Les pièges du tout-anglais

LM

Michel Feltin-Palas (Infolettre, « Sur le bout des langues », L’Express)

L’hégémonie de la langue de Shakespeare constitue une menace pour la diversité culturelle de la planète et… c’est un Anglais qui le dit. On n’est parfois jamais si bien servi que par les autres… Donald Lillistone est un Anglais, par ailleurs francophone et francophile. Et parce qu’il parle au moins deux langues, il apprécie la diversité culturelle et ne résout pas à voir un seul idiome, fût-il le sien, devenir hégémonique. Dans un essai rédigé – en français – d’une plume alerte et claire, il alerte donc ses compatriotes de coeur sur les dangers du tout-anglais (1). Et en profite pour démonter avec brio quelques idées reçues. Démonstration.

– « L’anglais est une langue simple » C’est tout à fait inexact. « Le seul son [k] s’écrit de neuf manières différentes », rappelle Lillistone. C’est l’anglais d’aéroport qui est simple, mais celui-ci n’a pas grand-chose à voir avec la véritable langue de Shakespeare.

« J’utilise des mots anglais parce qu’ils sont plus courts ». En soi, le postulat de départ est exact – la traduction française d’Harry Potter comprend plus de pages que l’original – mais ce n’est pas la raison du succès des anglicismes. En réalité, ceux qui y recourent à foison le font pour une tout autre raison : ils cherchent à bénéficier de l’image de modernité des Etats-Unis, la puissance dominante de l’époque. Sous la Renaissance, dominée par Venise, Gênes et Florence, les mêmes auraient sans doute multiplié les italianismes.

– « Une langue n’est qu’un outil de communication » Quelle naïveté ! Imposer sa langue, c’est en réalité imposer sa pensée et sa vision du monde. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis le savent très bien, qui ont déclaré ceci dans une conférence tenue en 1961 à Cambridge : « L’anglais doit devenir la langue dominante, remplaçant les autres langues et leurs visions du monde. » Aussi Lillistone lance-t-il cet avertissement : « Quoi qu’en disent les partisans du tout-anglais, la prédominance actuelle de l’anglais en Europe ne sert finalement que les intérêts commerciaux, culturels et politiques des Etats-Unis ».

– « Si tout le monde parlait anglais, il n’y aurait plus de guerre » La diversité linguistique est souvent perçue comme une menace pour la paix. Donald Lillistone rappelle utilement aux distraits quelques menues anicroches survenues dans des pays monolingues telles la guerre de Sécession aux Etats-Unis (1861-1865) ou la guerre civile en Angleterre (1640-1649). En réalité, la diversité linguistique est l’un des aspects de la richesse culturelle de l’Humanité, note Lillistone, qui interroge : « Voulez-vous vraiment visiter Rome, Berlin ou Madrid pour prendre un café dans un Starbucks, dîner dans un McDo avant d’aller au cinéma regarder un film hollywoodien tout en échangeant partout en globish ? ». Vous, je ne sais pas, mais moi, non.

– « La planète entière parle anglais » Cliché, là encore. Les trois quarts de l’humanité n’en utilisent pas un traître mot.

– « Tout le monde veut parler anglais » Non plus. Dans le monde, beaucoup le voient comme la langue de la « modernité » et des « nouvelles technologies. » Mais pour d’autres, l’anglais reste la langue de « l’impérialisme » et du « capitalisme sans foi ni loi ».

– « La domination de l’anglais va croissant ». Au contraire, la dynamique est défavorable à la langue de Shakespeare. Le Brésil a ainsi rendu obligatoire en 2005 l’enseignement de l’espagnol tandis que la Chine développe l’enseignement du mandarin en ouvrant un peu partout des instituts Confucius. Quant au russe, à l’hindi, à l’arabe, à l’allemand et au français, ils gagnent sans cesse de nouveaux locuteurs. Le gouvernement britannique l’a d’ailleurs compris, qui a rendu obligatoire en 2012 l’enseignement d’une langue étrangère dans les écoles primaires. Même le ministère des Affaires étrangères britannique a rouvert l’école de langues étrangères qu’il avait fermée en 2007 !

– « L’anglais est la langue des affaires ». Nuançons : l’anglais est aujourd’hui la langue principale des affaires, ce qui est très différent. Selon les études, cette langue représente certes 30 % du PIB mondial, mais ce pourcentage va mécaniquement baisser avec la montée en puissance de la Chine et des pays émergents. Les jeunes Espagnols sont ainsi de plus en plus nombreux à apprendre l’allemand pour une raison simple : ce n’est pas avec l’anglais qu’ils vont trouver du travail en Allemagne !

La conclusion est évidente : puisque la domination de l’anglais va reculer, la priorité devrait être donnée au plurilinguisme. La solution d’avenir ne consiste donc pas à ce que chacun parle seulement deux langues – la sienne et l’anglais – mais trois. Corollaire : la France dispose là d’un atout formidable puisque le français est, rappelons-le, la seule langue avec l’anglais à être pratiquée sur les cinq continents. Encore faut-il que nos élites en prennent conscience.

(1) Les pièges du tout-anglais expliqués aux Français par un Anglais, Donald Lillistone, Editions Glyphe

Soutenez Enbata !

