Le message de Matalaz

Le message de Matalaz a été popularisé par le fameux chant de Benito Lertxundi, le barde d’Orio à la voix d’or et au coeur débordant : il le mit en musique, puis le diffusa par ses disques et tours de chants. Cependant, le texte n’est pas de lui, et il ne le revendique pas : j’en suis l’auteur, il est temps que je l’avoue avant de perdre la mémoire ou la vie. Sa version la plus ancienne se trouve dans la première édition de mon Histoire du peuple basque publié en 1970 à Bayonne par les éditions Goiztiri. Inutile de chercher ailleurs, ce serait une perte de temps et d’énergie, mais il n’est pas interdit d’essayer. Je l’ai repris dans les éditions successives dudit livre, sauf dans la dernière de 2007. Et voici la genèse de ce court texte.

Tiranoen ohiltzeko

Durant l’été 1956, faisant des recherches sur l’histoire de la Soule, notamment celle de Matalaz, j’allai consulter le nouveau propriétaire et habitant de la maison Goihetxea, autrefois Goihenetxea, qui fut celle de Matalaz, au bourg de Moncayolle / Mitikile, à deux kilomètres et demi de chez moi. Cousin de mon grand-père paternel, natif du quartier Mendibieu / Mendibile, maison Elizaga, l’abbé Beñat Arthéguiet était un prêtre à la retraite, très conservateur mais fort cultivé. Sur la fin de Matalaz, il me tint des propos étonnants restés gravés dans ma mémoire. Je les ai reproduits quatorze ans plus tard, en 1970, pour les introduire dans mon Histoire du peuple basque, mais en y modifiant deux mots importants, et cette sorte d’infidélité à l’original dénonce je l’avoue l’apprenti que j’étais à l’époque en matière de science historique : j’espère avoir progressé depuis, à force de m’appliquer.

Dans les propos de l’abbé, il s’agissait d’expulser « cette pouillerie de Français » ! Il me le dit d’abord en basque, « frantses zorrikeria horren ohiltzeko », comme l’ensemble du texte, puis reprit ce bref passage en français. N’osant pas reproduire tel quel un propos si violemment xénophobe, je le remplaçai par « tirano arrotzen ohiltzeko », chasser les tyrans étrangers. Depuis lors, j’ai réalisé que les tyrans en question dans l’affaire Matalaz, loin d’être des Martiens atterrissant au Pays Basque, étaient en fait deux néo-Souletins, d’origine géographique toute proche : d’une part, le comte de Tréville, né à Oloron, élevé à Troisvilles-Iruri à partir de neuf ans (père : Arnaud de Peyrer, béarnais d’Oloron ; mère : Marie d’Aramitz, née à Sauguis, donc logiquement basque), et d’autre part, le comte de Toulongeon (un Gramont de Bidache, anciennement en Pays de Mixe, Basse-Navarre, gouverneur de la Soule) : « jaun konte txar horiek », ces minables comtes selon les mots d’Etxahun-Iruri dans sa pastorale Matalaz. Tous deux ruinèrent les Souletins par leurs ambitions démesurées, jusqu’à les pousser à la révolte. Je propose donc de remplacer la formule usuelle (tirano arrotzen ohiltzeko) par celle plus juste et plus brève de : « tiranoen ohiltzeko », chasser les tyrans. De plus, elle adhère mieux que la précédente à la musique de Lertxundi.

L’énigme de l’abbé Arthéguiet

Contrairement aux idées reçues, Louis XIV n’était pas responsable de ce gâchis : tout juste arrivé au pouvoir en 1661 à la mort de Mazarin, le jeune roi héritait d’un dossier ouvert par son père Louis XIII qui, pour tenter de combler le déficit abyssal du budget royal, avait privatisé une partie des biens fonciers de la couronne. En 1641, il avait ainsi notamment vendu le domaine royal de Soule, dont le château fort de Mauléon, à son mousquetaire préféré, puis en 1643, nommé celui-ci comte de Tréville, niveau de noblesse qui n’existait pas dans le droit souletin : autrefois, la Soule était une vicomté, elle fut abolie en 1307. Depuis, le Pays était lié directement au roi, devenu de ce fait son seul seigneur ; les Souletins n’en voulaient pas d’autre, et ils soupçonnaient Tréville de chercher à rétablir pour lui-même cette seigneurie : ce fut un ingrédient important de leur jacquerie.

Mais, revenons à mon texte. Sans doute, par méconnaissance bien naturelle de notre dialecte, Lertxundi modifia très légèrement l’écriture d’un mot capital, OHILTZEKO (pour chasser), lui enlevant le O initial, ce qui donne HILTZEKO (pour mourir en souletin ; de plus, pour tuer dans d’autres dialectes de la langue basque). Ce détail apparemment insignifiant dramatise le message.

Pour ce qui est de l’histoire, des auteurs sérieux écrivent que Bernat de Goyhenetche, dit Matalaz, fit amende honorable devant l’évêque d’Oloron, Mgr Arnaud François de Maytie, avant de monter à l’échafaud (lire Jacques de Béla, l’abbé Minjoulet et Jean-Marie Régnier).

Quelles étaient donc les sources de l’abbé Arthéguiet ? Une tradition orale restée par ailleurs méconnue ? La trace écrite d’une déclaration de Matalaz faite bien avant son exécution ? Ou bien, Arthéguiet aurait-il fantasmé dans la tour carrée de Goihetxea, face aux merveilleux pics d’Anie et d’Orhy ? En tout cas, son appel à la résistance s’est propagé, mais il n’est pas un appel au meurtre. L’abbé Arthéguiet nous a quittés en 1975 avec son mystère, pour rejoindre son confrère l’abbé Goyhenetche, dit Matalaz. Si le Ciel existe, ce que j’espère, ces deux Goihetx / Goihenetx ne manqueront pas de soutenir ensemble notre désir de résistance à la débasquisation sans autres armes que celles de l’esprit.

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Une réflexion sur « Le message de Matalaz »

  1. J’ai pu entendre cet homme de l’être et de lettre dès ma découverte de ce pays, là où il officiait alors à Hasparren. Ces mots chantant doux à mes oreilles (la textuuuuure, la structuuuuure… des sols, cours d’agronomie obligent), sonnent encore en moi. Une grande douceur émanait de vous, M. Davant. Je su bien plus tard que la personne que j’avais en face de moi avait bien d’autres cordes à son arc mais toutes marquées par la même passion de son pays, la même rigueur et la même sensibilité qui s’exprime certainement à travers vos écrits poétiques. Poétique rime d’ailleurs bien avec politique…
    Je me permets donc ici ce petit témoignage, comme en écho à la lecture de votre article.
    Merci d’écrire encore et toujours.

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