Iñigo Urkullu à l’heure du bilan

Lucía Arieta aux côtés de son mari, Iñigo Urkullu


Il achèvera bientôt des décennies d’un engagement sans faille au service de son pays. Parcours difficile s’il en est, avec ses ombres et ses lumières, tant la vie politique basque n’a rien d’un long fleuve tranquille. Coup d’œil dans le rétroviseur.

C’est un animal politique venu du froid. Il ressemble à ces leaders d’Europe du Nord que les peuples devraient davantage apprécier. Urkullu le Biscayen est discret, presque atone « homme gris et sans éclat » disent ses détracteurs, y compris Xabier Arzallus qui lui préférait Luis María Retolaza, un autre candidat pour lui succéder. Natif d’Alonsotegi près de Bilbo, il est aussi réfléchi et calculateur qu’un joueur d’échecs, méticuleux, spartiate à la frugalité légendaire, d’abord fidèle à son parti. « Le calme incarné » dit-on, une valeur sûre dans l’œil du cyclone qu’est souvent la vie politique. Il se situe aux antipodes de ces méditerranéens à l’éloquence échevelée, séducteurs et démagogues en diable, dont l’archétype fut Silvio Berlusconi. A l’heure de son bilan, il sera facile de lui jeter la pierre, tant est vrai le mot de Sigmund Freud qui nomme trois métiers impossibles : éduquer, soigner et gouverner.
Iñigo Urkullu a juste 22 ans et il est déjà député au parlement de Gasteiz. Toute sa vie, l’homme va se vouer au Parti nationaliste basque. En 2007, le voici à la tête de la direction, l’Euskadi buru batzar. Il se charge d’une mission difficile, refermer les graves blessures issues de la « guerre civile » entre Josu Jon Imaz et Joseba Egibar désireux de prendre les rênes du PNV. Puis, il doit maintenir la cohésion du parti lors du tremblement de terre que fut la proposition de souveraineté-association impulsée par Juan José Ibarretxe qui fut un échec retentissant et dont beaucoup au PNV ne voulait pas entendre parler. Ce fut « un acte de foi quotidien pour sortir dignement de cette situation », révélera Urkullu.

Le PNV dans la tourmente

2010 en Araba, le calvaire se poursuit avec une affaire de corruption sur l’attribution de marchés publics, le « dossier De Miguel », qui fait trembler le PNV sur ses bases. Là encore, Iñigo Urkullu est à la manœuvre et tranche dans le vif. Nouvelle épreuve avec la perte du pouvoir dans la CAV au profit du socialiste Patxi Lopez allié au PP qui le lâche un an avant l’échéance. Pour un parti de gouvernement réputé inexpugnable, gérer la cure d’opposition n’est pas une mince affaire. Avec le retour au pouvoir du PNV, Urkullu devient Lehendakari, mais les débuts de sa première législature (2012-2016) sont très laborieux, faute de majorité suffisante. S’y ajoutent les effets dévastateurs de la crise des subprimes sur l’économie mondiale. Un accord passé avec le PSOE lui permettra d’approuver son deuxième budget et de stabiliser son gouvernement. Toujours en minorité lors de la deuxième législature (2016-2020) malgré le soutien du PSOE, il parvient à signer des accords ponctuels avec d’autres forces politiques pour faire approuver ses textes de loi.
La revendication souverainiste catalane, les référendums de 2017 brisent les relations privilégiées avec les autonomistes de CiU devenus Junts, à la radicalité infréquentable pour le PNV. Iñigo Urkullu considère que Puigdemont est déraisonnable, trop à la remorque de la société civile, Omniúm cultural et ANC. Il tentera une médiation entre les Catalans et Mariano Rajoy et de convaincre Carles Puigdemont de convoquer de nouvelles élections autonomiques, plutôt que de déclarer l’indépendance. En vain. Privé de son allié historique, la capacité d’influence du PNV en sera réduite à Madrid comme à Bruxelles. Ce n’est que six ans plus tard qu’Andoni Ortuzar rencontrera à nouveau Carles Puigdemont au parlement européen.