Indépendant, sans pub, en accès libre, financé par ses lecteurs
Faites un don à Enbata.info ou abonnez-vous au mensuel papier

Enbata.info est un webdomadaire d’actualité abertzale et progressiste, qui accompagne et complète la revue papier et mensuelle Enbata, plus axée sur la réflexion, le débat, l’approfondissement de certains sujets.
Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés par les dons de nos lectrices et lecteurs, et les abonnements au mensuel papier : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre.
« Les choses sans prix ont souvent une grande valeur » Mixel Berhocoirigoin
Cette aide est vitale. Grâce à votre soutien, nous continuerons à proposer les articles d'Enbata.Info en libre accès et gratuits, afin que des milliers de personnes puissent continuer à les lire chaque semaine, pour faire ainsi avancer la cause abertzale et l’ancrer dans une perspective résolument progressiste, ouverte et solidaire des autres peuples et territoires.
Chaque don a de l’importance, même si vous ne pouvez donner que quelques euros. Quel que soit son montant, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission.
Faites un don ou abonnez vous à Enbata : www.enbata.info/articles/soutenez-enbata

  • Par chèque à l’ordre d’Enbata, adressé à Enbata, 3 rue des Cordeliers, 64 100 Bayonne
  • Par virement en eusko sur le compte Enbata 944930672 depuis votre compte eusko (euskalmoneta.org)
  • Par carte bancaire via système sécurisé de paiement en ligne : paypal.me/EnbataInfo
  • Par la mise en place d’un prélèvement automatique en euro/eusko : contactez-nous sur [email protected]

Pour tout soutien de 50€/eusko ou plus, vous pourrez recevoir ou offrir un abonnement annuel d'Enbata à l'adresse postale indiquée. Milesker.

Si vous êtes imposable, votre don bénéficiera d’une déduction fiscale (un don de 50 euros / eusko ne vous en coûtera que 17).

Enbata sustengatu !

Independentea, publizitaterik gabekoa, sarbide irekia, bere irakurleek diruztatua
Enbata.Info-ri emaitza bat egin edo harpidetu zaitezte hilabetekariari

Enbata.info aktualitate abertzale eta progresista aipatzen duen web astekaria da, hilabatero argitaratzen den paperezko Enbata-ren bertsioa segitzen eta osatzen duena, azken hau hausnarketara, eztabaidara eta zenbait gairen azterketa sakonera bideratuagoa delarik.
Garai gogorrak dira, eta badakigu denek ez dutela informazioa ordaintzeko ahalik. Baina irakurleen emaitzek eta paperezko hilabetekariaren harpidetzek finantzatzen gaituzte: ordaindu dezaketenen eskuzabaltasunaren menpe gaude.
«Preziorik gabeko gauzek, usu, balio handia dute» Mixel Berhocoirigoin
Laguntza hau ezinbestekoa zaigu. Zuen sustenguari esker, Enbata.Info artikuluak sarbide librean eta urririk eskaintzen segituko dugu, milaka lagunek astero irakurtzen segi dezaten, hola erronka abertzalea aitzinarazteko eta ikuspegi argiki aurrerakoi, ireki eta beste herri eta lurraldeekiko solidario batean ainguratuz.
Emaitza oro garrantzitsua da, nahiz eta euro/eusko guti batzuk eman. Zenbatekoa edozein heinekoa izanik ere, zure laguntza ezinbestekoa zaigu gure eginkizuna segitzeko.
Enbatari emaitza bat egin edo harpidetu: https://eu.enbata.info/artikuluak/soutenez-enbata

  • Enbataren izenean den txekea “Enbata, Cordeliers-en karrika 3., 64 100 Baiona“ helbidera igorriz.
  • Eusko transferentzia eginez Enbataren 944930672 kontuan zure eusko kontutik (euskalmoneta.org-en)
  • Banku-txartelaren bidez, lineako ordainketa sistema seguruaren bidez: paypal.me/EnbataInfo
  • Euro/euskotan kenketa automatikoa plantan emanez: gurekin harremanetan sartuz [email protected] helbidean

50€/eusko edo gehiagoko edozein sustengurentzat, Enbataren urteko harpidetza lortzen edo eskaintzen ahalko duzu zehaztuko duzun posta helbidean. Milesker.
Zergapean bazira, zure emaitzak zerga beherapena ekarriko dizu (50 euro / eusko-ko emaitzak, 17 baizik ez zaizu gostako).

Une réflexion sur « Les pièges du tout-anglais »

  1. Artikulu oso interesgarria. Ingelesa erabili dut atzerrian egindako lanean: Ugandan; Belizen ; Korean; Indonesian, Mozanbikan, Errumanian eta Albanian. Aipatu lehen bi herrietan benetako baikorra zen ingelesa jakitea, lanaren hizkuntza zelako eta komunikatzeko baliagarria zela. Baina ingelesez gainera Ugandan swahili jakitea eta Belizen gaztelera jakitea askoz hobea zen. Indonesian askoz hobea da bahasa jakitea, eta orain herri honetara sei hilabete gehiago lan egitera datorrenari derigorrezkoa da bahasa jakitea, bestela lan postua galtzen du mail apalegia duenak. Mozanbikan portugesa jakitea askoz baliagarriago izan zait ingelesa baino; bakarrik lanari buruzko gutunak eta txostenak egiten nituen ingelesez. Korean eta Albanian gauza bera; ingelesa idazkientzat bakarrik erabiltzen zen eta biltzarretan itzultzaile bat beharrezkoa zen. Herri hauetan ingelesa zen kontratuen hizkuntza, horrek esan nahi du, kontratu batean liskar juridiko bat gertatzekotan, ingelesezko dokumentuak bakarrik kontutan hartzen ziren.

Les commentaires sont fermés.