre territoire de nourrir sa population, dans une logique de relocalisation des productions et de souveraineté alimentaire, et pas la main invisible du marché immobilier, qui devrait guider les politiques publiques en matière d’estimation d’un nombre d’habitant.es que l’on peut prévoir d’accueillir dans les trente prochaines années !

II) Les 3 principaux niveaux d’intervention

La réponse à cette crise du logement et du foncier nous offre trois principaux niveaux d’intervention, avec pour chacun d’entre eux des acteurs et des possibilités différentes d’alliances et d’actions :

Les communes et la CAPB, qui ont dans leur mains des outils structurants et des possibilités réelles d’intervention sur ces questions (PLH, PLUi, SCOT, EPFL, service d’acquisition foncière, préemption, expropriation, procédure des « biens sans maîtres », densification de l’habitat, production logement social, conditions d’accès à la propriété sociale et gestion Office HLM HSA, politiques de rénovation et de réhabilitation, surtaxe résidences secondaires etc.). C’est là un des principaux terrains où se jouent les batailles du foncier et du logement actuellement et dans les années à venir. C’est dire l’importance du rôle des élus communaux et intercommunaux, des techniciens, des programmes et propositions politiques à ce niveaux. La réflexion des élus, et particulièrement celles et ceux d’EH Bai particulièrement en pointe à ce niveau, les propositions des différents partis, le travail et les contributions du Conseil de Développement du Pays Basque ou d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara, et le travail de plaidoyer et d’interpellation de divers acteurs sociaux (Atherbea, Pacte de métamorphose écologique de Bizi, Lurzaindia, ELB etc.) sont déterminants à ce niveau.

Le domaine législatif : tout le monde constate l’insuffisance de l’arsenal législatif actuel pour faire face à l’ampleur actuelle de la hausse des loyers et du prix du foncier dans des zones tendues comme la nôtre. La surtaxe sur les résidences secondaires, même portée à son maximum légal, ne suffit pas à les faire revenir sur le marché locatif. Il manque des outils en matière d’encadrement des loyers ; d’obligation à remettre sur le marché locatif des logements vacants ; de contrôle et d’encadrement des locations saisonnières et des plateformes de location internet ; de type de propriété du foncier ; de manières de financer la création et la réhabilitation de logement. Il faut donc faire évoluer rapidement la loi pour répondre à ce défi majeur pas seulement en Iparralde mais sur une bonne partie du territoire hexagonal (façades maritimes, grandes villes etc.). Les acteurs et alliances possibles ne manquent pas pour ce niveau d’intervention.

La mobilisation populaire :

Peser de toutes nos forces de ce côté-là du balancier de la décision politique devient d’autant plus urgent et essentiel que les effets sociologiques de cette dérive du foncier et du logement pèsent et pèseront politiquement de plus en plus lourdement de l’autre côté du même balancier. Plus les prix montent et sélectionnent des habitants fortunés, et plus les maires seront tenus par un électorat issu des classes sociales aisées. Ces dernières seront bien entendu moins enclines à favoriser des politiques progressistes, solidaires, une part importante de logement social dans la commune etc.
Mais l’objectif est également de produire des actions et des résultats directs sur l’évolution de la question foncière et immobilière en Iparralde. Face à la main invisible du marché ; il nous faut activer le bras de fer de la mobilisation populaire.

III) La résistance civile et les alternatives concrètes

Du pain sur la planche

Plusieurs éléments et conditions devront être réunis pour réussir à faire monter la mayonnaise de la mobilisation populaire.

a) Avoir un diagnostic partagé du problème et des propositions crédibles pour le résoudre : le travail réalisé toutes ces dernières années par de multiples structures ou acteurs locaux (Commission logement d’AB puis d’EH Bai, Conseil de développement du Pays Basque, EHLG, Audap et son observatoire des loyers etc.) en pose de nombreuses bases précieuses. Un Forum pourrait réunir les différents mouvements et organisations abordant les questions du foncier et du logement via différentes portes d’entrée : politique, sociale, écologique, agricole…. Il permettrait de partager un état des lieux et des objectifs communs. Il éviterait de poser des diagnostic erronés, pouvant être porteurs de dérives idéologiques et politiques (concept de colonisation de peuplement voire approches virant à la xénophobie) et du coup de stratégies inefficaces et perdantes (chercher LA solution magique un problème aussi complexe et multi-causal, céder à la tentation de stratégies du passé aujourd’hui inopérantes etc.).

