Lettre ouverte au Préfet Durand

Photo : Irudien artzaina / Le berger des images
Photo : Irudien artzaina / Le berger des images

Lignes rouges
Lettre ouverte à M. le préfet et Mme la sous-préfète

M. Durand, préfet des Pyrénées-Atlantiques et Mme Seguin, sous-préfète de Bayonne,

Je m’adresse aujourd’hui à vous par cette lettre ouverte pour vous donner ma version des faits survenus le jeudi 23 juin à l’intérieur de la sous-préfecture de Bayonne.

Comme je l’ai déjà dit à Mme la sous-préfète, j’aimerais pouvoir en discuter avec vous.

Que s’est il passé le jeudi 23 juin?

A l’appel du Collectif Jusqu’au Retrait, une cinquantaine de militant-e-s ont tenté d’occuper la sous-préfecture de Bayonne pour dénoncer la loi travail et la tentative du gouvernement d’interdire une manifestation syndicale à Paris, une première depuis la guerre d’Algérie !

La police nous a devancés, a fermé les grilles d’accès et les a sécurisées par des unités à elle. Nous nous sommes alors déployés devant avec nos pancartes. Au bout de quelques minutes, nous rendant compte qu’une partie de la sous-préfecture n’était pas surveillée, cinq militants de Bizi! avons réussi à pénétrer dans l’enceinte (en passant par la pelouse d’une partie du bâtiment où, de ce que l’on a appris par la suite, réside Mme la sous-préfète, sans croiser personne).

Nous nous sommes alors placés derrière une grille donnant sur la rue et avons sorti nos pancartes revendicatives et commencé à scander des slogans. Les policiers sont intervenus au bout de quelques minutes et nous ont délogés, sans que nous n’opposions de résistance contrairement aux propos de Mme Seguin dans Sud-Ouest qui prétend que j’ai “opposé une résistance farouche à l’opération”. Des dizaines de personnes, dont plusieurs journalistes, ont assisté à la scène, des images ont été prises, et tout le monde peut témoigner que je me suis laissé traîner sans opposer aucune résistance ni même pousser de cris de protestation.

Pour moi, les policiers faisaient leur boulot et je ne m’indigne absolument pas d’avoir été arrêté et placé en garde-à-vue pour cette occupation. Je l’ai menée à visage découvert, pour protester contre ce grave précédent de tentative d’interdiction de manifestation syndicale.

Je me suis rendu responsable d’une action totalement non-violente —même si elle constitue un délit— pour montrer aux jeunes, aux salariés en colère, aux citoyens humiliés, qu’il y a d’autres réponses que la violence aux graves dérives sociales et démocratiques en cours. J’assume mes responsabilités tant devant l’opinion publique que devant la justice.

Photo : Irudien artzaina / Le berger des images
Photo : Irudien artzaina / Le berger des images

Tabassage organisé dans la sous-préfecture

Par contre, quand la police m’a rentré dans la sous-préfecture, et donc une fois à l’abri des regards du public et des journalistes, il s’est passé quelque chose de particulièrement inquiétant et totalement antirépublicain.

J’ai été couché dans un couloir, face au sol, et menotté dans le dos. Et un policier que je ne connaissais pas mais qui lui me connaissait puisqu’il m’appelait Txetx, m’a méthodiquement frappé à coups de matraque dans les jambes, le postérieur, le dos et les bras. Puis il m’a assené deux violents coups de rangers dans le visage. Et enfin il m’a écrasé la tête avec ses rangers, en appuyant de tout son poids, le tout aux cris de “Txetx, tu nous emmerdes, il y en a marre de toi” (était-ce le responsable du dispositif de sécurité mis en place à la sous-préfecture et était-il furieux qu’on ait pu déjouer ce dispositif ? J’imagine qu’il me considérait comme le “meneur” puisque les quatre autres militants arrêtés avec moi n’ont pas eu droit à ce traitement- là). J’ai craint le coup du lapin et demandé à ses collègues qu’ils l’arrêtent, criant que mon cou allait vraiment mal et qu’il allait y avoir un accident.

J’ai signalé ces faits à la police, et deux certificats médicaux, l’un délivré par un médecin venu m’examiner au commissariat et le second établi aux urgences de l’hôpital de Bayonne attestent d’une dizaine d’ecchymoses, excoriations, dermabrasions sur tout mon corps, de la tête aux pieds.

Lignes rouges

Ces faits graves se sont déroulés à l’intérieur d’un bâtiment d’Etat. Pourtant, le communiqué du préfet qui dénonce notre “atteinte à la représentation de l’Etat” ne dit pas un mot sur cette scène inadmissible.

Dans Sud-Ouest, la sous-préfète parle quand à elle d’une intervention des forces de l’ordre “parfaitement cadrée” et “réfute la thèse selon laquelle Txetx Etcheverry aurait été isolé dans un couloir pour être passé à tabac”. Cela s’appelle “couvrir les faits” et le comportement de ce policier.

C’est grave car cette absence de lignes rouges peut causer demain des dérives bien plus inquiétantes, et des situations dramatiques. Le policier en question s’est permis de rendre sa propre justice et si ses supérieurs couvrent ce fait-là, ils se rendent responsables des dérives à venir.

Les cinq personnes arrêtées étions donc membres de Bizi!. Bizi! défend radicalement la non-violence, refuse le slogan “tout le monde déteste la police” et donne des consignes très claires à ses militants de ne jamais user de violence ni même d’insultes, même quand la police nous frappe. Si un de nos militants avait frappé un policier, et à fortiori un policier à terre, Bizi! aurait aussitôt remis en cause l’appartenance de cette personne à notre mouvement. Comment comprendre qu’il n’y ait pas de telles lignes rouges chez vous ?

Je laisserai le mot de la fin au préfet Grimaud, qui fut responsable du maintien de l’ordre à Paris pendant les évènements de mai 68. Dans sa lettre aux forces de police du 29 mai 1968, il écrivait notamment : “Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation (…) Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner de nous.

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4 réflexions sur « Lettre ouverte au Préfet Durand »

  1. juste deux mots : merci et bravo !
    avec tout mon soutien;
    babé

  2. Bonjour, j’ai tendance à croire votre version des faits. et je trouve bien inquiétant les agissements de l’autorité publique. Allez vous porter plainte ?

    1. Bonjour, j’ai signalé les faits à la police et fourni 2 certificats médicaux dont un établi au commissariat lui-même, par un médecin appelé par la police à ma demande. J’ai saisi un avocat, Maitre Jean-François Blanco, et ce dernier demande dans un premier temps au procureur ce qu’il compte faire pour donner suite à ce signalement de faits graves, commis dans un bâtiment d’Etat. Pour l’instant, nous attendons la décision du Procureur avant de décider de ce que nous pourrons faire nous même de notre côté, le cas échéant. Pour moi, l’important n’est pas ma personne, et je ne suis animé par aucun esprit de revanche ou de vengeance. Je demande juste que soient clairement établies des lignes rouges pour empêcher ce précédent de se reproduire à l’avenir et éviter ainsi que d’autres personnes ne soient victimes du même genre de scène et de comportement, avec des conséquences peut-être plus dramatiques.

  3. Cette mise au clair était importante. Il s’agit ici d’un double scandale: la violence physique, verbale, assenée délibérément par personne ayant délégation d’autorité ET les propos autant précipités que choquants de la sous préfète. Les deux sont aussi graves et la posture de la sous préfète, fraichement arrivée, est particulièrement dangereuse!!
    Il faut être sacrément convaincu pour ne rien lâcher sur la non violence…face à tant de violence.

Les commentaires sont fermés.