Les indépendantistes catalans dans la tourmente

Pere Aragonès (ERC) et Salvador Illa  (PSOE) à la veille de conclure un accord sur le budget catalan.
Pere Aragonès (ERC) et Salvador Illa (PSOE) à la veille de conclure un accord sur le budget catalan.

D’âpres négociations entre ERC et Madrid permettent de redéfinir certains délits dont sont accusés les leaders souverainistes. Mais le pouvoir judiciaire n’applique la réforme qu’à moitié. Les divergences de stratégies entre ERC et Junts deviennent abyssales et le poison de la division brise durablement l’unité du camp indépendantiste, sur fond de rivalités pour les prochaines élections municipales le 28 mai et les législatives de novembre. Elles seront un test.

Sous la pression d’ERC, le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a accepté de négocier le vote des députés indépendantistes qui réclamaient une redéfinition dans le code pénal des délits dont sont accusés tous les dirigeants catalans ayant mis en œuvre le referendum d’autodétermination et la déclaration d’indépendance. La qualification la plus lourde, celle de sédition, entraînait des peines de prison de dix à quinze ans et de quinze ans d’inéligibilité. Après la réforme du code pénal votée le 15 décembre, elle devient un délit de « désordre public aggravé » qui peut être puni de cinq ans d’incarcération et de huit ans d’inéligibilité. Quant au délit de malversation, il était utilisé par l’Espagne qui accusait les dirigeants catalans d’avoir détourné des fonds publics pour organiser les referendums. La réforme du code pénal distingue désormais deux types de malversation, avec ou sans enrichissement personnel, mais les peines de prison et d’inéligibilité encourues restent peu ou prou les mêmes, quelle que soit la nuance.
Cette réforme est donc une « mesurette », un premier pas, comme le souligne le président catalan Pere Aragonès. La nouvelle loi dont nous n’indiquons ci-dessus qu’un résumé très succinct, est beaucoup plus complexe et sujette à interprétations restrictives ou extensives de la part des magistrats qui l’appliquent. Ce que le législateur espagnol accorde de la main gauche, le juge peut facilement le retirer de la main droite. Nous avons connu cela jusqu’à la caricature avec le nouveau statut d’autonomie catalan qui fut ainsi vidé de son contenu… cela eut pour effet de réveiller le souverainisme en ouvrant les yeux des autonomistes.
Le pouvoir des juges des hautes cours espagnoles —Tribunal constitutionnel et Cour suprême— est à la fois politique et omnipotent, au-dessus des pouvoirs exécutif et législatif. Le pouvoir judiciaire non élu fait de la politique, en particulier sur les thèmes touchant à l’indivisibilité du royaume. Il s’érige en garant de l’unité nationale, comme l’armée, autre instance n’ayant aucune légitimité démocratique. Les « pouvoirs de fait » chers à ETA de la grande époque n’ont pas perdu une ride…

