Une solidarité jamais simple (3/3)

Le réfugié politique basque à des époques différentes prend le visage de trois personnes illustres: celui du curé-guérillero Santa Cruz en 1873, entouré de sa garde rapprochée, celui du premier Lehendakari J. A. Agirre en 1951, face aux huissiers parisiens, celui d’Izaskun Rekalde, hurlant de peur avec ses enfants dans les bras, embarqués par les policiers français, à 6h 30 du matin, lors de la grande rafle du 3 octobre 1987.
Le réfugié politique basque à des époques différentes prend le visage de trois personnes illustres: celui du curé-guérillero Santa Cruz en 1873, entouré de sa garde rapprochée, celui du premier Lehendakari J. A. Agirre en 1951, face aux huissiers parisiens, celui d’Izaskun Rekalde, hurlant de peur avec ses enfants dans les bras, embarqués par les policiers français, à 6h 30 du matin, lors de la grande rafle du 3 octobre 1987.

Accueil et solidarité des abertzale du Nord

Comme il se doit, les abertzale du Nord accueilleront favorablement les abertzale du Sud pourchassés. Mais cette solidarité ne sera jamais simple. Selon les individus, les époques ou les groupes politiques, cela ira de l’aide ponctuelle sur le plan humanitaire ou économique, à un alignement, une adhésion et même des actions communes en Hegoalde. Les arrestations de réfugiés, les expulsions, les assignations à résidence, dans les îles d’Yeu, de Porquerolles, de Ré, à Valensole, etc., les assassinats du BVE ou du GAL, les très nombreux procès, les incarcérations à des peines de plus en plus lourdes et dans des prisons de plus en plus lointaines, trouveront toujours écho dans nos rangs. La réponse prendra la forme de séries de grèves de la faim (4) ou de jeûnes par des réfugiés ou des Basques du Nord, pour la plupart dans des églises. Les manifestations de rue sont innombrables. La campagne «Un réfugié un toit» est encore dans toutes les mémoires.

Porteurs de valises, compagnons de route, mariages, en charge de transport d’armes (Christiane Etxalus en deviendra l’icône vivante avec son arrestation le 2 février 1965) et même membres de commandos, tel que le commando Argala capturé en avril 1990, la présence des réfugiés en Iparralde a suscité des engagements divers et variés, les liens allant du mimétisme à la rivalité. L’illusion de croire qu’ETA et les abertzale allaient prendre le pouvoir au Sud après la mort du dictateur et que cela changerait totalement la donne au Nord, semblait convaincante.

La fin heureuse du Procès de Burgos (décembre 1970) comme l’efficacité des premières grèves de la faim viennent démontrer que le cycle action répression action avec l’appui de la lutte armée «en complément des luttes», est une bonne stratégie pour une minorité active et déterminée qui parvient à trouver des alliés bien au-delà de son propre camp. La suite viendra prouver le contraire, mais le mouvement abertzale restera fidèle à son soutien au «grand frère du Sud».

Grève de la faim de Mattin Larzabal, Beñat Oyhartzabal, Eñaut Haritschelhar,
Grève de la faim de Beñat Oyhartzabal, Eñaut Haritschelhar et Mattin Larzabal.

Divergences et tensions

Des divergences sont publiquement exprimées, dès 1968, sur la question du Front national basque. Les plus graves tensions naissent à partir de 1977, avec la rivalité, l’affrontement très dur entre ETA et IK. Sont en débat le front unique (ETA au Sud) et le front uni, la nécessité pour ETA de bénéficier d’une base arrière calme où les réfugiés soient à l’abri et le désir des abertzale du Nord de développer leur propre démarche de libération nationale face à Paris. Une question qui se prolongera dans les années 90 avec la scission entre Abertzaleen Batasuna et Batasuna.

Les avis divergent sur les effets positifs ou négatifs de la présence des réfugiés et la discussion est loin d’être close dans notre famille politique. L’arrivée importante des réfugiés au début des années 70 aiguise les contradictions entre la génération des pionniers d’Enbata et la suivante: les premiers perçoivent que malgré leurs efforts titanesques, ils ne sont pas parvenus à convaincre au moins une partie de l’opinion publique des trois provinces. Ils ont même suscité le rejet. Les seconds sont persuadés que pour avancer, il convient de radicaliser davantage le mouvement, sur le plan idéologique, comme sur les moyens de lutte. «Lutte de libération nationale et lutte de libération sociale, deux faces d’une même monnaie», devient le parangon de toute une génération d’abertzale. Ils sont convaincus que la radicalité des luttes va conscientiser les masses, que la violence révolutionnaire viendra conforter le mouvement social. Peine perdue.