b) Faire prendre conscience à la population des causes et de la nature réelle du problème, qu’elle ressent depuis longtemps déjà, et des solutions qui en découlent : il faut imaginer des campagnes et initiatives massives pour consulter la population sur cette crise du foncier et du logement, lui donnant la parole et l’incitant à s’emparer de cette question. Il faudra faire un travail de pédagogie de masse, en n’ayant pas peur d’expliquer un certain nombre de choses pas toujours les plus populaires (impact lourd des tendances actuelles à la décohabitation et solutions à y apporter, problème posé par le mythe de l’« etxe individuelle » dans l’imaginaire basque, besoin de densification par du logement collectif, nécessité de l’encadrement systématique de l’accession à la propriété sociale etc.).

c) Socialiser le problème, le faire descendre du débat entre « élites conscientes » (élus, techniciens, militant.es politiques et sociaux) jusque dans la rue, en fixant longtemps à l’avance une manifestation massive, dont la campagne d’appel, qui durerait des mois, aura pour rôle d’enraciner la dynamique de mobilisation dans chaque canton, commune, quartier. La campagne pour le département Pays Basque de 1999, qui avait donné le jour à l’Appel du 9 octobre puis à la plateforme Batera pourrait largement nous inspirer au moment de penser les formes et le calendrier devant charpenter une dynamique de masse sur la question du logement et du foncier. Une telle manifestation massive et plurielle, servant d’échéance structurante à cette dynamique de mobilisation sur la question du foncier et du logement, devra marquer un avant et un après dans cette bataille. Elle devra lancer, avec l’énergie et le nombre suffisant, les bases du rapport de force et des batailles des années suivantes. Fixer la date de cette manifestation massive quelques jours ou semaines avant l’adoption du PLH par la CAPB pourrait donner un maximum de poids et de légitimité aux réserves et conditions posées par un certain nombre de communes pour cette adoption.

d) Créer des actes et moments de rupture, qui renversent le cours des choses et stoppent les évolutions mortifères, qui aient un effet dissuasif pour les divers acteurs s’apprêtant à aggraver ces évolutions et ces dérives. Bien évidemment, la question n’est pas simple car on peut se demander comment faire par exemple pour stopper la construction des 20 000 nouvelles résidences secondaires, si l’on se refuse à poser des bombes et à passer par la case, humainement très coûteuse et de toutes façons perdante à moyenne et long terme dans nos sociétés actuelles, de l’action violente et clandestine ?
Heureusement, le répertoire de la non-violence déterminée et de la désobéissance civile regorge de possibilités et de pistes d’actions, qui peuvent entre toutes participer à construire des stratégies gagnantes sur ce terrain.

Si c’est vide, on occupe

Pour n’en donner qu’un exemple possible parmi bien d’autres imaginables, un ensemble d’organisations déterminées pourraient joindre leurs forces pour lancer un ultimatum à doter du maximum d’impact médiatique et de résonance locale et hexagonale : Toute résidence ou logement construit à partir de 2022 ou 2023 qui se révélerait être une résidence secondaire serait désormais la cible potentielle d’une occupation permanente par la coalition de ces mouvements.
Les maisons ou appartements ainsi ouverts par ces mouvements seraient mis à la disposition de personnes et familles sans logement, mais également d’associations, d’alternatives concrètes ou de campagnes diverses : enseignement de l’euskara, centre culturel local, coopératives de production alternative, lieux de dépôt-vente de circuits courts alimentaires ou autres, espaces test agricoles, recycleries, ateliers vélo, gaztetxe, peñas etc.
Bien entendu, ce mouvement massif et original d’occupation / mise à la disposition serait confronté à la répression, mais celle-ci se révélerait vite contre-productive, offrant chaque fois plus de procès-tribunes et d’inculpé.es-porte-paroles d’une cause qui deviendrait incontournable et omniprésente.
L’objectif serait de créer peu à peu un effet dissuasif pour les acheteurs potentiels des futures 20 000 résidences secondaires. Ils doivent intégrer que cette acquisition constituerait une sorte de loterie, et que le long processus d’emmerdements qu’ils risquent en achetant en Pays Basque n’en vaut pas la chandelle.