Vox clamantis in deserto

Amnesty international se fend le 24 novembre d’un beau communiqué qui alerte sur les risques des nouveaux articles du code pénal espagnol : criminalisation d’actions politiques et pacifiques, graves imprécisions et ambiguïtés, pénalisation d’actes non violents, risque d’atteintes à la liberté d’expression, etc. Vox clamantis in deserto.
Le 6 décembre, jour de la Constitution espagnole, l’ANC (Assemblée nationale catalane) organise une manifestation pour exprimer son rejet des nouveaux articles du code pénal, sous le mot d’ordre suivant : « Cap pacte amb Espanya per empresonar-nos, independència, ara ! Aucun pacte avec l’Espagne pour nous incarcérer, indépendance maintenant !». Aucun démocrate ne peut pactiser avec un Etat qui alourdit la répression contre les mobilisations que met en œuvre le mouvement indépendantiste pour obtenir la liberté, précise l’ANC. L’attaque à l’encontre des choix d’ERC est directe et Omnium Cultural, autre grande fédération de la société civile catalane, refuse de rejoindre cette manifestation par souci d’apaisement.
Le 24 janvier, les deux dirigeants Oriol Junqueras et Raül Romeva demandent à la Cour suprême et au regard de la nouvelle législation du code pénal, l’annulation pure et simple de la condamnation dont ils ont fait l’objet. En revanche Jordi Cuixart qui fut leader d’Omnium Cultural préfère demander justice à la Cour européenne des droits de l’homme. Dès le lendemain, les débats à la Cour suprême s’enlisent dans des circonvolutions aussi absconses qu’infinies où les juges s’interrogent sur les intentions des auteurs. Visiblement les hauts magistrats se régalent, tels le chat avec une souris qu’il vient d’attraper et s’apprête à dévorer. Le procureur général de l’État peu après prend un décret qui s’impose aux ministères publics de toutes les cours. Son interprétation de la nouvelle loi fait que la peine l’inéligibilité sera maintenue à l’encontre d’Oriol Junqueras et de huit autres dirigeants. A l’inverse, l’avocat de l’État demande que la durée de l’inéligibilité soit réduite de moitié. Le 13 février, la section pénale de la Cour suprême condamne Oriol Junqueras à une peine d’inéligibilité jusqu’en 2031. Rappelons, qu’il est le seul dirigeant indépendantiste de sa génération encore en activité, tous les autres sont soit en exil, soit ont préféré se retirer de la vie publique après leur séjour en prison.
Finalement, la nouvelle loi pénale ne change rien à la situation judiciaire de quatre dirigeants catalans importants, Oriol Junqueras, Dolors Bassa, Raül Romeva et Jordi Turull. Ils resteront inéligibles pendant des années. Rappelons que cette même sanction a été hier infligée à l’encontre d’Arnaldo Otegi qui n’a pu être candidat aux dernières élections régionales basques alors qu’il fut un des artisans politique majeur de l’abandon des armes par ETA.

Relance de l’acharnement judiciaire

Le juge d’instruction n° 13 de Barcelone annonce le 17 février que 18 hauts fonctionnaires du gouvernement catalans, des techniciens et des chefs d’entreprise, tous sont passibles de prison, frappés d’une interdiction à occuper des emplois de fonctionnaires et devront payer des amendes astronomiques (1) pour « malversation aggravée ». Parmi eux, les deux « architectes » du referendum. Confirmation supplémentaire, cette réforme du code pénal espagnol relève de l’escroquerie pure et simple.
Sans rire, la porte-parole du gouvernement espagnol se déclare le 14 février déçue par l’interprétation que font beaucoup de magistrats du nouveau texte du code pénal . Elle se dit très soucieuse d’apaiser et de déjudiciariser le conflit politique catalan. Larmes de crocodile. Politiques et juges s’entendent comme larrons en foire.
Au sein d’ERC et de Junts, la déception et l’inquiétude sont très grandes quant à la suite des procédures en cours qui accablent 1500 dirigeants politiques (cf la déclaration de Gabriel Rufian).
Le ministère public annonce une relance des poursuites à l’encontre de l’ex-président Carles Puigdemont en exil à Bruxelles, sur la base du nouveau code pénal. La cour de justice de l’Union européenne s’acharne contre lui. Le 31 janvier, elle prend une décision qui limite le droit de la Belgique à refuser sa remise entre les mains des autorités espagnoles. Marta Rovira, secrétaire générale d’ERC, toujours en exil, écarte toute possibilité de retour en Catalogne dans l’immédiat. On devine pourquoi. Le 27 octobre, la présidente du parlement européen écrit un courrier officiel à Madrid pour lui demander de préciser si les quatre eurodéputés catalans élus en 2019, Carles Puigdemont, Jordi Solé, Toni Comín et Clara Ponsatí, sont bien eurodéputés. Le lobby espagnol à Bruxelles ne relâche pas son étreinte. La junte électorale centrale espagnole demande aux quatre exilés de venir à Madrid pour jurer fidélité à la Constitution. En d’autres termes, se dédire et surtout tomber dans un piège : « Bereterrex, haigü bortala, ützüliren hiz berhala… »
Le tribunal de Barcelone décide le 15 février la réouverture d’une procédure à l’encontre d’Albert Royo, ex-secrétaire général de Diplocat, les Affaires étrangères du gouvernement catalan qui fut très actif avant d’être largement bridé par l’Espagne. A la même date, la presse se fait l’écho de l’action mise en œuvre au moment du dernier referendum pour bloquer internet dans le pays afin d’éviter comptage des voix. La société israélienne Tal Hanan qui émane des services secrets de ce pays, a mis au point un procédé qui sature le trafic de 60.000 fois et bloque internet. Chacun devine qui a fait appel et qui a payé à prix d’or cette société. Percepto, Team Jorge, désormais, on ne compte plus les entreprises israéliennes qui vendent leurs services à des Etats dans le monde entier, désireux de réduire leurs opposants ou de manipuler une élection via les réseaux sociaux. Dans le droit fil de l’usage du logiciel israélien Pegasus chargé d’espionner les téléphones de dizaines de dirigeants catalans.