Maladresse rare

Le déroulement du désarmement d’ETA en avril 2017 mis en œuvre en Iparralde par la société civile – les Artisans de la paix – ne lui plaît pas. Pour Iñigo Urkullu, seules les institutions doivent intervenir. Gouvernements de Gasteiz et de Navarre boycotteront la démarche, malgré les efforts de Jean-René Etchegaray. Seules, la ville de Bayonne et la CAPB maintiendront leur implication. Urkullu, peut-être intoxiqué par les services secrets espagnols, a tout faux. Déjà gêné par la manifestation d’Aiete, il est absent d’Arnaga à Kanbo un an plus tard, au moment où ETA annonce sa dissolution. Contrairement à son homologue bayonnais, Urkullu est passé à côté de l‘histoire, aveuglé par son mépris des mouvements sociaux -comme inscrit dans l’ADN du PNV- à l’inverse d’EH Bildu et des Catalans. Sa maladresse, voire sa mesquinerie, atteignent des sommets lorsqu’il affirme que Jean-René Etchegaray nommé parfois « lehendakari » (président en euskara), n’a en rien le droit d’être appelé ainsi. Lui seul mérite de porter ce titre. Ambiance… et manque de hauteur de vue.
Son second mandat est marqué par deux drames : l’effondrement en 2020 du gigantesque dépôt d’ordures de Zaldibar avec la mort de deux ouvriers, le corps de l’un d’entre eux n’a toujours pas été retrouvé. La gestion calamiteuse du site devient un scandale d’État, les défaillances de l’administration basque sur le contrôle du dépôt posent problème. Quelques semaines plus tard, survient la pandémie du Covid-19. L’urgence sanitaire, plus ou moins bien gérée et comprise par l’opinion dans les trois provinces, impacte lourdement l’économie. Les tensions avec le gouvernement central s’aiguisent quant à la nature des mesures les plus adaptées à prendre et à la liberté d’action face à l’urgence.

L’axe atlantique, grand dessein

Élu président de la CAV pour la troisième fois en 2020, Urkullu jette les bases de son grand dessein : la construction avec la Navarre et la Nouvelle-Aquitaine du socialiste Alain Rousset d’un axe atlantique où, entre autres, le TGV jouera un rôle structurant. En Iparralde, le projet fait des vagues, CAPB et société civile étant vent debout contre la construction des voies nouvelles du train à grande vitesse qui balafrera la Côte basque.
Comme ailleurs, la guerre en Ukraine et la facture énergétique plombent l’économie du Pays Basque qui assez vite s’en sort toutefois plutôt bien. La gestion d’Osakidetza – le service public de la santé – vient entacher lourdement le dernier mandat du président : les difficultés sont issues de la pandémie, qui a révélé de graves dysfonctionnements structurels et un manque criant de moyens, avec d’interminables listes d’attente. Elles déclenchent la colère des professionnels de santé comme des patients. Le gouvernement de Gasteiz peine à trouver des solutions, la contestation sociale ne fait que croître au fil des mois. Un autre conflit social non résolu affecte la police autonome basque, enfant chéri du PNV. Iñigo Urkullu crie à l’instrumentalisation de ces luttes par EH Bildu et sa mouvance, à l’approche des élections, avec le soutien des syndicats ELA, LAB et autres. Cela ne règle rien. L’échec du consensus en faveur d’un des grands projets de loi de la législature portant sur la réforme du système éducatif, sonne comme un glas. EHBildu s’en démarque après plus de deux ans de négociation. Seuls le PNV et le PSOE l’approuveront.

Lucia Arieta, son épouse

La fin du mandat d’Urkullu s’assombrit encore en raison de résultats électoraux désastreux et de sondages décevants. Ils montrent que le PNV a un sérieux problème du fait du vote des jeunes et de la classe moyenne. Ils ont tendance à s’abstenir ou à aller butiner ailleurs. Le Lehendakari tente fin août 2023 de redorer son blason en proposant à ses partenaires politiques une Convention constitutionnelle pour évaluer le degré de satisfaction des uns et des autres quant à la mise en œuvre de la loi fondamentale, et proposer ensuite sa réforme. Pour l’instant, c’est un flop.
Il était au départ « L’homme sans qualités » cher à Robert Musil. Au terme de son parcours politique qui n’a rien d’une sinécure, chacun conviendra qu’il a tout de même fait preuve d’une carrure hors du commun pour maintenir le cap, encaisser les coups durs dans ce qui s’apparente à un maelström permanent. La discrète épouse d’Iñigo, Lucia Arieta, qui a élevé leurs trois fils, avoua un jour combien l’engagement de son mari fut lourd à porter en termes de sacrifices familiaux, « parfois à en pleurer » dira-t-elle. L’adage selon lequel « derrière un grand homme, se cache souvent une grande dame », se vérifie.

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Une réflexion sur « Iñigo Urkullu à l’heure du bilan »

  1. J’avoue n’avoir pas perçu la carrure de cet homme politique, qui m’a toujours semblé manquer de hauteur et de compréhension des enjeux. Ce que je retiens de lui ce sont les déceptions: son attitude arrogante lors du désarmement ; son obstination sur la LGV, gouffre environnemental et financier ; les atermoiements dans l’affaire Zaldibar ; son euskara laborieux et difficilement intelligible ; et les reniements du PNV sur le système éducatif, reniements qu’on devine faire partie du prix d’une alliance avec le PSOE pour écarter Bildu. Les résultats du PNV aux élections de juillet sont la conséquence de tous ces rendez-vous manqués avec les attentes de la société.

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