Le malaise paysan

Course aux quantités et à l’agrandissement,
l’exemple brésilien.

Tout le monde s’accorde pour reconnaître que le monde paysan fait face à des difficultés structurelles importantes et s’étonne même que sa révolte ne se soit pas exprimée plus tôt, tellement ses racines sont profondes. Aujourd’hui, il est plus que temps de redéfinir un nouveau contrat social entre les paysans, les autres acteurs de la société civile et les élus à l’échelle territoriale.

Les paysans sont sortis de leur fermes pour exprimer leur colère, leur ras-le-bol face aux normes et charges administratives, et surtout pour souligner leur manque de revenus. En effet, aujourd’hui dans notre société, qui accepterait de travailler autant d’heures pour une si faible rémunération ?

En agriculture, le premier élément de macro-économie, c’est d’encourager la compétitivité des paysans entre eux avec des accords de libre-échange entre les différentes régions du monde, concernant toutes les productions. Ce qui revient à organiser la compétition et l’élimination des paysans dans une logique de restructuration et de concentration de la production, guidée par la rentabilité à court terme, au détriment de la qualité des produits et de l’environnement. C’est une perception minière de l’agriculture et une façon d’exploiter toutes ces ressources naturelles.

Au niveau européen, le système actuel de la Politique agricole commune repose sur le fait de distribuer des aides directes aux paysans à titre de compensation, afin que le coût de l’alimentation soit au plus bas. Ces aides sont distribuées sans plafonnement en fonction des moyens de production : nombre d’hectares et nombre d’animaux. Ainsi, plus on cultive ou plus on utilise d’hectares, plus on perçoit d’euros. Ce système encourage l’agrandissement des fermes et la constitution de sociétés au détriment de l’installation de jeunes et de l’arrivée de nouveaux paysans.

Ce système génère ainsi deux grandes catégories de paysans :

  • Ceux qui deviennent des agri-managers, qui s’accommodent du système en place. Ce sont des producteurs de matières premières agricoles à bas prix qui captent le plus d’aides publiques tout en jouant sur la fluctuation des cours mondiaux. Ils fournissent la plus grande partie des denrées pour les industries agroalimentaires et sont très éloignés des consommateurs. Ils veulent jouer dans la cour des grands, participer à la course aux quantités et à l’agrandissement dans un sauve-qui-peut individuel, et ne doivent leur salut qu’en dévorant leurs voisins. À grand renfort de soutiens financiers publics, ils participent à l’élaboration d’une alimentation de piètre qualité et d’aliments qu’ils ne consommeraient même pas eux-mêmes. Ce sont des paysans riches qui alimentent des pauvres.
  • Ceux qui participent à l’élaboration d’une production alimentaire de qualité en respectant des cahiers des charges à travers les signes officiels de qualité ; les productions en agriculture biologique, qui n’utilisent pas d’intrants de synthèse et préservent ainsi l’environnement ; les produits qui garantissent l’origine par les AOP ou IGP, et les Labels, qui offrent une qualité supérieure au standard industriel. En général plus près des consommateurs, en particulier les producteurs fermiers qui pratiquent les circuits courts, ils sont sensibles à la qualité de leurs produits qu’ils consomment eux-mêmes et sont aussi plus respectueux de l’environnement. Ils perçoivent généralement moins de fonds publics. Ce sont des paysans pauvres qui alimentent des riches.

Mais la réalité est aussi plus complexe. Parmi les paysans qui pensaient s’en sortir par la production de quantité, certains ont compris l’impasse vers laquelle ils allaient et se sont reconvertis partiellement vers des productions de qualité, fermières ou biologiques.

De même, des paysans orientés vers les productions de qualité ont dû conforter leur activité par l’agrandissement et d’autres, plus opportunistes, se sont engouffrés dans l’aventure de la captation d’un marché.

In fine, on a un système agricole à bout de souffle qui ne satisfait personne. La grande majorité des paysans ne perçoivent pas de revenus, les consommateurs ne sont pas satisfaits de la qualité de leur alimentation, et une partie d’entre eux n’y a pas accès, faute de moyens financiers suffisants.