Poison de la division

Le budget espagnol 2023 a donc été approuvé le 24 novembre par le parlement grâce à l’appui des députés d’ERC . Voilà Pedro Sanchez assuré d’achever son second mandat à la tête de l’Espagne. Le président catalan Pere Aragonès désire à son tour faire voter le budget 2023 par son parlement. Depuis le refus de Junts de faire partie et de soutenir son gouvernement, il est dépourvu de majorité. Il doit donc se résoudre à négocier un soutien avec les socialistes qui n’attendaient que ça. Chacun des deux partenaires se tient par la barbichette. D’où trois mois de négociation qui ont longtemps achoppé sur les projets d’infrastructures, alors qu’avançait la négociation avec le premier ministre Pedro Sanchez sur la réforme du code pénal. Les deux partis ont signé le 1er février quelque chose de ponctuel qui ressemble au mariage de la carpe et du lapin. Mais avec le vote des socialistes locaux, Pere Aragonès est quasiment sûr de rester à la tête du pays jusqu’en 2025. A noter que ce type d’accord s’est déjà produit à plusieurs reprises par le passé. Le dernier en date a eu lieu en 2019 entre Junts et le PSOE pour conquérir la députation de Barcelone, il s’est rompu en 2022.
S’allier avec les socialistes est un exercice dangereux pour les souverainistes, dans la mesure où ERC comme PSOE sont au coude à coude (33 députés chacun au parlement local et davantage de voix pour le PS catalan). Au début des années 2000, ERC co-gouverna le pays en alliance avec les Verts et les socialistes, ces derniers étant à la tête de la Generalitat. Esquerra republicana en garde un souvenir cuisant, il sortit de cet épisode profondément en crise et affaibli. Aujourd’hui, l est sûrement conscient de ce danger et il y a fort à parier que ce récent accord n’est qu’un pis aller jusqu’aux prochaines élections. Les deux partis sont d’abord rivaux et tous les regards se tourneront sur le vote de la ceinture industrielle de Barcelone, fief des socialistes. Là se situe le point de bascule.
Le double accord à Madrid et à Barcelone entre ERC et PSOE a pour effet de tendre les rapports entre ERC et Junts, en principe aussi indépendantistes l’un que l’autre. Le second considère qu’avec une alliance incluant les socialistes et En Comú Podem (Podemos local), le pouvoir catalan « change de centre de gravité ». Il crie à la trahison et l’on assiste le 19 janvier au bien triste spectacle d’un Oriol Junqueras, leader d’ERC, copieusement hué par les partisans de Junts, lors d’une manifestation organisée à l’occasion du sommet franco-espagnol de Barcelone. Il a été obligé de quitter la manif avant son démarrage. A la plus grande joie de l’Espagne entière dont les dirigeants de droite et de gauche clament que le processus indépendantiste catalan, c’est fini.
Le poison de la division affecte l’ANC (Assemblée nationale catalane), un des deux piliers de la société civile du pays. Sa secrétaire générale démissionne le 2 février lors d’un débat en vue de présenter une « liste civique indépendantiste » aux prochaines élections. Omnium Cultural tente en vain d’apaiser le climat en appelant à « une stratégie commune » pour surmonter « la paralysie ».
ERC est en charge de la gestion du pays, d’où une logique d’action différente de celle de Junts qui peut se contenter de critiquer de l’extérieur, sans la nécessité de se confronter à l’exercice ingrat du pouvoir et à la nécessité de le conserver. Comme souvent en politique, entre deux maux, il faut choisir le moindre. Esquerra republicana a donc fait le choix de la responsabilité, de l’efficacité et d’une alliance avec l’adversaire, décision éminemment douloureuse. Tout en essayant d’obtenir de Madrid le maximum possible sur le plan législatif. Rappelons qu’ERC comme EHBildu ou le PNV n’ont guère le choix. Ils pourraient refuser de voter le budget de l’État, acculer Pedro Sanchez à la démission. Mais l’histoire montre que pour nous, il vaut mieux avoir pour interlocuteur les socialistes plutôt que la droite espagnole. Des socialistes dépourvus de majorité absolue, sinon ils nous ignorent. Le pire des scénarios étant un pouvoir espagnol aux mains d’une alliance PP-Vox détentrice de la majorité absolue au parlement.