L’arrivée des réfugiés dès les années 60, qu’ils soient abertzale ou d’extrême gauche, contribue à modeler l’abertzalisme au Nord. Le marxisme léninisme et les différents mouvements de luttes armées, y compris en Italie et en Allemagne, dans le Royaume-Uni, tenaient alors le haut du pavé. La couverture du numéro 3 (mai 1975) de la revue Hitz «Viet-Nam, Kanputxea, Portugal… Euskadik noiz?» réalisé par des abertzale du Nord et du Sud, laisse aujourd’hui perplexe. Le jeune «réfu», émule du Che, tout auréolé de sa gloire de guérillero, et maniant avec talent la dialectique et les grandes idées, surtout celles du matérialisme historique, fait fureur parmi les jeunes Basques qui se politisent. Le maelström politico-judiciaire donnera l’illusion d’une lutte qui avance. Mais l’épuisement gagne, la marginalisation guette.

 Apports et traces, ombres et lumières

Sur le plan culturel, chacun sait que l’apport des réfugiés basques a fortement contribué à la naissance et au développement de Seaska. Lorsque trois pionniers créent la première ikastola le 24 mai 1969, ils font appel à une première andereño, Libe Goñi, venue de Lazkao. La détermination et le dévouement sans faille des familles de réfugiés contribuera à la croissance des ikastola. Comme pour le lancement des éditions Elkar ou encore d’AEK. L’apport des réfugiés joue un rôle non négligeable dans la création de plusieurs entreprises et de coopératives. L’histoire de Sokoa à Hendaye est assez emblématique des paradoxes, des contradictions de l’abertzalisme durant ces années, sous l’impact des «réfus». Patxi Noblia crée l’entreprise en 1971 et la présence des réfugiés politiques basques compte beaucoup dans sa mise en oeuvre. Mais ceux-ci installent une cache dans les locaux de Sokoa. En 1986, la police y découvre deux missiles sol-air, le PDG est jeté en prison et l’entreprise manque de couler.

La présence importante de policiers espagnols en Iparralde et la coopération policière et politique entre Paris et Madrid n’ont cessé de monter en puissance depuis les années 80. Mais l’impact s’inscrit aussi en matière politique. Si l’on en croit les déclarations de la députée socialiste Nicole Péry hier et celles du ministre de l’Intérieur Manuel Valls aujourd’hui, le gouvernement français s’oppose à la création d’un département ou d’une institution Pays Basque, du fait de la situation au Sud de la Bidassoa et des positions de l’Espagne. A croire qu’Iparralde est devenu un condominium où prévaut le pouvoir espagnol…

«Baina eskual semea da gure anaia»

Le réfugié politique basque à des époques différentes prend le visage de trois personnes illustres: celui du curé-guérillero Santa Cruz en 1873, entouré de sa garde rapprochée, celui du premier Lehendakari J. A. Agirre en 1951, face aux huissiers parisiens, celui d’Izaskun Rekalde, hurlant de peur avec ses enfants dans les bras, embarqués par les policiers français, à 6h 30 du matin, lors de la grande rafle du 3 octobre 1987. Tous trois nous regardent. Ils incarnent le visage d’un Pays Basque dans la tourmente, qui relève la tête face à ses adversaires, envers et contre tout. Leur combat montre à ceux qui en doutent encore que seule la souveraineté pleine et entière permet aux ressortissants d’un peuple que leurs droits soient garantis. Faute de ce pouvoir, les Basques irréductibles demeurent soumis au bon plaisir de deux Etats-nations qui les bafouent, aussi bien sur le plan des libertés publiques qu’institutionnel, linguistique, culturel, économique, social, etc.

Par delà nos divergences, les «frères du Sud» seront toujours nos frères du Sud, comme un des piliers de l’abertzalisme, le signe majeur de la nécessaire réunification de la patrie basque, «l’accent invincible de la fraternité». Un fondateur d’Enbata, le député Michel Labéguerie au parcours politique si controversé et décevant, empoigne sa guitare en 1961 le jour de la Pentecôte, au trinquet d’Amotz. Il chante pour la première fois «Gu gira Euskadiko gazteri berria». En 18 vers écrits par l’abbé Pierre Larzabal, il exprime l’essentiel de notre combat et les liens qui unissent notre communauté humaine: «Kaskoin edo maketo ez dugu etsaia,/ Baina eskual semea da gure anaia./ Hemen dela España, han dela Frantzia,/ Mugaren bi aldetan da Euskal Herria». Aujourd’hui sur toutes les lèvres, ces couplets n’ont pas pris une ride.

 

(4) La première grève de la faim sera celle du réfugié politique Juan José Etxabe le 1er septembre 1969. A nouveau expulsé pour la énième fois, il déclare au préfet des Pyrénées-Atlantiques en aout 1979: «Dans l’arrêté préfectoral que vous avez envoyé au commissariat de Saint-Jean-de-Luz, vous me considérez comme un étranger. Permettez-moi de vos rappeler que je suis Basque, que je vis au Pays Basque, et qu’entre vous et moi, s’il doit y avoir un étranger, ce sera forcément vous».

 

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