Développer les alternatives

e) Renforcer en parallèle les nombreuses alternatives existantes, anciennes ou plus récentes, qui réalisent un travail aussi exceptionnel qu’innovant (Lurzaindia, Etxalde, Maillâges, COL etc) et impulser celles qui manquent.
Là encore, donnons un exemple pour permettre de visualiser la richesse du répertoire possible d’intervention, en faisant une proposition parmi beaucoup d’autres imaginables, celle d’un « Lurzaindia du logement vacant ». On compte en effet aujourd’hui un peu plus de 12 000 logements vacants en Iparralde, dont plus de 40% sont concentrés sur les trois communes du BAB (Où malgré l’explosion de la demande non satisfaite, ce problème est aussi important, voire plus qu’en Pays Basque intérieur). Ces logements sont aujourd’hui vacants pour des raisons multiples : le départ en maison de retraite, la non-organisation des héritages, des problèmes de solvabilité pour rénover un logement, les freins affectifs à la vente, etc. Les remettre sur le marché locatif est un enjeu majeur, permettant d’éviter autant de constructions, de limiter l’étalement urbain et la création de nouveaux réseaux etc. Aujourd’hui, il apparaît nécessaire de créer une structure, un outil citoyen qui permette de reconquérir ces logements. Comment ? Déjà en identifiant et localisant les logements vacants. Ensuite, cette structure assurerait toute l’ingénierie pour débloquer les situations, convaincre les propriétaires et surtout les aider à remettre les logements sur le « marché », par exemple en proposant des baux à réhabilitation. La structure citoyenne devra sécuriser ces propriétaires, en assurant la réhabilitation et la rénovation énergétique des logements, mais aussi la gestion locative. Cela nécessitera une ingénierie financière et la mobilisation d’un fond d’investissement citoyen.

Effet levier

En s’appuyant résolument sur ces alternatives, la future campagne populaire pour vivre et se loger en Pays Basque renforcera sa légitimité en montrant qu’elle ne se contente pas de dénoncer et de s’opposer, mais qu’elle propose et qu’elle construit dans le même temps. En multipliant les mobilisations et les actes de résistance ou de désobéissance civile, cette campagne installera la question du logement et du foncier au centre de l’agenda et du débat public, elle formera et multipliera le nombre de volontaires prêts à s’investir dans les différentes alternatives concrètes. Les deux dynamiques, de résistance et d’alternative, s’auto-alimenteront de manière permanente et croissante.
Enfin, cette mobilisation populaire est indispensable pour pousser au maximum d’ambition et de volontarisme les élus pouvant agir au niveau communal et intercommunal ; et pour donner le maximum d’écho et de légitimité aux propositions qui pourront être plaidées au niveau législatif.

Vivre et se loger au Pays (III)

Le problème du logement et du foncier constitue sans doute LA question stratégique de la décennie à venir en Pays Basque nord. Il y a urgence car soit nous arrivons à peser efficacement et très rapidement sur les évolutions en cours, soit leurs conséquences sociologiques rendront bien plus difficiles les possibilités même de construction d’une Euskal Herri burujabe, solidaire et soutenable. A l’inverse, cette bataille là peut faire avancer dans la population d’Iparralde nos valeurs euskaldun, progressistes et écologistes et le projet global qui nous anime.

Les structures militantes qui réfléchissent ou travaillent déjà sur ce terrain, ou envisagent de le faire, sont nombreuses et diverses. Des propositions existent portées par un certain nombre de ces acteurs, ainsi que par différents élus et conseils municipaux, notamment dans le cadre de l’actuelle procédure visant à mettre en place le premier Plan Local de l’Habitat englobant tout Iparralde. La validation de ce PLH rythme le débat tout au long de cette année 2021. Par la suite, viendront la mise au point de documents tout aussi décisifs, avec les différents PLU et le SCOT.