Carles Puigdemont et Laura Borràs lors d’une réunion en Belgique.
Carles Puigdemont et Laura Borràs lors d’une réunion en Belgique.

Pedro Sanchez chante victoire

Junts, faute de présenter une stratégie crédible et réalisable est stérilisé. Ses appels incantatoires à l’organisation d’un nouveau referendum, à la répétition d’une démarche, n’ont pas abouti à une formule de souveraineté association ou à une confédération, et ils ont eu un coût politique énorme. Seule une minorité de jusqu’au-boutistes croit encore à leur efficacité future. L’exil de Carles Puigdemont se prolonge ad vitam aeternam et sa capacité d’action sur le terrain se réduit comme peau de chagrin. Son autre dirigeante principale, Laura Borràs, ex-présidente du parlement catalan, doit faire face à des poursuites judiciaires sur des faits qui relèvent du droit commun. Elle est hors course. Junts apparaît comme une formation affaiblie, mais il ne faut jurer de rien.
Le premier ministre socialiste s’en sort plutôt bien, alors qu’il est fragile du fait d’une absence de majorité absolue au parlement et de la division de la gauche. Il est désormais assuré de rester au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat en novembre 2023. Pedro Sanchez se réjouit de la division du camp indépendantiste et s’en prévaut auprès de l’opinion publique espagnole. La formule de négociation qu’il a mise en œuvre, les concessions relatives accordées ont déclenché de fortes critiques, y compris dans son propre camp. La droite l’accuse d’avoir tout lâché aux Catalans pour se maintenir au pouvoir. Il lui rétorque que grâce à son habileté politique « L’Espagne n’est ni en morceaux, ni uniforme » et que le danger sécessionniste est écarté pour un bon moment. Le 13 décembre, la porte-parole du gouvernement espagnol crie victoire: « Le temps nous donne déjà raison, nous récupérons le vivre ensemble, le dialogue, une situation normale et la concorde en Catalogne. Nous ne voulons pas revenir à 2017, l’’indépendance n’est déjà plus un sentiment majoritaire en Catalogne ». Le 21 janvier, le premier ministre renvoie dos à dos « les nostalgiques qui à Barcelone veulent rompre l’Espagne et ceux qui à Madrid défilent en faveur d’une Espagne uniforme et qui exclue ». Pedro Sanchez sait qu’il ne pourra pas éradiquer la revendication souverainiste. Mais il est parvenu provisoirement à la contenir, à la diviser, à l’affaiblir pour la rendre inopérante. Il en est de même en Pays Basque où l’indépendantisme est ainsi maintenu sous le boisseau.
Les électeurs espagnols ne s’y trompent pas et l’on assiste à une remontée du PSOE dans les sondages. Les socialistes sont toujours en tête devant le PP. Podemos et Ciudadanos qui avaient fortement affaibli les deux partis historiques, s’érodent largement. Si les choses évoluent en ce sens, on peut même prédire que leur soufflé retombera rapidement et il en sera fini du quadri-partisme qui fît les choux gras des abertzale basques et catalans. Seule l’extrême droite Vox se maintient, hormis en Pays Basque et en Catalogne où elle ne perce pas.