In fine, on a un système agricole à bout de souffle qui ne satisfait personne. La grande majorité des paysans ne perçoivent pas de revenus, les consommateurs ne sont pas satisfaits de la qualité de leur alimentation, et une partie d’entre eux n’y a pas accès, faute de moyens financiers suffisants.

Par ailleurs, on a un environnement qui subit la logique de la compétitivité à court terme par l’utilisation d’intrants qui le dégradent au lieu de le préserver.

Il nous faut donc sortir du dogme du libre-échange et sortir de la compétitivité à tout prix, en instaurant lors des transactions internationales des conventions à prix équitables. Seule, une petite partie des échanges internationaux se fait sur cette base-là, alors que ce devrait être la norme.

Chaque pays doit pouvoir définir sa souveraineté alimentaire et se protéger des importations déstructurantes. Les échanges des productions agricoles doivent pouvoir se réaliser sans dumping social ni écologique, c’est-à-dire que les tarifs des productions doivent intégrer une rémunération correcte des paysans et des salariés agricoles tout en ayant des pratiques agricoles qui garantissent la préservation de la fertilité des sols et qui considèrent la terre et l’eau comme des biens communs d’intérêt général.

Après avoir vécu la crise sanitaire de la Covid 19, il est nécessaire de repenser nos fondamentaux, en donnant priorité à la relocalisation des productions agricoles et au développement de systèmes agronomiques de type polyculture, poly-élevage, en intégrant les principes de l’agroforesterie pour redonner vie au milieu naturel et favoriser la biodiversité. On peut aussi raisonner par la complémentarité des productions entre paysans de petites régions géographiques proches, basée sur des contrats renouvelés périodiquement et qui prennent en considération des coûts de production en dehors des cours mondiaux, en particulier entre producteurs de céréales et éleveurs. Dans une réflexion globale qui tienne compte plus de la complémentarité que de la compétition entre paysans, la dimension territoriale doit être complémentaire à la structuration des filières.

Si les surfaces agricoles doivent être prioritairement destinées à l’alimentation humaine et animale, les espaces agricoles servent aussi de lieux de respiration et de villégiature. La pratique des loisirs pour une bonne partie de la population, mais aussi les activités de chasse et de pêche, sont très dépendantes des activités agricoles. D’où l’importance de regrouper autour d’une même instance, dans des collèges différents, les professionnels agricoles, les acteurs de l’agroalimentaire (producteurs fermiers, artisans et transformateurs industriels), les professionnels de la distribution mais aussi ceux qui consomment ces produits, ainsi que tous ceux qui partagent les espaces agricoles.

Les distributeurs qui se font beaucoup entendre quand on parle d’inflation et de pouvoir d’achat sont restés particulièrement silencieux lors du mouvement de protestation des paysans, comme s’ils n’avaient rien à dire sur les pratiques concernant leurs marges dans la constitution des prix des produits alimentaires.

Le corporatisme agricole ne doit pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire et les Chambres d’agriculture, qui sont en train de fêter leur centième anniversaire, doivent s’ouvrir aux autres composantes de la société civile pour faire leur révolution et se projeter dans l’avenir.

L’agriculture et l’alimentation sont intimement liées et cela concerne l’ensemble de la société. Si les paysans ont conquis et reçu le soutien de la grande majorité de la population, il faut aussi comprendre que pour répondre aux attentes de la société, il est nécessaire de créer des instances de concertation territoriales de l’agriculture et de l’alimentation pour définir les priorités et les orientations locales.

Au Pays Basque, avec la Communauté d’agglomération qui regroupe les 158 communes et a pris la compétence agricole, nous avons toutes les conditions réunies pour nous retrouver autour d’une même table.

À chacun de prendre ses responsabilités, EHLG prendra la sienne.

Aujourd’hui, il est temps de redéfinir un nouveau contrat social entre les paysans, les autres acteurs de la société civile et les élus à l’échelle territoriale, pour mettre fin au malaise paysan.

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