Créer un vrai rapport de forces

Le manque qui reste d’après moi à combler est celui de la création d’un vrai rapport de forces populaire permettant de placer ces propositions au centre du débat et de l’agenda des décideurs, de pousser les élus locaux au maximum d’audace et d’ambition au moment de prendre des décisions et de voter sur ces questions là, d’arracher les évolutions législatives nécessaires et d’effectuer un vrai contre-poids à la pression sans cesse grandissante de la main invisible du marché.

Si l’on veut vraiment qu’émerge une stratégie gagnante, efficace, qui impacte réellement le cours des choses, il faudra éviter que chaque structure militante parte seule dans son coin, sa direction, sur les thématiques qui lui sont spécifiques, et n’ait ainsi que la force de faire acte de présence, pour un résultat symbolique ou testimonial. Il faudra encore plus éviter dans la mesure du possible que les diagnostics, propositions et stratégies de chacun se développent de manière contradictoires ou opposées au lieu de se compléter, de se renforcer mutuellement et du coup, d’arriver à peser réellement sur le cours des choses.

Je ne suis généralement pas très fan de la multiplication des plateformes unitaires et autres cartels d’organisations qui regroupent nombre de collectifs disparates pour des résultats qui me laissent souvent sceptique. Mais je pense que la cause du logement et du foncier non seulement permet mais également nécessite la création d’une large coalition pouvant peser réellement sur le cours des choses.

Les 4 portes d’entrée d’un Batera du logement

Je crois qu’on a là un terrain mûr, un enjeu décisif et une constellation de forces prêtes à se mobiliser, qui permettent d’envisager des configurations unitaires et gagnantes comme le furent en leur temps l’Appel des 100 pour un département Pays Basque ou la Coordination anti-LGV. Je pense ici également à la plateforme Batera, qui a su devenir une référence mobilisatrice pour une large partie de la population, au-delà même des 110 organisations, associations et collectifs qu’elle fédérait autour de 4 portes d’entrée, linguistique, agricole, universitaire et institutionnelle vers la reconnaissance officielle du Pays Basque nord.

Nous l’avons vu, la crise du logement et du foncier revêt en Iparralde 4 dimensions majeures : démocratique et identitaire, sociale, écologique, agricole et alimentaire. Elles peuvent constituer les 4 portes d’entrées vers une coalition qui deviendrait le Batera du logement et du foncier, ouverte aux structures et aux individus. Cette coalition pourrait se constituer sur la base d’une première échéance de mobilisation massive et d’une plateforme partagée de revendications et de propositions concrètes, autour de quelques grandes priorités qu’il conviendrait de déterminer entre toutes et tous (Et nous n’aurons que l’embarras du choix : réduction massive des nouvelles constructions prévues, augmentation massive de la part de logement social, encadrement des loyers, zéro artificialisation nette et zéro nouvelle résidence secondaire, remise sur le marché locatif d’une part importante des logements vacants et résidences secondaires actuelles, politique volontariste de réhabilitation du logement ancien, densification urbaine, encadrement ferme des locations saisonnières….).

Cette plateforme viserait à mobiliser de larges secteurs de la population, bien au-delà des cercles militants, pour demander l’adoption par les différents décideurs des mesures et politiques nécessaires. Elle travaillerait à renforcer les différentes alternatives concrètes existant déjà (Lurzaindia, Etxalde, Maillâges etc.) et à en impulser de nouvelles. Elle mènerait un travail de sensibilisation pour promouvoir l’habitat collectif, les pratiques de re-cohabitation, la nature de bien commun du foncier etc. Elle n’empêcherait pas les structures qui en seraient membres de développer de leur côté des actions plus spécifiques à leurs valeurs, projets et visions spécifiques, ou à leur répertoire traditionnel d’intervention. Mais elle permettrait, en unissant la majorité d’entre elles, de partager la plus grande partie du diagnostic et des solutions proposées, et d’impulser des mobilisations de masse autour de certaines propositions jugées prioritaires, fédératrices et gagnables.

Reste à savoir, si l’on considère une telle plateforme de mobilisation nécessaire et utile, qui prendrait l’initiative de l’impulser, suivant quel calendrier, et selon quelles modalités de lancement ? Certains mouvements, structures et acteurs militants ont acquis, par leur travail de proposition et par leurs actions déjà engagées, une légitimité et référentialité certaines sur ces questions. Ils sont sans doute les mieux placés aujourd’hui pour répondre à ces questions.

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