Aux côtés de Pedro Sanchez, Josep Borrell, ministre espagnol des Affaires étrangères, très actif au sein des institutions européennes pour écraser la revendication catalane
Aux côtés de Pedro Sanchez, Josep Borrell, ministre espagnol des Affaires étrangères, très actif au sein des institutions européennes pour écraser la revendication catalane

Digérer l’échec, reconstruire l’unité

Demeure pendante la grande question : quelle stratégie une nation dominée doit-elle adopter pour obtenir une souveraineté relative par des moyens démocratiques et non violents ? Sachant que la pratique de la lutte armée n’a pas eu les résultats escomptés et que, du fait d’un rapport de force de plus en plus défavorable, elle soit devenue contre-productive. L’Espagne s’opposait aux velléités souverainistes basques parce que portées par le « terrorisme ». elle s’y oppose de façon aussi brutale lorsque la même revendication est pacifique et use de moyens purement politiques.
Pour les partis catalans, comment se remettre de l’échec du processus souverainiste, comment le digérer, comment reconstruire l’unité des forces abertzale, comment inventer une nouvelle stratégie qui soit gagnante ? La question se pose également pour EHBildu qui marchait peu ou prou dans la roue de la voie ouverte par ERC. Tous aujourd’hui en sont réduits à négocier avec les socialistes… tant qu’ils sont au pouvoir. Cette formule du grignotage parfois décevante est celle adoptée depuis longtemps par le PNV. Son manque d’ambition ou de courage lui fut longtemps reproché, sa stratégie s’impose aujourd’hui comme un moindre mal, l’essentiel étant aussi et d’abord de rester au pouvoir sur son propre territoire et ses institutions régionales, d’éviter de laisser la place à un parti espagnol, comme ce fut le cas dans la Communauté autonome basque, il n’y a pas si longtemps. Sinon, point de salut.
Partout en Occident, le projet souverainiste est difficile à mettre en œuvre, on le voit en Ecosse où il est en panne. Les Flamands avancent pas à pas d’une génération à l’autre, avec un rapport de force linguistique, démographique, économique et politique, bien différent. La langue flamande est majoritaire non seulement sur son territoire mais aussi sur l’ensemble de la Belgique. Quant aux Kanaks, ils peinent eux aussi à se mettre d’accord sur les bons choix tactiques pour avancer.

Hibernation au congélateur

L’exemple catalan a montré ces dernières années que la raison d’État est le principal obstacle opposé aux demandes souverainistes. Une raison d’État —mue par le nationalisme espagnol— qui d’abord limite et souvent viole les principes démocratiques : scrutins interdits, violation des grandes libertés publiques, intense répression policière qui frise l’occupation, chantage économique sur les investissements et l’emploi, suspension du statut d’autonomie, menace d’intervention militaire, mobilisation des services secrets et usage de procédés illégaux en matière de renseignement et de nouveaux moyens de communications relevant de la cyber-guerre, pression sur les médias, instrumentalisation de magistrats aux ordres, mobilisation de la diplomatie pour limiter tout soutien extérieur aux dissidents, etc. La raison d’État du pouvoir exécutif, reçoit le soutien d’un pouvoir judiciaire non élu qui pratique allègrement une justice politique et expéditive, qui interprète les lois au détriment des ressortissants des nations périphériques. Rappelons ici que toute une génération de dirigeants et de cadres catalans a été écartée du pouvoir, exilée, économiquement ruinée et au final stérilisée. Bien que frappé d’inéligibilité, le seul qui reste partiellement en activité dans son pays n’est autre qu’Oriol Junqueras. On mesure ici le coût politique de ce combat pour des personnalités extrêmement brillantes et pour une petite nation aux ressources humaines forcément limitées.
Et il ne faut guère compter sur le soutien des institutions européennes pour rétablir en Catalogne l’État de droit et le respect des libertés démocratiques. Le poids de l’État espagnol y est très lourd, la Communauté européenne est d’abord celle des Etats et elle a en ce moment d’autres chats à fouetter que de se pencher sur nos velléités souverainistes.
L’ancien président catalan Artur Mas, organisateur du premier referendum d’autodétermination et qui en a payé le prix fort, déclarait le 20 janvier : « Le processus souverainiste n’est ni mort, ni vivant, il hiberne au congélateur (…). Seuls les électeurs diront si nous sommes à la fin de ce processus ». Réponse en mai et novembre de cette année.
Un malheur n’arrivant jamais seul, une enquête socio-linguistique révèle que moins de 25 % des jeunes parlent le catalan dans la moitié des districts de Barcelone. Un gros décalage existe entre une connaissance élevée du catalan parmi eux (plus de 90% le maîtrisent) et son usage quotidien, y compris chez les natifs du pays. Pour Marta Rovira, coordinatrice du projet de promotion du catalan, deux raisons principales expliquent ce phénomène : « le passage de 3 à 30% de non-catalans, et la sphère numérique où dominent les grandes langues, comme l’espagnol ». Dès décembre 2022, de multiples 68 propositions sont mises en œuvre par la municipalité de Barcelone et la Generalitat (gouvernement régional) dans le cadre d’un nouveau plan d’action: cours de langue dans les entreprises et pour les commerces de proximité, augmentation du nombre de projections de films en catalan, de représentations artistiques ou encore intervention d’influenceurs dans les collèges et lycées… Administrations, éducation, santé, loisirs, tous les lieux de la vie quotidienne sont concernés.

