La grande enquête de Bagira offre une photographie du mouvement abertzale encourageante et pleine d’enseignements. Ces derniers confirment le caractère fondamentalement progressiste de ce mouvement et valident les voies et stratégies suivies au cours de la dernière décennie.
Analyser les résultats de l’enquête Bagira à laquelle ont répondu près de 1.500 abertzale d’Iparralde en les confrontant à ceux de l’enquête Fractures françaises 2023, réalisée en septembre par Ipsos/Sopra Steria auprès de 1.500 français âgés de 18 ans et plus est un exercice particulièrement instructif. La comparaison montre en effet comment la dynamique abertzale cultive et développe une culture globale progressiste, ouverte et solidaire, dans un contexte général qui entraîne plutôt la population dans un sens opposé.
À contre-courant
Ainsi, l’enquête Fractures françaises 2023 révèle des évolutions inquiétantes de l’opinion publique, au fur et à mesure des dernières années. 44% des personnes interrogées pensent que le Rassemblement National est « capable de gouverner le pays » contre 31% en 2015. 40% l’estiment « proche de leurs propres préoccupations » et 36% considèrent que « la société que prône ce parti est globalement celle dans laquelle je souhaite vivre », contre 27% trois ans auparavant. 66% des sondés trouvent qu’il y a « trop d’étrangers en France », 51% sont pour le rétablissement de la peine de mort et 45% croient que « plus il y a de riches, plus cela profite à l’ensemble de la société » (contre 38% en 2018). Les abertzale du Pays Basque nord se situent quant à eux complètement à contre-courant de cette évolution réactionnaire. 86% se situent à gauche, 84% se déclarent écologistes et 82% s’affirment féministes. Près de 20% aident personnellement les migrants, en militant dans des réseaux d’accueil ou en donnant de l’argent.
Dynamique progressiste
Du coup, je pourrai reprendre mot pour mot ici, en l’adaptant au contexte français, la conclusion de l’article « Espagne à droite toute ? » que j’avais consacré à l’analyse des dernières élections législatives outre-Bidasoa : « La question est posée : qu’est-ce qui amène l’État espagnol à se droitiser de plus en plus, et qu’est-ce qui fait que la Catalogne et le Pays Basque évoluent globalement à gauche ? Les raisons doivent être complexes et multiples mais en tout cas, ce constat vient opposer un démenti frontal à tous ceux qui proclament que les dynamiques identitaires seraient intrinsèquement réactionnaires. Dans le cas de la Catalogne et du Pays Basque, on voit qu’au contraire, ces dynamiques orientent leurs sociétés respectives dans une perspective clairement progressiste. »
La gauche politique et syndicale française ferait bien de méditer en profondeur sur ce fait là, car elle y trouverait sûrement plusieurs réponses aux problèmes et défis colossaux qui se posent aujourd’hui à elle.
Plutôt que d’ostraciser voire de vouloir exclure les organisations abertzale, la gauche politique et syndicale française ferait bien de méditer en profondeur sur ce fait-là, car elle y trouverait sûrement plusieurs réponses aux problèmes et défis colossaux qui se posent aujourd’hui à elle. C’était d’ailleurs le propos du livre publié en 2017 et intitulé « La izquierda abertzale acertó » de l’intellectuel allemand Raul Zelik, l’une des réflexions politiques les plus intéressantes qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.
Stratégies validées
Les résultats de l’enquête Bagira nous montrent sans ambiguïté possible que les abertzale d’Iparralde valident largement les voies et stratégies empruntées par le mouvement cette dernière décennie(1). La grande majorité d’entre eux estiment en effet que la crédibilité du mouvement abertzale s’est renforcée et que nos principaux combats (pour l’euskara, les preso, l’agriculture paysanne, contre la spéculation immobilière et foncière, pour la transition écologique, contre les discriminations de genre etc.) ont beaucoup ou un peu progressé ces dix dernières années. 78,2% pensent que la contribution politique de la plateforme Batera a été importante, voire très importante. De claires majorités répondent que la création de la Communauté d’agglomération Pays Basque a amélioré la situation sur les plans de la reconnaissance et le poids politique d’Iparralde, le sentiment d’appartenance à un territoire commun et la visibilité du projet abertzale. Plus globalement, 83% considèrent que « pour changer les choses, la dynamique de collaboration avec de larges secteurs sociaux autour de certaines revendications est fondamentale ».
Une feuille de route partagée ?
La dynamique Bagira a ouvert une nouvelle phase de son processus, à savoir la rédaction d’une feuille de route pour la (les ?) décennie( s) à venir et visant à être partagée par l’ensemble des abertzale du Pays Basque nord. Dans cet objectif, des assises du mouvement abertzale d’Iparralde auront lieu le samedi 27 janvier prochain. Là encore, les résultats de l’enquête sont riches en enseignements pouvant alimenter la réflexion liée à cette feuille de route. J’y reviendrai dans ma prochaine chronique.
(1) Cette cohésion dans la validation des stratégies mises en place est d’autant plus remarquable qu’on obtient des majorités claires sur cette question quelque soit le profil (âge, genre, statut, province, origine, champ d’implication…) des répondants à l’enquête.