L’ex-président Artur Mas : « Le processus souverainiste n’est ni mort, ni vivant, il hiberne au congélateur ».
L’ex-président Artur Mas : « Le processus souverainiste n’est ni mort, ni vivant, il hiberne au congélateur ».

« Herria eraiki, faire pays »

L’ex-président catalan Jordi Pujol, a été longuement interviewé l’été dernier par l’écrivain japonais Ko Tazawa qui fait paraître fin janvier un livre sur lui. Au fil des pages, il revient aux fondamentaux et cela sonne comme son testament politique. L’ancien leader qui dirigea le pays durant 23 ans, craint que les Catalans redeviennent minoritaires sur leur propre territoire. « Le plus important pour un pays ? se demande-t-il. C’est l’identité liée aux traditions, aux faits historiques, à la mémoire et surtout à la langue ». Il ajoute : « Comme au Japon, notre natalité est très basse ». La Catalogne accueille de nombreux non Catalans, et l’État maintient ce flux de populations qui n’est pas maîtrisé par les autorités de Barcelone. Des mesures politiques sont à prendre en urgence, sur le plan du droit, de l’économie, de la démographie et surtout de la langue. Notre petit pays «fait partie d’un Etat, l’Espagne (…), qui est beaucoup plus grand que nous. Nous devons donc faire de gros efforts pour ne pas être assimilés, pour que la catalanité ne disparaisse pas. (…) Il y a quinze ans, nous avons cru que l’Espagne aurait une attitude compréhensive à notre égard. Il s’avère que non ».
Malgré les soubresauts de la vie politique, la construction nationale sous tous ses aspects demeure une urgence, elle se développe à chaque pas. Toute épreuve de force, tout obstacle franchi constituent des avancées et révèlent le vrai visage de l’adversaire, ils font tomber son masque. En Hegoalde comme en Catalogne, les institutions ne peuvent tout faire et encore moins des miracles. Les partis politiques sont indispensables, mais un peuple avance sur deux jambes. Au risque de nous répéter, l’action de la société civile reste déterminante, elle permet des actions transversales et efficaces, au-delà de certains clivages. En ce sens, «Herria eraiki, faire pays», pour reprendre l’expression du syndicat basque ELA présent à Bayonne le 22 février, demeure plus que jamais d’actualité. Notre destin est entre nos mains, envers et contre tout. Point de « grand soir ». Plutôt la « longue marche » de petits peuples en route vers leur émancipation.

(1) On l’oublie trop souvent, pour calmer les ardeurs de ses dissidents, l’Espagne frappe très durement au porte-monnaie.

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